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J'ai écouté réécouté ce matin dans mon bain:Gondoles

 Donna Leon, la dogaresse du crime

«J'écris une page par jour, ­chaque jour, y compris le dimanche, et pas davantage.»

«J'écris une page par jour, ­chaque jour, y compris le dimanche, et pas davantage.» Crédits photo : Alberto CONTI/CONTRASTO-REA/Alberto CONTI/CONTRASTO-REA

Alors que paraît Gondoles, rencontre à Venise avec la créatrice du commissaire Brunetti

Venise en hiver: ses échappées de lumière, ses ruelles désertées par les touristes, ses eaux inquiétantes chantées par Barrès et Régnier, la persistance décatie des siècles d'or, ses mystères nourris par la longueur des nuits. C'est cette Venise, celle de la saison morte, que Donna Leon préfère arpenter. Il faut la suivre, par les venelles obliques, les ponts de pierre, les campi accueillants, cette infatigable trotteuse qui va sur ses 72 ans. Après être passés devant la maison du commissaire Brunetti, dans le quartier de San Polo, après une halte chez le meilleur fromager de la ville (au pied du Rialto), après un crochet par les Zattere, nous faisons une halte au bar d'un hôtel coquet, non loin de l'église des Santi Apostoli. Le choix de Donna Leon n'est pas innocent. C'est dans ces parages que se dresse le palais du doge Falier, ancêtre supposé de Paola, l'épouse de Brunetti… Un aïeul de sinistre mémoire, mort décapité…

«La plus grande frayeur de ma vie»

Voilà quelque trente ans que la «dogaresse du crime» a élu domicile à Venise, dans le quartier de Cannaregio, voilà plus de vingt ans qu'elle enchaîne les enquêtes du commissaire Guido Brunetti, à raison d'un volume par an. Sa recette, depuis Mort à la Fenice, paru en 1992? «Je me tiens à cette discipline: j'écris une page par jour, chaque jour, y compris le dimanche, et pas davantage. Mon inspiration se nourrit à la fois de l'atmosphère de cette ville magique et de la lecture des quotidiens locaux, Il Gazzettino, La Nuova Venezia, etplusparticulièrement de la rubrique faits divers.» Le 23e épisode de ses enquêtes (By Its Cover) a été publié il y a quelques mois, mais les lecteurs français devront patienter. En attendant, ils pourront se précipiter sur Drawing Conclusions (2011), traduit par Deux veuves pour un testament. «Mon credo est simple, et je n'y ai jamais dérogé: faire rire, faire pleurer et créer du suspense», tient-elle à préciser.

Née en 1942 à Montclair, dans le New Jersey, elle a longtemps enseigné la littérature anglaise, en Arabie saoudite, en Suisse, et plus particulièrement sur la base militaire américaine de Vicenza, et jusqu'en Iran. Quand on lui demande si elle éprouve des regrets, elle répond sans hésiter: «Je regrette uniquement les choses que je n'ai pas faites, comme ne pasavoirpris la peine d'apprendre le farsi, alors que j'enseignais en Iran. Au moment de la révolution islamiste de 1979, j'ai été évacuée par les GI. Ce fut là la plus grande frayeur de ma vie.» La suite, on la connaît, avec la naissance de Brunetti, par défi et par jeu, lors d'un entracte entre amis au théâtre de La Fenice. «C'était écrit: Brunetti devait arriver.» Depuis, ses enquêtes ont trouvé des millions de lecteurs, dont les plus fervents sont allemands, autrichiens et suisses. Des lecteurs doublés désormais de spectateurs avec la série télévisée allemande inspirée du commissaire vénitien, créée en 2003 et diffusée depuis 2010 sur France 3.

C'est un grand éclat de rire qui accueille notre évocation de ses prédécesseurs, les écrivains américains qui ont chanté Venise et y ont vécu (Henry James, Hemingway, Ezra Pound, Brodsky…): «Mais moi, je ne suis pas une artiste, je n'ai pas cette prétention! Je fais juste mon boulot d'écrivain, en y prenant un immense plaisir.» Et d'ajouter: «Je ne suis qu'un très bon écrivain de polars. Et je vais l'avouer: c'est très agréable d'être célèbre!J'adore ça. La vie a été généreuse avec moi. Ce qui me permet de me livrer à ma grande passion, la musique, et plus particulièrement la musique baroque et son fabuleux répertoire que je veux faire partager.»

Redécouvrir Agostino Steffani

Voilà un peu plus d'un an qu'elle parraine le jeune ensemble Il Pomo d'Oro dont le nom est inspiré d'un opéra d'Antonio Cesti et qui a récemment enregistré des concertos pour deux violons de Vivaldi. Parallèlement, cette fan de Haendel soutient activement l'orchestre Il Complesso barocco et le Venetian Centre for Baroque Music, créé en 2011, et dont un des conseillers honoraires est un certain Philippe Sollers… Elle a connu la grande mezzo Cecilia Bartoli il y a une vingtaine d'années dans un opéra dirigé par Bernstein. «Elle était alors peu connue, mais douée d'un talent exceptionnel et déjà musicalement intelligente. Je l'ai rencontrée en tête à tête cinq ans plus tard, au cours d'une interview pour un journal allemand. Depuis, nous nous sommes liées d'amitié.»

Cette complicité a permis l'exhumation d'un compositeur du XVIIe siècle, Agostino Steffani, redécouvert par la Bartoli et qui a inspiré Donna Leon (Les Joyaux du paradis), qui pour une fois a abandonné Brunetti. La musique, on la retrouve dans un CD de chansons populaires et de barcarolles (dont le classique vénitien Biondina in gondoleta), avec la voix exceptionnelle de Cecilia Bartoli. Un enregistrement d'Il Pomo d'Oro accompagne Gondoles de Donna Leon, qui précise: «J'ai écrit cet essai par amour pour cette embarcation si particulière. Et comme il existe très peu d'ouvrages, j'ai poussé mes recherches documentaires, fréquenté quelques chantiers, les squeri, interrogé des gondoliers, qui forment une société presque secrète depuis des siècles.»

Au terme de notre conversation, la «dogaresse du crime» se lève brusquement: «Mangiamo! Poursuivons notre bavardage chez mon amie Roberta*. Elle a préparé des sardines marinées à la vénitienne et des pâtes aux haricots, un des mets préférés de Brunetti…»

* Brunetti passe à table. Recettes, de Roberta Pianaro, récits culinaires de Donna Leon, Calmann-Lévy, 276 p., 22,25 €.

Gondoles, de Donna Leon, traduit de l'anglais (États-Unis) par William Olivier Desmond, Calmann-Lévy, 144 p., avec un CD, 20,90 €.

http://www.lefigaro.fr/livres/2014/02/20/03005-20140220ARTFIG00008-donna-leon-la-dogaresse-du-crime.php

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