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Catégories : Les polars

Le noir mitonné à la sauce aigre-douce de Chantal Pelletier, par Macha Séry

LE MONDE |23.08.2012 à 18h26

Par Macha Séry

 
 

Ce qu'on garde trop longtemps en soi, ce qu'on comprime de secrets, le poids des renoncements, finit tôt ou tard par exploser, en termes vifs ou en éclaboussures de sang. Là est l'art de Chantal Pelletier, dans l'attention qu'elle prête à la banalité du quotidien qui dérape pour un rien, une mauvaise rencontre, un mot déplacé. A petites touches, elle excelle à tricoter la trame de vies ordinaires qui se dénoue en tragédie. En témoigne avec brio Crise de nerfs (coll. "Les petits polars du Monde").

Il y a tout juste cinquante ans, Marilyn Monroe succombait à une overdose de médicaments. Ce jour-là, deux familles de Lyonnais, Bernard, Catherine, Charles, Thierry et Nicole, bouclent leurs valises. Direction : un camping du sud de la France. Nous sommes en 1962, "l'époque où tout est en germe : la modernité, l'émancipation des femmes, la consommation, etc., mais rien n'est épanoui...", raconte la nouvelliste, qui, dans cette étude de moeurs et d'humeurs, fait habilement alterner les points de vue des protagonistes, jusqu'au drame.

Dans son oeuvre, la cuisine tient un rôle important. Plus qu'une marotte, c'est un thème de prédilection et un art de vivre chez cette auteure qui mitonne des polars à la sauce aigre-douce. "Le céleri rémoulade était dégueulasse, et ma femme vraiment trop mauvaise cuisinière, je n'en pouvais plus, j'ai tiré. Elle est tombée, net, sans crier, ses yeux se sont juste un peu écarquillés, du genre : qu'est-ce qui t'arrive ? Elle avait l'habitude de mes blagues, j'étais d'un naturel assez taquin, mais, assez vite, elle a compris que je ne plaisantais pas." (Tirez sur le caviste, 2007.)

Cette baroudeuse s'est mise tardivement au polar, exactement vingt ans après être entrée en littérature. C'était avec L'Octobre (éd. Jean-Jacques Pauvert), en 1976, année où elle débute, à 25 ans, dans les cafés-théâtres au sein du trio Les Trois Jeanne. Un triomphe, souvenez-vous. Les pétulantes comédiennes étrillaient les machos et dépeignaient les petites misères de la condition féminine. Avec leurs deux spectacles, les comédiennes ont fait salle comble et le tour du monde.

L'aventure dura dix ans. Après quoi, Chantal Pelletier multiplie les formes d'écriture : scénarios, essais, recueils de nouvelles ou de poèmes, romans, biographies. Carnassière, Chantal Pelletier ? Plutôt affamée de curiosités, de voyages et d'amitiés. Elle en noua une belle en 1977 avec Kriss Graffiti, la voix chaude de FIP et de France Inter. La mort de son amie, en 2009, la laissa inconsolable.

Le polar, où elle marie sensibilité et humour, fut une rencontre de hasard. En 1997, un éditeur lui commande un roman policier. "Je connaissais à peine le genre, je ne m'y intéressais pas, se rappelle-t-elle. J'y ai pris plaisir. J'aime l'urgence du noir, la menace qui tend les situations, la mort qui rôde, les paroxysmes." C'est peu dire qu'elle a vite appris. Qu'on relise Le Chant du bouc (Gallimard, coll. "Série noire", 2000, Prix de la littérature policière de Cognac), où le danseur vedette du Moulin-Rouge est assassiné dans sa loge, son cadavre enlacé à celui de l'habilleuse... Il fait partie de la quadrilogie mettant en scène l'inspecteur Maurice Laice, surnommé "More is less", flic dépressif et daltonien, "infirme du coeur et de la queue", qui tête des cigarillos et mâchonne des chewing-gums à la cannelle.

Mais ce qui passionne l'épouse du scénariste de Tito Topin, ce sont les femmes. "Je suis prête à l'avouer, raconte-elle sur son site (Chantalpelletier.free.fr). J'écris des portraits de femmes. Sur tous les tons, dans divers genres, sous de multiples prétextes, et l'obsession n'en finit pas. (...) Je les cache derrière des inspecteurs de police, des recettes de cuisine, des meurtres, des rires, des récits autobiographiques, des vengeances ou des amours, mais je ne fais que ça, donner corps et paroles à des femmes." Ce sera encore le cas dans son prochain roman, prévu pour 2013.

Macha Séry

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/23/le-noir-mitonne-a-la-sauce-aigre-douce-de-chantal-pelletier-par-macha-sery_1749097_3232.html

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