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Denis Kessler : « Le gouvernement sous- estime la gravité de la situation en France »

 
 
Denis Kessler : « Le gouvernement sous- estime la gravité de la situation en France »

Comment jugez-vous le budget qui vient d'être présenté ?

Ce budget ne marque pas de réelle inflexion.

Regardons d'abord du côté des dépenses publiques : les 15 milliards d'économies qui sont annoncées sont en réalité, pour l'essentiel, de moindres augmentations. S'agissant des prélèvements, c'est la même histoire : ce que prévoit le budget, c'est une moindre augmentation par rapport au choc fiscal déstabilisateur de l'an dernier. Alors que l'on parle de « pause fiscale », les prélèvements obligatoires vont continuer à progresser pour atteindre un niveau qui pose désormais de manière aiguë la question de l'acceptabilité de l'impôt. Alors que le président de la République ironise à juste titre sur le « concours Lépine parfois cocasse » auxquels se livrent ceux qui inventent de nouveaux impôts, le budget prévoit la création d'une nouvelle contribution assise sur l'excédent brut d'exploitation. Où est la cohérence ? Cette taxe de 2,5 milliards d'euros, qui n'a pas d'équivalent dans les autres pays et n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact approfondie, va s'ajouter à l'IS et siphonnera la trésorerie des entreprises…

Qu'est-ce qui vous inquiète en particulier ?

Ce qui m'inquiète, c'est que l'écart entre la France et les autres pays continue de s'accroître et que notre compétitivité continue de se dégrader. Tant que l'on n'aura pas restructuré en profondeur nos organisations collectives, éradiqué les déficits par la réduction des dépenses plutôt que par l'augmentation des impôts, réoxygéné l'économie réelle en réduisant la sphère publique, recommencé à investir et à créer de la richesse, donné la priorité absolue au secteur productif, on continuera de décrocher. L'écart avec les pays les mieux gérés - Allemagne, Suède, Canada - s'accroît. Et beaucoup de nos partenaires en difficultés mettent les bouchées doubles, courageusement, pour se redresser. Prenez le cas du Royaume-Uni : le gouvernement de M. Cameron a diminué les dépenses publiques de 3,4 points de PIB en trois ans ! Et procède à la privatisation de Royal Mail ! Ceci va permettre à l'économie britannique de se redresser beaucoup plus rapidement que l'économie française. Contrairement à l'excuse facile toujours avancée que le corps social n'est pas prêt à ces transformations, à condition de courage et de volonté, on peut réformer en profondeur un pays. Hier, l'Allemagne nous en a donné la preuve, aujourd'hui l'Irlande et le Royaume-Uni, et même l'Espagne ! En France, je suis frappé de voir que la croissance est tellement atone que certains discernent désormais des signaux forts derrière des variations de décimales quand on évoque l'évolution du PIB ! La croissance est visible à l'oeil nu dans beaucoup de pays : nos concitoyens ne voient rien… sauf la multiplication des coups de louche fiscale dans leurs assiettes qu'ils ont de plus en plus de difficultés à remplir.

Que préconisez-vous ?

Sans réforme profonde de la sphère publique et sociale, sans désendettement généralisé, il n'y aura pas de retour à la croissance durable. Quand on regarde tout ce qui est prélevé pour les services publics et les transferts sociaux, on voit que le compte n'y est plus. C'est un problème à la fois d'efficience et d'efficacité. Il n'y a plus de rapport entre le coût de notre système public et les services effectivement rendus. On devrait faire plus avec moins, on a le sentiment que l'on fait moins avec plus ! D'où le ras-le-bol de voir les assiettes se vider. Plutôt que de raboter les dépenses année après année, il faut recréer un Etat moderne en repensant fondamentalement le champ et les modalités de l'intervention publique, dans tous les domaines. Voilà une vraie ambition pour la France, voilà une vision mobilisatrice qui fera comprendra le sens des réformes. Sans vision, pas de projet crédible, pas de réforme mobilisatrice, pas de résultat visible. La France aspire à être bien gouvernée, elle se retrouve mal administrée.

Comment jugez-vous les premiers pas au Medef de Pierre Gattaz ?

Pierre Gattaz exprime de manière claire le fait que dans un pays où les marges des entreprises sont à un plus bas historique depuis 25 ans, à 28,4 %, où l'investissement est en berne, où la compétitivité est dégradée, l'urgence est de recréer un environnement favorable à l'activité productive. La réforme des retraites est très insuffisante : elle me fait penser au mot de Mark Twain : pourquoi remettre au lendemain ce que l'on peut remettre au surlendemain ! Les régimes sociaux sont tous déficitaires, ce qui laisse anticiper des hausses de cotisations qui obéreront les marges des entreprises et le pouvoir d'achat des salariés. Le Medef doit peser de tout son poids en faveur des réformes structurelles.

Le gouvernement assure, lui, que le contexte économique impose une certaine prudence dans le rythme de réduction des dépenses…

A mon sens il sous-estime la gravité de la situation. La production industrielle est inférieure de 16,5 % à son niveau d'avril 2008, notre balance commerciale reste très lourdement déficitaire, le déficit des comptes publics reste à un niveau élevé, au-delà des engagements que nous avions pris au niveau européen, et nous n'avons toujours pas infléchi la courbe de l'endettement public, qui va bientôt dépasser 95 % du PIB. Il faut donner la priorité aux facteurs d'offre : investissement

recherche-développement, innovation, création et développement d'entreprises. Il faut d'urgence redresser le taux de marge des entreprises. Et cesser de soutenir artificiellement la demande par des transferts non maîtrisés financés par des déficits récurrents. La France doit donner désormais la priorité à l'accumulation et non à la redistribution. La Commission européenne, à laquelle nous avons nous-même demandé d'imposer une discipline collective pour préserver la stabilité de la zone euro, a accordé un délai de 2 ans à la France, mais, attention, sous conditions. Dans ses recommandations de fin mai, elle trace une voie claire. Tout y est. Nous avions une occasion de résoudre une partie des problèmes avec la réforme des retraites, mais cette occasion a été ratée : on ne résout pas le déficit des régimes de la fonction publique et on ne touche pas aux régimes spéciaux.

La réélection d'Angela Merkel peut-elle changer la donne ?

Je pense que sa réélection triomphale signe la fin du rêve de convergence de l'Allemagne vers certaines vues françaises, comme par exemple la relance de la croissance par la dépense publique au niveau européen, comme si un euro dépensé par Bruxelles était plus efficace qu'un euro dépensé au niveau national. L'Allemagne, hyper-dominante au plan économique, n'a aucunement l'intention de s'aligner sur le modèle français. Son modèle est conforté, elle va poursuivre sa politique rigoriste et elle fera peu de concessions à ses partenaires européens. On va voir s'appliquer la fameuse règle d'or : c'est celui qui a l'or qui fait la règle. Si nous persévérons dans le déni et maintenons notre « modèle » en l'état, la divergence entre nos deux pays va s'accentuer, ce qui est une menace pour l'Europe dans sa totalité. C'est à nous de bouger, vite et beaucoup, pour recoller au peloton de tête.

Les marchés restent pourtant assez bienveillants avec la France, l'écart de taux avec l'Allemagne est toujours assez modéré…

Si les divergences actuelles continuent à se creuser - comparez l'excédent allemand avec le déficit français en matière commerciale -, l'accalmie observée sur les marchés pourrait se révéler n'être qu'un sursis. Et quand les marchés commencent à douter, les spreads à augmenter, les choses peuvent aller très vite. En déviant de la feuille de route pluriannuelle qu'elle avait définie pour le rétablissement de ses finances publiques, la France a entamé sa crédibilité. Or il y aura encore, dans les mois à venir, des rendez-vous européens difficiles…

A quoi faites-vous allusion ?

La Grèce aura bientôt besoin d'un nouveau plan de sauvetage, et peut-être aussi d'autres pays dits périphériques. Mais il n'est pas certain qu'ils l'obtiennent. L'Europe fait aujourd'hui face à un problème majeur. Dans les pays du Sud, elle est confrontée à une tolérance de moins en moins grande aux cures d'austérité. Après quelques années, deux ou trois ans de ce régime, on assiste à la montée du populisme. Tandis que dans les pays du Nord, c'est le principe de solidarité financière qui est de moins en moins populaire. On l'a vu pendant la campagne électorale allemande notamment, ou en Finlande. Cette prise de distance réciproque est porteuse de risques.

La politique de la BCE donne cependant du temps aux uns et aux autres pour se réformer.

Encore faut-il mener ces réformes. Certains pays le font, pas d'autres... Il faut bien comprendre que la politique monétaire, si elle peut apporter un soutien temporaire, ne remplacera jamais une bonne politique économique. La période de calme que traverse actuellement la zone euro pourrait s'avérer assez trompeuse. Nous sommes en pleine « répression financière ». Tout est mis en oeuvre pour que les Etats puissent se financer à bas coût. Les liquidités injectées dans le circuit financier sont canalisées de manière privilégiée, par différents moyens, vers le financement de la dette publique. Aux Etats-Unis, Ben Bernanke a multiplié par plus de deux la taille du bilan de la Fed depuis septembre 2008, y compris en rachetant des bons du Trésor américains et des actifs de qualité médiocre. Il dépasse désormais 3.500 milliards de dollars. Mais on ne peut pas gonfler éternellement les bilans des banques centrales !

Nicolas Barré, Guillaume Maujean et François Vidal


 

 
Son parcours
Quand il a été appelé au chevet de SCOR en novembre 2002, l'ancien numéro deux du Medef a trouvé une entreprise au bord du gouffre.
Onze ans plus tard, l'agrégé de sciences économiques et diplômé d'HEC a hissé le réassureur français au 5rang mondial après l'avoir restructuré de fond en comble et avoir réalisé plusieurs acquisitions significatives.
Il avait auparavant dirigé la Fédération française des sociétés d'assurances de 1990 à 1997, puis effectué un passage chez AXA, de 1998 à 2002.


 

 
Son actualité
SCOR vient de présenter un nouveau plan stratégique, « Optimal Dynamics » pour les trois prochaines années.
Il vise une rentabilité de 10 % au-dessus du taux sans risque.
« Notre solvabilité est optimale. Et la remontée inéluctable des taux d'intérêt contribuera à renforcer la rentabilité du groupe », indique Denis Kessler.
Le groupe devrait signer dans les jours qui viennent l'acquisition définitive de Generali US, qui lui permettra d'être le leader de la réassurance-vie aux Etats-Unis.
 
 

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