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Catégories : CDI du Lycée Hôtelier Le Renouveau, MON TRAVAIL

D’un cumin accord...

 

29 octobre 2014 à 18:26

  (Photo Florent Tanet)

L'auteurJacky DURANDJacky DURAND

On s’est levé à la nuit noire, avec une envie de faim, une envie de vie à réveiller le soldat inconnu. Les projets de recettes les plus soutenus surviennent ainsi dans ces petits matins inattendus. Fin de nuit de traîne, queue de songes errants, on a fait le tour des morts et des vivants et on s’exfiltre des draps tièdes comme le couffin du chat pour aller faire grincer l’escalier taillé dans le chêne de la Crochère. Ne cherchez pas cette heure avec la précision d’un horloger suisse, elle est en vous, elle est nous. Elle vous cueille au bord du lavabo - poignée d’eau fraîche et savon du petit linge - ou bien encore dans la cuisine où vous allez faire chanter la bouilloire pour un de ces cafés solubles auxquels carburent les patrouilleurs de rêve que l’on peut croiser des Maréchaux aux chemins vicinaux, en passant par la porte Saint-Denis.

A cet instant, vous ne savez pas encore ce que vous allez fricasser, brioche, tajine, terrine de campagne, morue au four… Ni si vous allez devoir régaler une tribu vorace comme une escouade de Huns sur un train de côtes de bœuf. Ou une souris esseulée débarquée d’un chagrin d’amour et qui se console avec de l’ail en chemise et des chèvres de la Drôme, odorant comme une étable d’hivernage.

Talisman. Mais pour vous, tout ça, à cette heure, c’est de la balle, de la bagatelle. Vous venez d’ouvrir la porte qui donne sur le jardin pour tutoyer la fin des ténèbres. Allez-y, éteignez les lumières, ouvrez grand les mirettes et humez la vie. L’air est gris bleu, il n’y a pas un bruit, pas un souffle, c’est comme si l’univers retenait sa respiration pour accueillir l’aube qui vient tout doucement. Cette parenthèse-là, au point du jour, ne se chronomètre pas, ne s’étalonne pas, ne se planifie pas. Elle dure le temps de l’immobilité d’un rameau dénudé par les premiers vents de l’automne, d’un voile de brume qui lèche les ronciers, d’une goutte de rosée qui perle sur une feuille de berce.

Et puis, sans crier gare, un souffle humide et froid vous caresse les pommettes et vous enveloppe ; un pépiement rompt le silence, suivi de quelques autres échanges métalliques de bêtes à plumes. Le jour est là, le ciel blanchit. Au loin, très loin, les lumières orangées, qui ont ourlé l’horizon durant toute la nuit, faiblissent. Vous songez à ces vies nichées dans ces petites lucioles qui vous fascinent aussi par le hublot de l’avion, quand vous vous abandonnez à un vol de nuit. C’est peu dire qu’ils vous hypnotisent, ces destins anonymes. Minuscules carrés de béton et de pelouse que l’on survole au-dessus des villes nouvelles ; grumeaux de tuiles parsemant le camaïeu de verts des campagnes ; petit carré de gris sur le beige du désert. Mais là, vous êtes bien sur le plancher des vaches.

Adossé à une grosse pierre froide et rugueuse que vous chérissez comme un talisman. Dans le creux du granit, vous avez posé un méchant paquet de tabac dans lequel vous allez vous rouler un gros mégot qui vous chavirera la tête quand le ciel va commencer à virer du blanc laiteux au bleu. Le temps de se préparer un autre jus de caserne et le voilà, cet azur qui fera le beau jour. Il débarque sur la pointe des nuages, entre les trouées orangées venues de l’est. C’est un lève-tard, l’azur.

«On devrait casser sa pipe à cette heure», disait, enjoué, le Vieux quand il nous emmenait accrocher le brochet à Longepierre. Il n’était pas du genre à user un divan pour se mettre à table. Fallait le cueillir de bon matin quand, une fois qu’il avait posé ses lignes au milieu des souches que seul lui connaissait, il cassait la graine avec des lichettes de pain et de comté. Sans épithète ni adverbe, il racontait peu mais bon, le Vieux. Ce qui ne l’a pas empêché de rater le quai de sa sortie. Pas de petit matin radieux pour lui mais une affreuse nuit de brouillard givrant à ne pas mettre un mort dehors. Pourtant, il est parti dans cette froidure, morne et silencieux, comme quand il allait à l’embauche, son café chaud et son vin sucré dans son bidon, avec une tranche de fromage de tête et un quignon pour le creux de 9 heures.

Alors, quand revient ce temps suspendu dans l’horizon fariné, on lui dédicace un bout de ce ciel, au Vieux. D’autant que, présentement, on a mangé la commission du changement d’heure. Je ne sais pas vous, mais nous, on s’en tamponne de la dictature de la grande horloge officielle. C’est vrai quoi, qu’importe qu’elle soit d’hiver ou d’été, pourvu qu’elle soit du point du jour, cette heure. Accrochée à cette fine dentelle de nuage qui rosit, au rocher que l’Orient chamarre, elle nous réconcilie avec le temps qui passe quand, gourmand et insouciant, on dévore les 210 recettes de la Cuisine marocaine de mère en fille, de Touria Agourram (1). Procurez-vous au plus vite ce bouquin qui dit l’amour et l’héritage culinaire. C’est une mine pour les petits et les grands gueuletons.

Pois chiches. Voici la recette des «pommes de terre au cumin» («pommes de terre m’galia») qui régalera les noceurs au petit-déj comme les mangeurs assagis plus tard dans la journée.

Pour 6 à 8 personnes, il vous faut : 1 kg de pommes de terre ; le jus d’un citron ; 1 gousse d’ail ; 1 petit bouquet de persil plat ; 1 cuillère à café de piment rouge doux ; 1 pincée de piment fort (selon votre goût) ; 1 cuillère à café de cumin ; 3 cuillères à soupe d’huile d’olive ; gros sel ; poivre. Nettoyez bien les pommes de terre sans les peler et faites-les cuire vingt minutes dans l’eau salée. Pelez-les et coupez-les en morceaux moyens, disposez-les dans un plat et réservez-les. Dans un bol, préparez la sauce avec l’huile d’olive, le jus de citron, la gousse d’ail écrasée, le persil haché finement, une petite pincée de poivre, le cumin, le piment doux, un peu de piment fort pilé si vous aimez. Mélangez bien et arrosez les pommes de terre avec cette sauce. Cette salade peut se manger tiède ou froide. Vous pouvez l’adapter avec des pois chiches. La veille, faites-les tremper dans l’eau. Le jour même, cuisez-les à la vapeur six à huit minutes dans le haut d’un couscoussier. Saupoudrez de cumin et de sel. A consommer chauds ou tièdes.

Photo Florent Tanet

(1) Albin Michel, 304 pp., 15 €.

http://next.liberation.fr/food/2014/10/29/d-un-cumin-accord_1132108

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