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L'art est-il l’avenir de l’hôtellerie de luxe ?


Le 07/11 à 05:10, mis à jour à 11:43
  • L'art est-il l’avenir l’hôtellerie luxe ?
     

    L'art est-il l’avenir de l’hôtellerie de luxe ? - Chain Link, oeuvre exposée dans l'entrée de l'hôtel Mondrian, à Londres. Niall Clutton


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D'un côté, les hôtels affichent leurs collections privées, s'offrent les services de commissaires éclairés. De l'autre, les artistes investissent les chambres d'hôtels avec des oeuvres visionnaires. L'art serait-il devenu le nouveau dénominateur commun de l'hôtellerie du luxe? Enquête sur ces nouvelles pratiques qui révolutionnent l'industrie.

Que faire quand la concurrence s'annonce chaque jour de plus en plus rude, y compris sur le secteur du très haut luxe, que de nouveaux acteurs s'affirment et séduisent la clientèle haut de gamme (Airbnb propose quelques trésors pour la séduire), et que l'on veut donc légitimement affirmer sa différence et sa valeur ajoutée? Adopter davantage encore les codes de l'industrie du luxe et opérer un « rapt » sur l'art, en particulier sur l'art contemporain, à la manière dont les grands groupes et leurs marques fleurons ont su le faire dans les années 1990. C'est beaucoup plus récent pour l'industrie hôtelière. Mais lorsqu'on est un hôtel, la spécificité même de l'activité - recevoir des clients 24 heures sur 24, 365 jours par an - oblige. Et chacun d'adopter des stratégies différentes. Dernier exemple en date? L'hôtel Mondrian, signé Tom Dixon, qui vient d'ouvrir sur les rives de la Tamise. Le design s'efface au profit d'une sculpture : baptisé Chain Link, un énorme maillon de chaîne bleu Klein s'impose au milieu du lobby. Variation autour d'une oeuvre de Claus Oldenburg, l'oeuvre donne l'impression au client d'être arrivé au MoMA. D'ici à penser que le musée d'art contemporain est devenu la source d'inspiration première des n­ouveaux hôtels de luxe, il n'y a qu'un pas! Il faut avouer que dans l'île de Naoshima, au Japon, la frontière a, depuis vingt ans, presque disparu : au fil des espaces de la Benesse House Museum, dessinée par Tadao And­­¯o, des oeuvres de Dan Graham­, Yayoi Kusama, César ou Dan Flavin font écho à celles exposées dans le Chichu Art Museum attenant. « Benesse House Museum a été inauguré en 1992 comme un lieu où hôtel et musée sont imbriqués sur la base d'une «coexistence entre nature, art et architecture», où intérieur et extérieur, espaces privés et art public coexistent », explique la direction générale de l'établissement. Cet exemple pionnier a fait des petits.

Ainsi le musée s'invite aussi physiquement à l'hôtel quand on arrive au Four Seasons Seattle. Situé face au Seattle Art Museum (SAM), il exploite sa position stratégique à bon escient : l'un des commissaires de l'institution culturelle a réuni six toiles d'artistes surnommés « The Northwest Painters » pour les exposer dans les espaces publics de l'hôtel. La collection a non seulement une valeur unique pour la région, mais la sculpture extérieure Thunderbolt, de Gerard Tsutakawa, qui zigzague devant l'entrée comme un éclair de bronze, est rapidement devenue un repère pour les habitants, au même titre que la sculpture de Calder campée, plus loin, dans l'Olympic Sculpture Park. Tout aussi sculptural dans le ciel londonien, un immense Lego de 10 mètres de haut, composé d'un assemblage de blocs géométriques, est apposé, depuis cet été, sur la façade de l'hôtel The Beaumont : l'installation The Room Suite, oeuvre du Britannique Antony Gormley qui s'inspire du corps humain, n'est pas un happening en marge de la Frieze Art Fair mais bel et bien une chambre d'hôtel à part entière, coupée du monde (sans télévision, ni réception téléphonique), où l'expérience artistique est au coeur d'un séjour : le cube, plongé dans la pénombre et le silence qui y règne, incite à l'introspection. « Pour un collectionneur, il n'existe pas d'expérience plus aboutie que de séjourner dans la tête d'un artiste, dans un espace entièrement dessiné par lui », explique le directeur général du Beaumont, qui voit la liste d'attente pour séjourner à The Room s'allonger sans fin.

Une manière de marquer l'exclusivité de l'offre hôtelière et de sa valeur ajoutée. Dans cette dynamique, l'accrochage d'art permet à nombre d'établissements d'accentuer le parallèle avec une résidence privée. Avec d'autant plus d'authenticité si la collection présente appartient à l'établissement ou à ses actionnaires. Au Park Hyatt de Chicago, c'est une oeuvre originale de Rauschenberg, digne d'une pièce de musée, qui accueille les visiteurs depuis quelques mois dans le lobby. Issue de la collection privée de Thomas J. Pritzker, président du groupe Hyatt, elle vient remplacer une autre toile inestimable appartenant à la famille : Domplatz, Mailand de Gerhard Richter, vendue 34,3 millions de dollars par Sotheby's en 2013. Dans ce même mouvement, Jacques Grange a imaginé, pour The Mark, à New York, des intérieurs truffés d'oeuvres d'art. « Ici, rien n'est ostentatoire, lance le directeur général Olivier Lordonnois. Toutes les pièces dans le lobby ont été réalisées sur mesure : il nous fallait un lieu en miroir des goûts et passions de notre clientèle européenne qui évolue dans le milieu de l'art. Jacques Grange a regroupé le travail d'artistes européens qui ont une vraie légitimité, comme Mattia Bonetti, Ron Arad ou Éric Schmitt. Les gens se sont lassés de ce qui est ostentatoire : ils veulent soit reconnaître la pâte d'un artiste, soit découvrir une pièce nouvelle dans un registre familier. C'est un vrai travail de collectionneur éclairé. Notre clientèle cherche aujourd'hui à se démarquer de l'univers des chaînes de luxe; nous accueillons de nombreux New Millenials asiatiques qui sont des leaders d'opinion et veulent se singulariser, jusque dans le choix de l'hôtel où ils séjournent. Pour ces clients «sensibles», il n'est pas question de renouer avec l'univers d'Art Basel à Miami ou de plonger dans un univers «mode» siglé de toiles de Richard Prince ou Andy Warhol. » Reste que lorsqu'on plonge dans la réalité des collections privées d'établissements - comme celles du Park Hyatt Chennai (indépendamment de son affiliation au groupe éponyme) ou de l'Alpina Gstaad récemment ouverts -, leur valeur se révèle tout simplement inestimable. Sur les murs de ces deux établissements, on découvre une sélection unique amassée par leurs propriétaires respectifs, le magnat du textile indien Vijay Mahtaney et le jeune héritier du groupe Mimran, Nachson Mimran, soit des toiles de Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Fernando Botero, Richard Prince ou Damien Hirst, Leur point commun : un engagement passionné, viscéral presque, et des collections éclectiques qui sont le reflet de leur époque et possèdent une valeur spéculative qui les rend désirables.

Mais tous les établissements ne peuvent se permettre ce type d'investissements : certains hôtels jouent donc la carte de collectionneurs en devenir, de laboratoires créatifs. Visionnaire, le Méridien a très tôt promu une jeune génération d'artistes et réuni une famille de talents à travers le monde avec son collectif LM100 : « LM100 rassemble une communauté mondiale d'esprits créatifs et d'innovateurs culturels qui contribuent à enrichir l'expérience des clients en introduisant des initiatives culturelles dans les hôtels Méridien », explique-t-on chez Starwood. Ainsi, avec son programme Unlock Art, le Méridien rapproche ses hôtels du musée d'art contemporain local : sur simple présentation de leur clef de chambre, les clients peuvent y accéder gratuitement - à Paris, le Méridien Étoile est partenaire du Palais de Tokyo. À Londres, l'Andaz Liverpool Street (groupe Hyatt) reflète à son tour l'énergie du East End : au fil de l'année 2014-2015, l'hôtel invite quatre artistes de rue à tagger les murs de quatre chambres afin de leur insuffler une énergie urbaine : entre installation artistique et expérience hôtelière unique, la frontière s'efface. « L'hôtellerie de luxe qui fait un effort supplémentaire pour se différencier est en plein essor aux États-Unis : la demande a augmenté de 5 à 10% sur la seule année 2013 », explique Scott Berman, analyste chez PricewaterhouseCoopers à Miami. Il souligne au passage les retombées d'une foire comme Art Basel Miami sur l'industrie de luxe de la ville, durant laquelle toutes les suites les plus prestigieuses sont prises d'assaut.

Cet essor est également intimement lié à l'apparition d'un nouveau type d'acteurs dans l'industrie hôtelière : exit les directeurs artistiques, place aux commissaires! À peine ouvert, à quelques semaines de la Biennale d'Istanbul, l'hôtel Vault Karaköy recrutait la jeune commissaire Zeynep Berik pour mettre en scène in situ la collection d'art du propriétaire des lieux, Y[CODE_C]ılmaz Ulusoy, et constituer, plus en amont, une sélection d'oeuvres contemporaines réalisées sur commande par de jeunes artistes turcs à partir de matériaux disponibles dans le quartier de Karaköy. « Au fil des ans, la Biennale s'est fait un nom : elle accueille aujourd'hui une clientèle de luxe éclairée qui cherche plus qu'un hôtel qui ait du style et une vision, explique Antony Doucet, l'un des directeurs stratégiques du House Hotel Group qui gère Vault Karaköy. Elle cherche un hôtel de luxe qui soit un relais artistique, qui ait un point de vue engagé sur l'art. Faire intervenir un commissaire signifie que l'établissement reste en phase, interagit, se nourrit du tissu créatif local; il évolue constamment, comme une galerie. Il faut avoir une vraie programmation culturelle, un point de vue incisif, que ce soit sur les murs ou dans la sélection musicale. En retour, le taux d'occupation durant les foires ou biennales d'art est maximal, car artistes et collectionneurs, clientèle de luxe et visionnaires s'y reconnaissent et s'y retrouvent. » Commissaire de la Biennale de Sydney, Amanda Love a quant à elle transformé les espaces du boutique-hôtel QT Sydney en choisissant ou en commandant des oeuvres « qui dépassent la simple idée de décor ». « Toutes les pièces sont de qualité muséale, explique-t-elle. Le musée s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de l'hôtel dans la mesure où chaque client peut s'y rendre pour découvrir d'autres pièces de l'artiste. » En Australie, où la culture muséale est encore jeune, la présence d'oeuvres d'art dans l'hôtel est un catalyseur, un « oeil ouvert sur la création » : l'installation digitale de Daniel Boyd dans les ascenseurs, qui évoluent en fonction du nombre de personnes qu'ils contiennent, est devenue une pièce à découvrir. « Une approche ludique de l'art dans l'hôtellerie contribue, en toile de fond, à faire aimer l'art : elle incite les visiteurs à aller au musée », renchérit la consultante en art. Et sans doute à choisir un hôtel.

 
NOUVEAUX CLIENTS, NOUVELLES ATTENTES

« Le paysage de l'hôtellerie de luxe a profondément changé depuis 2011-2012 avec l'arrivée d'une clientèle baptisée HNWI (High Net Worth Individuals) - essentiellement composée de millionnaires en provenance des pays émergents, explique-t-on chez Deloitte en marge de la parution du rapport The Global Luxury Hotels Market - Key Trends and Opportunities to 2017. Ce sont eux qui vont tirer le marché jusqu'en 2017. Les hôtels de luxe qui ont un positionnement unique, et déploient collections d'art, prestigieuses caves à vins, voitures de collection ou dîners gastronomiques orchestrés autour d'une table de chef, sont ceux qui vont bénéficier, en premier lieu, de cette croissance. Pour mémoire, après une année 2010 en berne, l'Europe enregistrait, en 2011, une croissance de 9% de l'hôtellerie de luxe. »

 
UN MUSÉE IMAGINAIRE

Composer un musée imaginaire en regroupant des toiles uniques présentes dans des hôtels? Si cela était possible, telles seraient les pièces de choix : [CODE_B]• Un mur lumineux de James Turrell (2011) installé au Playa Vik José Ignacio, en Uruguay. [CODE_B]• Tropicana/Channel (1971), une oeuvre de Rauschenberg (extraite de la série Cardboard and Related Pieces ), appartenant à la collection privée de Tom Pritzker, exposée dans le lobby du Park Hyatt de Chicago. [CODE_B]• La toile de Turner accroché au-dessus de la réception de l'hôtel Raphaël, à Paris. [CODE_B]• Pink Bra and Blue Shoes (1979-1981), une toile de Tom Wesselman appartenant à la collection du Gramercy Park Hotel, à New York. [CODE_B]• Pumpkin (2006), une sculpture extérieure de Yayoi Kusama exposée sur le ponton devant la Benesse House, à Naoshima, au Japon. [CODE_B]• Une fresque de Sol LeWitt peinte in situ dans le lobby du Park Hyatt, à Zurich. [CODE_B]• Hippo (2013), une sculpture rouge Ferrari de Ninon van der Sande plantée devant l'accès au spa du Conservatorium Hotel, à Amsterdam. [CODE_B]• Arabesque (1989), une immense oeuvre de Robert Motherwell accrochée en hauteur au Dolder Grand, à Zurich. [CODE_B]• Une sculpture de Lucio Fontana intitulée Testa di Medusa (1984) au Park Hyatt, à Milan. [CODE_B]• Une toile cinétique orange et noire doublée d'une guitare assortie imaginée par John Armleder, à l'Alpina de Gstaad.

PAR CLARA LE FORT

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