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Catégories : A lire, CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE

Alain Minc, une vie française

 

Par Laurent Joffrin

Cet ouvrage, très personnel, livre le témoignage d’un fils de résistants juifs communistes d’origine polonaise, une «identité» très française et ouverte

«Quel Français suis-je ?». A cette question qui reflète un air du temps décidément un peu étouffant, Alain Minc répond dans son livre le plus personnel, qui vient corriger, par sa vigueur et son optimisme, ces bréviaires du déclin que sont les essais de Zemmour ou de Finkielkraut. Comme on y parle fort peu d’économie ou de politique, sujets qui sont autant de points de désaccord avec le conseiller de tant de princes, sorte de Jiminy Cricket de l’establishment, proche de la droite et du patronat, on en est d’autant plus l’aise pour se déclarer cette fois en plein accord avec lui.

A l’identité fixe, craintive et fermée des intellos réacs, si fausse et si répandue, Minc rétorque, par son histoire, celle d’un fils d’immigrés juifs polonais parvenu dans les cercles les plus fermés du pouvoir par son mérite de premier de la classe et son intelligence d’énarque vif-argent, commentateur inépuisable de la vie nationale, idéologue du libéralisme sarkozien sur le tard, après avoir longtemps clamé son attachement au mendésisme.

Les grands-parents du jeune Alain ont tous été emportés par la Shoah, ses parents furent de grands résistants communistes, rattachés par le parti à cette héroïque organisation qu’on a appelé les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans, Main d’œuvre immigrée) dont le groupe Manouchian fut le commando le plus célèbre.

De ces étrangers morts pour la France, Minc a hérité un amour lucide et émouvant pour le pays qui l’a vu naître. «De ces trois termes, résistant, Juif, communiste, écrit-il, le premier m’a le plus fasciné car rien n’ancrait davantage ma francité.»Un pays qui réussit, néanmoins, à le mettre en rage quand il doit prouver à une administration sourcilleuse sa qualité de Français, lui, le major de l’ENA et de l’Inspection des finances, officier de la Légion d’honneur, et donc, selon ses termes «caricaturalement français». Il lui faut exhiber un papier jauni qui accorde à son père sa naturalisation qu’on lui chicanait alors en tant que juif polonais, mais qu’on lui accorda néanmoins pour faits de résistance.

Ramené un instant à sa condition de «sans-papiers», Alain Minc se dit néanmoins «mauvais juif», ou «juif sartrien», c’est-à-dire dans le regard des autres. Il raconte qu’il est renvoyé a son origine par deux fois dans sa carrière, à Sciences-Po, puis au Monde, quand Jacques Chapsal, directeur de l’école de la rue Saint-Guillaume, puis Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien, lui disent à plusieurs années de distance, mais dans des termes identiques, qu’ils sont heureux de saluer la promotion «d’un israélite». Persistance des clichés ethniques, même chez les mieux intentionnés des Français…

Quoiqu’ainsi catalogué, Minc est avant tout anticommunautaire. «Puis-je avouer à quel point j’ai été choqué, confie-t-il, que l’enterrement à Jérusalem des quatre victimes de l’Hyper Cacher de Vincennes apparaisse naturel ?»

Il parcourt les stations de la méritocratie républicaine et y trouve, somme toute, son identité principale, celle d’un haut fonctionnaire émule de Simon Nora, son mentor, ce grand résistant mendésiste dont on oublie trop souvent l’influence sur la vie française. Il passe ensuite au service du privé, avocat de la «mondialisation heureuse», et pourtant toujours patriote quand il note, avec un brin de fierté, que l’élite française, dans ce capitalisme sans frontières, tient fort bien son rang.

C’est un Français d’adhésion qui se confesse donc, dans ce livre sincère quoiqu’écrit parfois un peu vite, et qui incarne parfaitement cette identité à la fois héritée et volontaire définie par Ernest Renan dans sa célèbre formule du «référendum de tous les jours» qui fonde la nation française. Un Français et un Européen «obsessionnel», démontrant avec une chaleureuse conviction que les deux qualités se complètent au lieu de s’opposer, et qu’il est très français de concourir à la construction d’une Union qui a fait du continent l’espace le plus libre du monde. Héraut d’un libéralisme à la française, Minc fut toujours inventif, même dans l’erreur.

On lira avec attention son idée sur l’intégration de l’islam à la République, qui mérite examen et réflexion venant d’un Français juif qui prêche pour cette identité française forte mais ouverte, et, comme il l’écrit dans une formule heureuse, «de tant de souches», qui nous renvoie à la vraie France, celle du mélange autour de principes communs.

Il faudrait adopter, écrit-il, «vis-à-vis des musulmans la même démarche que Napoléon a suivie à l’égard des juifs à partir de 1806». C’est-à-dire soumettre les musulmans à un questionnaire dont les réponses révéleraient «la reconnaissance très largement majoritaire du primat des principes républicains». Suggestion utopique, sans doute, et quelque peu humiliante, mais qui aurait l’immense mérite de rassurer l’opinion sur les sentiments de ses compatriotes musulmans. Suggestion impertinente née d’une réflexion très cartésienne et de toute évidence républicaine. Très française, donc.

Laurent Joffrin
Alain Minc Un Français de tant de souches Grasset, 200 pp., 17 €.

Libération

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