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Jacques Martin ou l’excellence insolente

  • Catégories : La culture

    Jacques Martin ou l’excellence insolente

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    Jacques Martin (à droite), en compagnie de son compère Stéphane Collaro, le 27 janvier 1979 sur la Grande muraille de Chine.
    AFP.
    Isabelle Nataf.
     Publié le 14 septembre 2007
    Actualisé le 14 septembre 2007 : 18h27

    Décédé, hier à Biarritz, à l’âge de 74 ans, Jacques Martin sera resté l’une des plus grandes figures du paysage audiovisuel français pendant plus de trente ans.
    Ses obsèques auront lieu  jeudi 20 septembre, en la cathédrale Saint-Jean, à Lyon.

    C’EST très injuste. Mais, de Jacques Martin, certains ne retiendront sur le moment que cette image. Celle d’un homme penché sur un enfant, le micro tendu, la voix un peu mielleuse, et susurrant, « Et il fait quoi, ton papa ? Ah, c’est un bien beau métier, ça… hein, monsieur ? et il est où ton papa ? » Ou bien celle d’un présentateur en blazer bleu marine, balayant d’un air satisfait son petit monde – « un public exceptionnel de générosité » –, et annonçant « sans plus attendre mesdames, messieurs… », telle personnalité en tenue de gala. Et toujours, « sous vos applaudissements… ». L’homme aux innombrables talents s’était approprié les dimanches après-midi comme d’autres les bonnes consciences. La plupart du temps en direct du Théâtre de l’Empire, avenue Wagram à Paris, détruit un dimanche de février 2005 par une explosion accidentelle.
    On s’est souvent moqué du style Jacques Martin, celui d’une certaine respectabilité IIIe République qui séduit les femmes mûres et rassure les seniors. Atmosphère consensuelle et familiale sans prise de risques qui faisait ricaner les intellectuels. Ce qui avait le don d’agacer cet homme infiniment plus cultivé que ce que laissait deviner l’image populaire, capable de citer dans le texte Max Jacob, Shakespeare, Jean Genêt et beaucoup d’autres, et qui avait rencontré, entre autres, Marcel Jouhandeau ou Albert Camus. Pourtant, rassembler trois à quatre millions de téléspectateurs fidèles, sans sortir les arguments massues du show à grand spectacle et de l’argent distribué à tout va, n’était déjà pas donné à tout le monde. « Dimanche Martin » avait démarré en décembre 1980, succédant à « Bon dimanche » qui existait, lui, depuis janvier 1977. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cet aspect de Jacques Martin, bonhomme, consensuel à la limite du sirupeux, n’était qu’une infime facette du personnage, trop souvent caricaturé. Si l’impertinence a eu droit de cité à la télévision, ce fut beaucoup grâce à ce saltimbanque qui cachait son ironie sous sa bedaine rebondie. Tout en s’en servant pour masquer ses défaillances. « Les gros aux yeux ronds sont les personnes les plus sensibles du monde. Les couches de graisse, c’est mon bouclier et les strates de mes souffrances. »
    La pépinière Canal + – avec en tête « Les Guignols de l’info » , le journal de Jules-Édouard Moustic et celui de Karl Zéro à ses débuts – s’est directement nourrie des « Petit Rapporteur », « Par le petit bout de la lorgnette » ou « Ainsi font, font, font… » , des émissions créées par un Jacques Martin facétieux. L’air de ne pas y toucher avec sa « pêche aux moules, moules, moules, je veux pas y’aller, maman », il dynamitait le dimanche avec sa bande composée de fidèles amis : Pierre Desproges, Stéphane Collaro (« Tonton Mayonnaise »), Pierre Bonte, Piem, Daniel Prevost. Un numéro qu’il avait déjà affûté avec Jean Yanne, d’abord à la radio sur Europe 1, puis en 1964 sur la première chaîne avec le magazine « 1 = 3 ». L’ORTF croulait alors sur les lettres de louanges et d’injures. Le couple infernal ne passait pas inaperçu. Un avoué en retraite ira même jusqu’à attaquer l’ORTF et son ministre de tutelle pour « avoir ridiculisé l’Empire ». Il sera débouté un an plus tard par un tribunal jugeant que, n’étant pas descendant de Napoléon, il n’a pas d’intérêt dans l’affaire…
    Une revanche sur l’enfance
    Ce genre d’anecdotes ravissait Jacques Martin qui considérait souvent sa réussite comme une revanche sur l’enfance. Né le 22 juin 1933 à Lyon, son père industriel meurt quand il a cinq ans. Le jeune Jacques Martin passe alors plusieurs années en pension. Pas très gai, le collège des Dominicains à Oullins. Il n’a qu’une envie : sortir de cet univers étriqué. Les planches l’attirent. À l’âge de 15 ans, il monte – enfin – à Paris. Direction l’école de Charles Dullin, puis il file au Conservatoire. Il y reste peu de temps mais n’est pas découragé pour autant et pille le répertoire classique: Ruy Blas, Le Cid, Les Femmes savantes ou Le Barbier de Séville… Le matin, il fait des petits boulots et le soir est figurant au « Français ». C’est à l’époque du service militaire qu’il se découvre une voix de chanteur lyrique et se plonge dans le répertoire de l’opéra-comique. Un critique s’emballe et écrit : « Il chante admirablement, avec un registre de voix qui va de Sinatra à Régine Crespin, en passant par Mario del Monaco… » Plus lucide, Martin dira plus tard : « J’ai compris que je n’étais pas Mozart, même si je le regretterai toute ma vie. »
    L’avenir sourit cependant au jeune homme. Il n’a que l’embarras du choix pour décider de sa carrière. Jacques Martin utilise ses cordes vocales, amuse la galerie, compose même une comédie musicale intitulée Petipatapon. C’est alors qu’il rencontre Jean Yanne avec qui il choisit la radio et la télévision comme terrain de jeu, même s’il a dit, quelques années plus tard : « Moi, je n’ai jamais voulu aller à la télé. Je suis tombé dans la case télé, comme au jeu de l’oie. » Réalisateur et interprète du film Na !  en 1973, il est également acteur dans Vos gueules, les mouettes, en 1975. Sa carrière est lancée.
    Il invente des concepts d’émissions, joue parfois le méchant, notamment avec Danièle Gilbert, avec qui il présente « Midi-Magazine » et qu’il surnomme « la grande sauterelle ». Il y aura ensuite « Taratata » en 1973, « Le Petit Rapporteur » de 1975 à 1976, « La Lorgnette » et « Bon Dimanche », en 1977, puis « Le monde est à vous » , « L’École des fans » , « Comme sur un plateau » et « Thé tango » … En tout, Jacques Martin aura dirigé une trentaine d’émissions avec, dernière en date « Sous vos applaudissements » , sans jamais abandonner le théâtre (J’y suis, j’y reste en 1984) et la mise en scène (La Belle Helène en 1986).
    Jacques Martin avait une autre passion que l’on pouvait deviner à son physique, et ce malgré plusieurs tentatives de régime : la cuisine. Un art transmis par son grand-père maternel, chef de cuisine du tsar Nicolas II, et qu’il transmettra plus tard à son fils aîné, David. Victime d’un accident cérébral au printemps 1998 qui le laisse à moitié paralysé, Jacques Martin voit son contrat avec France 2 s’arrêter à l’été, une décision qui lui laissera un fort goût d’amertume. Depuis, il avait occasionnellement participé à une émission radiophonique avec Laurent Ruquier mais il était très diminué depuis plusieurs mois. En 1999, interrogé sur les conséquences de son accident, il avait confié à un magazine : « Moi qui suis un homme de bruit, qui parle à des salles pleines de milliers de gens, je suis devenu amoureux fou du silence. »

    Les enfants de la télé saluent un homme-orchestre surdoué

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     Publié le 14 septembre 2007
    Actualisé le 14 septembre 2007 : 18h41

    La disparition de l’un des animateurs de télévision les plus populaires suscite d’innombrables réactions d’émotion.

    STÉPHANE COLLARO : « Malgré l’affection de ses proches, sa vie était devenue un calvaire et il ne le méritait pas. Jacques a été l’une des rencontres les plus importantes de ma vie. C’était un être complexe et attachant qui possédait un talent extravagant. L’amitié et notre goût commun pour la farce et la dérision ont donné naissance au “Petit Rapporteur”, une émission qui a inventé un ton nouveau à la télévision. »
    L’ancienne animatrice DANIÈLE GILBERT : « Nous sommes tous des enfants de Jacques Martin. J’ai été connue avec lui et grâce à lui. Il m’a tout appris : il improvisait et il fallait réagir au quart de tour. Il avait le sens du mot populaire. C’était un être hors du commun comme je les aime, incroyablement culotté. La télé l’est beaucoup moins de nos jours. Il osait tout, alors qu’aujourd’hui la soi-disant audace devient formatée. »
    PIEM, dessinateur: «Il a su utiliser la télévision de manière brillante. Il a eu l’audace de faire des émissions avec des gens différents. Travailler avec lui était passionnant.»
    PHILIPPE BOUVARD, animateur de l’émission “Les Grosses Têtes” : « Je garde de lui le souvenir de quelqu’un qui était pétri de dons, et qui était toujours malheureux, parce que jamais content de lui. Il chantait merveilleusement mais il aurait voulu être Caruso; il faisait la cuisine comme un chef, il aurait voulu être Bocuse; il jouait la comédie épatamment, il aurait voulu être Guitry. La télévision l’avait empêché de s’épanouir complètement dans une de ces disciplines. Il a inventé des concepts d’émissions, c’est très rare. »
    JEAN-PIERRE FOUCAULT, son partenaire au Théâtre de l’Empire pour le jeu « L’Académie des 9»: «Il était une référence. Il savait tout faire. C’était un showman idéal doté d’une culture exceptionnelle. Quels que soient les domaines, il excellait. C’était l’incarnation de la télévision, avec l’impertinence en plus, à une époque où elle n’avait pas lieu d’être sur la télévision d’État. Il avait un culot immense.»
    L’animateur MARC-OLIVIER FOGIEL : « Avec Mourousi, il faisait partie des gens qui m’ont donné envie de faire de la télé. J’aimerais lui arriver à la cheville. Il savait être corrosif tout en étant rond dans le style.»
    L’ancien animateur BERNARD MONTIEL, évincé de la télévision : « Il regardait avec amertume cette télévision dont il a été un pionnier et qui l’a maltraité. Je n’oublie pas le merveilleux comédien qu’il était. Il m’a bouleversé dans La Passante du Sans-Souci,
    avec Romy Schneider.»
    PATRICK DE CAROLIS, président de France Télévisions : « Homme de passions, exceptionnellement cultivé, Jacques Martin a été, durant trente années, l’emblème d’une télévision populaire de qualité. Homme de tous les talents, il a contribué de manière éclatante à écrire le grand livre d’images du service public. »
    PIERRE BONTE, l’un de ses anciens complices du « Petit Rapporteur » : « Je suis allé le voir il y a un mois, à Biarritz, où il se reposait, accueilli par le directeur de l’hôtel du Palais. Jacques était l’homme le plus brillant de la télévision. C’était quelqu’un qui comptait tellement pour moi, professionnellement.»
    CHRISTINE ALBANEL, ministre de la Culture et de la Communication : « C’était un esprit libre, impertinent, drôle et bourré de talents. Il savait chanter, imiter, c’était un découvreur de talents J’ai beaucoup de peine. »
    Le cuisinier PAUL BOCUSE, Lyonnais comme l’animateur, salue un « vrai chef qui avait
    une passion pour la cuisine».