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Catégories : La peinture

La part sombre de Fragonard

Au-delà du cliché du libertin adulé des puissants, l’exposition au musée Jacquemart-André met en avant la vision inquiète du peintre du XVIIIe siècle.
Par Gérard Lefort et Didier Péron
QUOTIDIEN : vendredi 5 octobre 2007
Fragonard, les plaisirs d’un siècle  Musée Jacquemart- André, 158, bd Haussmann, Paris VIIIe. Jusqu’au 3 janvier. Rens.: 01 45 62 11 59. Catalogue par Marie-Anne Dupy-Vachey, 39 €.
Les frères Goncourt, un peu bavards et pâmés, voient en Fragonard «l’homme des mytho­logies plafonnantes et des déshabillés fripons, des ciels rosés par la chair des déesses et des alcôves éclairées d’une nudité de femmes.» Autrement dit : Fragonard, l’homme du Verrou, de l’Escarpolette et autres confiseries fleuries. Or, pas seulement. L’exposition du musée Jacquemart-André entend, entre autres, discuter ce jugement devenu cliché. Le parti-pris bien venu d’une mise en ­contexte permet en effet de découvrir un peintre lettré, impertinent, voire inquiet de son temps, ce qui semble la moindre des choses quand on note que l’essentiel de son œuvre est produit dans les vingt années précédant la révolution de 1789.
Salons.  
Cela dit, c’est sur ses œuvres qu’il faut juger Fragonard car on ne sait presque rien de l’individu, sinon le strict nécessaire biographique : né à Grasse en 1732 d’un père artisan gantier. Mort à Paris en 1806. Entre les deux, le parcours, au début traditionnel, d’un aspirant peintre : Prix de Rome en 1752 (il n’a que 20 ans) puis agréé en 1765 par l’Académie après le rituel voyage en Italie, Fragonard semble paré pour devenir un peintre d’histoire, genre majeur de l’époque et donc un peintre de cour. Or, pour des motifs mystérieux, il dédaigne les commandes prestigieuses, notamment celle de Versailles, et travaille pour des particuliers fortunés, tous avides que l’on voit en peinture le libertinage en vogue dans leurs salons. Ce «choix» va déterminer sa carrière.
Goguenards.  
Quelques salles sont consacrées à ces galanteries. Illustrateur de La Fontaine, Fragonard donne une tournure gaillarde à la fameuse Perette et son pot au lait qu’il figure au final de ses rêves de « veaux, vaches, cochons, etc.», les jupes retroussées sous l’œil de deux témoins goguenards. Mais c’est surtout à l’écoute des contes canailles de La Fontaine que Fragonard exprime le mieux son esprit de malice. Témoin, le Bât, affaire compliquée qui consiste pour le mari à s’assurer de la fidélité de son épouse en lui dessinant un petit âne sur le bas-ventre. Fragonard ne retient que la ruse de cette ruse : un des amants de l’infidèle, peintre de son état, reproduit au pinceau le motif effacé. L’opération a lieu dans l’atelier du peintre qui se tient de dos, assis sur un tabouret, palette et pinceaux à la main, devant le ventre offert de la dame. Ce n’est pas encore l’Origine du monde mais ça reste assez chaud. Dans le même genre, deux portraits de jeune fille : l’une dite « aux petits chiens», l’autre «embrassant un chat». Ce qu’on voit est moins benoît que ces intitulés. Les jeunes filles sont seins nus et les petits animaux, censément tout mignons de compagnie, évoquent plutôt des pitbulls larvaires, qui plus est au bord de la tétée. Même effet de dislocation du sujet évident dans les fameuses pastorales. Le propos galant (la Su rprise , l a Poursuite) est central mais jamais centré. Ce qui domine, ce sont des envolées de végétation peintes telles des échappées de fumée sombre et menaçante, tel un arrière-monde paysager prêt à fondre et engloutir les tendres humains.
Décor insolite.  A l’inverse de cette surcharge fulminante, d’autres toiles optent pour des fonds vides d’une audace plus grande encore. C’est le cas du tableau les Débuts du modèle d’après une nouvelle de Restif de La Bretonne, sur une mère offrant sa fille dénudée à une peintre. Ce qui retient l’attention, outre le sujet scabreux de la mère-maquerelle, c’est la grande toile blanche en arrière-plan, élément de décor insolite de neutralité vierge.
Une des meilleures surprises de cette exposition choisie dévoile un Fragonard épique dans une série de dessins illustrant l’ Orlando Furioso de l’Arioste et le Quichotte de Cervantès. Fragonard crayonne plus qu’il ne dessine, comme s’il inventait les règles du croquis de reportage pour fixer le surgissement d’un hippogriffe dans un épisode de l’ Orlando, ou le saccage de la bibliothèque de Quichotte par des jeunes filles riant de cet autodafé. Le rendu est presque abstrait à force d’énergie expéditive. Tiendrait-on là la formule magique du style Fragonard ? Une ambiguïté qui ne choisit jamais entre esquisse et achèvement.

Commentaires

  • c'est un sujet très intéressant, je connais peu Fragonnard, c'est dommage.
    Merci pour ton commentaire et tes souhaits de bon anniversaire pour ma fille.

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