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Catégories : Des lieux

La montagne sacrée

Par Michel Déon de l’Académie française.
 Publié le 11 octobre 2007
Actualisé le 11 octobre 2007 : 11h49

Vassilis Alexakis - Quand lemont Athos devient le lieu de rendez-vous romanesque d’un étudiant avec mille ans de christianisme.

ATHÈNES de nos jours. Une vieille dame aveugle, riche et veuve, vivant dans une des belles maisons d’un quartier encore préservé, Nausicaa Nicolaïdi, loge dans une dépendance un étudiant dont nous ne saurons pas le nom parce que c’est lui qui racontera l’histoire. En échange de cette hospitalité, il lui fait la lecture chaque jour une heure ou deux.
Une discrète amitié estnée : la vieilledame évoque des bribes de sa vie passée et révèle brusquement un intérêt particulier pour le mont Athos. N’est-il pas familierde l’histoire byzantine ? Familier oui,maispas captivé.Celadit, comment refuser ce qu’elledemande
comme une grâce : une étude de la vie monastique depuis un demi-siècle. Elle financera ses recherches, notamment l’acquisition des livres du présent et du passé, des cartes, des documents officiels, desmanuscrits relatifs au mont Athos et aux moines de toute
l’Orthodoxie : Serbes, Russes, Bulgares, Grecs et mille autres qui se sont enfermés à vie dans des monastères d’une titanesque beauté. Comment refuser ? Elle financera ses recherches et il fera un rapport aussi complet que possible.
La première pensée de l’étudiant est de se demander si MmeNicolaïdi songe à laisser sa fortune, comme tant d’autres veufs et veuves sans progéniture, aux moines athoniques. Ilne le saura qu’à la finde l’épreuve. Les recherches s’avèrent plus difficiles que prévu. S’il existe, à portée demain, une abondante littérature sur le mont Athos, bien des pans de l’histoire privée de cette communauté légendaire restent dans l’obscurité. L’étudiant se voit plongé dans les mystères et les secrets de l’Église orthodoxe. N’est-il pas lui-même natif de Tinos, l’île sacrée de l’Égée où l’icône de la Vierge passe pour miraculeuse, encore qu’elle ne se soit pas manifestée depuis près d’un demi-siècle ? La mère de l’étudiant est une simple femme dont la foi pure et rayonnante illumine la vie alors que sonmari, plombier de son état, fort intelligent et même érudit, est un pragmatique.
De cette dualité dans son éducation entre le «mont des certitudes » et la « colline des doutes», le jeune homme est armé pour devenir historien. Il entrera pas à pas dans cet univers clos guidé par des universitaires pour la méthode et par des initiés qui entrouvrent des portes secrètes sur une histoire plus étrange qu’il ne s’y attendait.
Des variations à la fois tendres et graves
Vassilis Alexakis nous a pris par lamain dès la première page et ne nous lâche pas. Grec, il écrit en français avec une maîtrise sans cesse affirmée depuis trente ans. Ap. J.-C. couronne uneoeuvre qui n’a jamais tourné le dos à ses origines. La Grèce est là, volubile et magnifique, bavarde et gourmande, toujours à vif dans un monde où, écrasée par son histoire, elle doit
feindre de se sentir à l’aise. Il y revient avec un roman dont les variations sont à la fois tendres et graves. La parole est du temps présent, mais, avec les conteurs grecs, on est assurés que les passés reviendront par bouffées tantôt humiliantes, tantôt glorieuses. 
Pour compléter son étude, le jeune homme doit accéder aumont Athos et voir sur place ce qui se perpétue d’une histoire assez fabuleuse :mille ans de défi aux Barbares.On arrive par bateau d’un port,Ouranopolis, prochede Saloniqueoùil rencontre aupréalable des universitaires et des experts en archéologie sous-marine à la recherche desmille bateaux de Xérès coulés par la tempête au large de laChalcidique, Poséidon sauvant la Grèce d’une invasion qui l’aurait peut-être rayée de l’histoire du monde antique : « J’ai, se dit l’étudiant, imaginéune forêt demâts immobiles depuis des siècles émergeant du sable des profondeurs et, juste au-dessus, un banc de poissons semblables à des oiseaux survolant des poteaux électriques. » Il se rend à une étrange cérémonie, des fidèles d’une secte, les anasthénarides qui marchent sur des charbons ardents, écoute, note, apprend que la Vierge Marie a, selon certains, visité le mont Athos, Zeus qui se trouvait là a été foudroyé par son apparition ;Marie serait morte à 57 ans.Même s’il se garde de tout lui rapporter, Nausicaa Nicolaïdi est satisfaite. Elle n’a pas besoin de savoir les compromissions politiques des moines avecHitlerpuis avec les communistes, la rapacité des autorités religieuses, les petits et les grands commerces, les moeurs, les rapports de force avec l’État grec.
Rendu en territoire sacré, il loue un taxi conduit par un moine, assiste dès les premières semaines à une bagarre sauvage entre religieux de la Sainte Communauté et les moines esphigouménites, rencontre un autremoine assez sceptique sur la visite de la Vierge, un ermite qui fut un célèbre poète péruvien distingué par la grâce divine dans une église de Lima. Et enfin, ce qu’il cherchait à la prière de Mme Nicolaïdi. Mission terminée. Taisons la fin si belle qu’il serait injuste de la dévoiler. Vassilis Alexakis l’a préparée avec art, changeant de voix et de ton quand des pensées éclair sur le passé et le futur traversant le présent, si lucideque le lecteur éprouve le rarebonheurde croire que ce roman a été écrit pour lui et avec lui.
Ap. J.-C. de Vassilis Alexakis Stock, 390 p., 20,99 €.

Commentaires

  • cette note donne vraiment envie d'en lire plus!!

    prochaine lecture!!

  • Et le mont Athos est un lieu mythique...

Les commentaires sont fermés.