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Catégories : Musique

Portrait de Berlioz en Lélio

berlioz.jpgBerlioz photographié par Nadar, à l'époque où Le retour à la vie devient Lélio

© dr 

Riccardo Muti dirige, le 26 février, les deux parties du diptyque de Berlioz intitulé "Episode de la vie d'un artiste". Soit : la "Symphonie fantastique" suivie de "Lélio, ou le Retour à la vie". Oui mais Lélio : portrait d’Hamlet en Orphée, ou vision d’Hamlet terrassé par Orphée ? (1)

Le diptyque Épisode de la vie d’un artiste est tout entier une expérience orphique, en partie magnifiée, en partie défigurée par les chimères qui hantent ses rivages. Rien n’y manque. Dans la Symphonie fantastique d’abord : un musicien qui se met en scène ; un amour menacé ; un épisode en Arcadie où deux pâtres qui chantent un ranz des vaches ne sont bientôt plus qu’une seule âme en peine ; une descente aux enfers où le veuf, l’inconsolé retrouve celle qu’il croyait perdue dans des rugissements d’ophélicléide. Puis, dans le mélologue Le Retour à la vie (rebaptisé Lélio, monodrame, en 1855), qui fait alterner le chant et la déclamation : une remontée à la surface où le héros croise des figures singulières qui ne sont que la théorie de ses doubles.

Voici d’abord le narrateur évoquant son amante et l’enfer : «Sa douce voix, changée en hurlement de bacchante», inverse délibérément les données du mythe. Vient ensuite le pêcheur, qui ne peut résister à l’appel de la sirène. Ce pêcheur est un Orphée inversé : la naïade Eurydice avait quitté les flots en entendant la voix d’Orphée ; ici, le pauvre garçon, enivré par la courtisane aux talents de musicienne, s’abandonne à la noyade. Une tradition légendaire raconte le triste destin du bel Hylas, serviteur d’Hercule, qui va chercher de l’eau : les nymphes, tombées sous son charme, l’attirent vers elle et le noient.

La sirène et le pêcheur enlacé, ou plutôt la sirène et l’artiste : ne peut-on imaginer qu’ils réapparaissent, repoussés sur la plage par la mer, comme au tout début de Pandora, le film d’Albert Lewin qui chante les grâces des belles inondées ? Le chaos des statues antiques y est doublement baigné par la musique et la lumière du matin. Les portes de la nuit enlacent avec effusion celles du jour. A moins qu’il faille aller voir du côté des Filles du feu. Ouvrons Octavie : le début de cette nouvelle de Nerval, où il est question d’«un amour contrarié», d’un départ pour l’Italie, d’une étape à Marseille et d’une jeune Anglaise appelée «fille des eaux», paraît être l’écho à peine troublé de la vie de Berlioz. De Septentrion au Grand Midi, de l’Hyperborée à la Grèce, des glaces au soleil, le vaisseau est en marche.

Je reviens à Lélio. Après Le Pêcheur, vient un Chœur d’ombres : dialogue entre le monde visible et le monde invisible, on renoue ici avec les vertus du chamanisme attribuées à Orphée. Une Chanson de brigands lui succède, scène parodique dans les montagnes où l’on boit la vie jusqu’à l’ivresse avec une rage farouche et féroce : «Au tombeau laissez-moi le suivre», s’écrie Zora. Elle est suivie d’un moment de pur émerveillement : «La porte de l’enfer, repoussée par une main chérie, se referme», dit Lélio, et le Chant de bonheur reprend une séquence de a Mort d’Orphée. Le monologue qui suit parle d’un mystérieux ami, «témoin de nos jours fortunés», chargé de creuser la tombe des amants au pied d’un chêne, puis de suspendre «à ses rameaux la harpe orpheline qui, doucement caressée par le sombre feuillage, exhalerait encore un reste d’harmonie». Le héros vient d’assister à ses propres funérailles. Orphée n’est plus, et Berlioz choisit de nous faire entendre à nouveau un fragment de sa cantate de 1827, l’épilogue instrumental cette fois. «Un chant d’amour anime l’amour», dit Philippe Beaussant (2) – mais le souvenir d’un chant de bonheur peut-il ranimer le bonheur perdu ? Nessun maggior piacere... Un sursaut de volonté de Lélio conduit à la lumineuse Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare et s’abîmera sur un écho, ou une voix intérieure, ou une chaîne infernale : l’idée fixe, l’amour irrésolu, la tentation jamais accomplie, celle qui vous pousse à revenir vers elle à jamais. Tout est à recommencer.

Christian Wasselin

(1) Ce texte est un extrait du livre de Christian Wasselin Berlioz ou le voyage d'Orphée (éd. du Rocher, 2003, p. 47-49).
(2) Philippe Beaussant, Le Chant d’Orphée selon Monteverdi (Fayard, 2002, p. 188).

Le concert du 26 février sera diffusé en direct sur France Musique et sur les radios de l'UER.

en savoir plus sur le concert du 26 février


tout savoir sur Berlioz

http://www.radiofrance.fr/chaines/orchestres/journal/portrait/index.php?port=270000063

Après la lecture d'un article dans le Figaro aujourd'hui qui évoque Depardieu qui dira le texte et la "Symphonie fantastique" comme acte de naissance du romantisme

Commentaires

  • Merci pour ce lien, je suis justement en train d'écouter le concert en direct, il me bouleverse. C'est juste que la voix (le métier ?) de Gérard Depardieu contraste avec la finesse, la poésie, la légèreté, la richesse, la générosité, la force de la musique de Berlioz dirigée par Ricardo Mutti et Matthias Brauer. En tout cas, c'est magnifique, merci France Musiques...

  • Contente que tu te sois impliquée à ce point dans cette note...

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