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Catégories : Des anniversaires

2010, bicentenaire de la naissance de Chopin

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Varsovie : À la recherche de Chopin

Nicolas d'Estienne d'Orves
19/02/2010 | Mise à jour : 17:57

Quoique intégralement reconstruits, les fameux remparts de Varsovie chantés par Jacques Brel ont conservé un charme inimitable. Claire-Marie Le Guay les arpente, entre neige et soleil.
Quoique intégralement reconstruits, les fameux remparts de Varsovie chantés par Jacques Brel ont conservé un charme inimitable. Claire-Marie Le Guay les arpente, entre neige et soleil. Crédits photo : Le Figaro Magazine

À l'heure où l'on célèbre le bicentenaire du grand compositeur franco-polonais, la pianiste française Claire-Marie Le Guay s'est improvisée Sherlock Holmes en chapka afin de débusquer le «Varsovie de Chopin». Promenade musicale.

A Varsovie, chaque rue a son spectre. Ville martyre de l'Histoire européenne, elle n'a cessé de renaître de ses cendres, après d'implacables tables rases. Anéantie par les nazis, les Russes et les socialistes, l'ancien «Paris de l'Europe centrale » est au croisement du décor d'opérette, de l'austérité stalinienne et de la branchitude galopante. Arpenter la capitale polonaise, c'est donc guigner une mémoire enfouie. Partir sur les traces de Frédéric Chopin (1810-1849) est même un vrai jeu de piste. A l'heure où l'on célèbre le bicentenaire du célèbre compositeur franco-polonais, la pianiste française Claire-Marie Le Guay est venue débusquer son souvenir. A peine remise de La Folle Journée de Nantes, elle débarque dans la neige urbaine. Deux jours plus tôt, elle jouait polonaises, nocturnes et scherzos dans une salle de 80 places. «Pour la première fois, je crois que j'ai vraiment compris Chopin», confie-t-elle, son doux visage émerveillé. La voilà maintenant sur les traces du maître...

 

Ressuscitée entre 1945 et 1954, la vieille ville de Varsovie est un décor de conte de fées, comme cette place Zamkowy, ou place du Château.
Ressuscitée entre 1945 et 1954, la vieille ville de Varsovie est un décor de conte de fées, comme cette place Zamkowy, ou place du Château. Crédits photo : Le Figaro Magazine

 L'hiver 2010 ressemble-t-il à ceux du début du XIXe siècle ? Disons que devant ces hautes congères, ces toits immaculés et ce blizzard persistant, on songe aux tableaux des musées slaves. «On n'a pas eu autant de neige depuis trente ans...», constatent les Varsoviens, avec un mélange de malice et de fatalisme. Chaleureux et brouillons, aimables et rigides, ils semblent toujours étonnés qu'on s'intéresse à leur ville. La municipalité fait pourtant beaucoup pour attirer les touristes. Ainsi ces «bancs Chopin», tous les 100 mètres, sur la Voie royale, dans la partie dite ancienne de la ville (totalement reconstruite entre 1945 et 1954). Sur ces bancs, on peut s'asseoir et entendre quelques mesures d'un morceau exemplaire de Chopin. Avec un téléphone mobile équipé du Wi-Fi, on peut même télécharger un guide audio et apprendre quelques anecdotes liées à l'emplacement, au morceau joué, à la ville.

D'une manière générale, la Voie royale est la colonne vertébrale de la Varsovie de Chopin. Ici, le palais Casimir, où vivait le père du compositeur. D'abord divisé en appartements, ce palais jaune et blanc aux allures très pétersbourgeoises est aujourd'hui le siège du rectorat de l'université. C'est une autre faculté - celle des beaux-arts - qui abrite l'étrange «salon Chopin», dans l'ancien palais Czapski. S'inspirant d'un dessin de l'époque, cette pièce reproduit les lieux de l'adolescence du musicien. Mobilier, portraits, pianos, rien n'est strictement «chopinien», mais l'ensemble est couvé par une cerbère à chignon qui jappe ses interdictions. Lorsqu'on quitte la pièce, quel contraste ! Des aspirants artistes barbouillent les murs, avec des airs hautains. Une demoiselle à crête orange est happée par son MacBook. On retrouve cette jeunesse fourmillante, qui hante les innombrables bars branchés de la capitale, hauts lieux de l'underground et du design.

L'église de la Sainte-Croix, où le cœur du musicien fut transporté

 

Sur la très classique Voie royale, à deux pas du palais présidentiel, les néons du Skwer Café illustrent bien la modernité du Varsovie d'aujourd'hui.
Sur la très classique Voie royale, à deux pas du palais présidentiel, les néons du Skwer Café illustrent bien la modernité du Varsovie d'aujourd'hui. Crédits photo : Le Figaro Magazine

 Mais retournons à Chopin, car si le musicien n'eût certes pas rechigné à entrer au surprenantOpera Club (une grande boîte lounge dans les caves de l'Opéra de Varsovie !), sa jeunesse fut davantage scandée par les églises. Là, celle des Visitandines, où il jouait de l'orgue. Plus loin, l'église évangélique de la confession d'Augsbourg, avec sa coupole verte, où Chopin joua pour Alexandre Ier. Plus loin encore, la fameuse église de la Sainte-Croix, où le musicien voulut que son cœur fût transporté, tandis que son corps était inhumé au Père-Lachaise.

Bien sûr, chacune de ces églises n'est que la savante copie d'un monument défunt. Mais, comme l'âme polonaise a survécu à tant de destructions, la foi continue d'animer ces lieux de culte. A «Varsovie la catholique», la messe n'est pas optionnelle. Tous y vont : parents, enfants, bébés, jeunes filles mutines, costauds à gros bras. Le dimanche matin, plus une place pour s'y asseoir. Derrière un pilier de l'église des Visitandines, un vieillard est seul, sur son prie-Dieu. Tandis que se déroule l'office, il s'abstrait dans son chapelet, comme un dernier lien avec le réel. Face à lui, dans un confessionnal, un prêtre ventru attend les âmes repentantes en s'endormant sous son étole.

Quittant la messe, les familles qui n'ont pas peur de braver le froid s'en vont baguenauder dans l'immense parc Lazienki. Au cœur de ces 74 hectares sommeille l'écrasante statue de Chopin, érigée par Waclaw Szymanowski dans les années 20. Etrange monument, colossal, en complet désaccord avec la délicatesse chopinienne. Assis sous un saule, le compositeur cherche l'inspiration. On songe plutôt à un haut bellâtre dévoré par un chardon, ou à un dinosaure. Jurassic Chopin ! A ses côtés, Claire-Marie semble la libellule narguant le buffle. Alentour, des dizaines de bancs figés sous la neige donnent une étrange atmosphère de fin du monde. En contrebas, un petit palais baroque est habité par des paons. Malgré 10 °C en dessous de zéro, les oiseaux errent placidement, nourris tels des pigeons. Quatre d'entre eux sont juchés sur un balcon de fer forgé, comme des stalagmites multicolores. Les familles se promènent, les enfants mangent des gaufres, c'est dimanche... Il y a à Varsovie une pulsion de vie, une volonté de fer qui transcende les époques et crée un fil rouge, malgré les carnages. Et si la présence de Chopin est symbolique, c'est dans l'âme même des Polonais qu'elle se niche.

Claire-Marie a son iPod sur les oreilles. Tandis qu'elle écoute le premier concerto pour piano de Chopin, ses grands yeux clairs balayent la ville : rues théâtrales, murailles staliniennes, publicités prosaïques. Malgré le chaos, elle comprend que Chopin ne peut être ailleurs, ne peut venir d'ailleurs. «Il suffit d'écouter sa musique, et l'on est avec lui.» La Varsovie de Chopin se cache entre ses notes ; à chacun de la trouver.

Par Nicolas d'Estienne d'Orves
Exposition "Chopin :
le réfugié romantique" à la British Library à Londres jusqu'au 16/5
Eugène Delacroix, Frédéric Chopin, 1838, Musée du Louvre © RMN "Chopin : La Note bleue"
Organisé dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Chopin, une exposition du Musée de la vie romantique évoque ses années parisiennes (1831-1849) à travers la peinture, la littérature et la musique. Jusqu'au 11/7.
Le monde 2 mars 2010

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