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Catégories : Baudelaire Charles

L'Évangile selon Philippe

Yann Moix
05/02/2010 | Mise à jour : 10:56
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Qu'attend-on pour décerner le prix Nobel de littérature à Philippe Sollers ? On lui a préféré un inoffensif pour «représenter» la France. Tant pis pour le monde. Sollers continue la guerre. Quand on demandait à Guitry quel livre il conseillait sur Voltaire, il répondait : « Lisez Voltaire ! » À la question « Quoi de neuf ? », il répondait : «Molière». Sans le savoir (encore que !) Guitry était sollersien. Nous sommes loin des gloses universitaires, qui sont à la vie ce que la commémoration est à la mémoire : de la mort pure et simple. Sollers ne fait pas « revivre » Saint-Simon : il nous montre, en le frottant à Charlie Parker, que nous n'avions pas su voir qu'il était encore en vie, et qu'il l'est pour longtemps. Vous voulez savoir ce que le 11-Septembre signifie vraiment : Voltaire en parle très bien. Le mariage homosexuel ? Ne lisez pas les pages « Idées » des quotidiens : Buffon est là, prêt à décrypter avec vous ce que signifie qu'avoir un sexe. L'athéisme ? Concept compliqué : et pour le comprendre, lisez Nietzsche, mais pas en allemand - c'est dans sa traduction française que Nietzsche explique le mieux ce qu'est Dieu !

Quand le monde détruit la beauté, n'est qu'un industriel mépris de l'art, une gigantesque bavure financière, prend-on le temps de se demander si tout n'était pas déjà annoncé (au sens prophétique du terme) dans Rimbaud ? L'obsession de ­Sollers, c'est de montrer que l'amour existe, mais pas sur la terre ferme : au Paradis. Le Paradis, cette «parade», n'est pas strictement situé au ciel : il est là, ici et maintenant, sous nos yeux, ouvrez les livres qui ne forment qu'un seul et unique Livre. La littérature, où Dante est le Père et Rimbaud le Fils (appelons «James Joyce» le Saint-Esprit) est le seul Pentateuque possible, la Loi immanente qui permet «Dieu».

Au Paradis poussent génialement les fleurs, comme autant de langues vivantes, lieu de toutes les sources et de toutes les grammaires, un infini d'écrivains : Proust et Baudelaire, Shakespeare y cohabitent dans le jardin des luxuriances mélangées. Le coup de génie de Sollers consiste à nous faire connaître les génies, à nous les faire voir, aimer, sentir sans que nous ne soyons freinés par leur nom (par leur appellation) : comme pour les fleurs, justement. Le mot «Claudel» nous empêche de penser Claudel correctement. Cette pensée faramineuse ? Mon Dieu ! C'est du Bataille ? «L'embêtant, avec Hugo, c'est qu'il faut se débarrasser de lui pour l'atteindre.». Sollers nous aide à pénétrer les tissus originels des pensées : un peu comme on verrait une toile de Watteau avec ses couleurs et sa lumière de 1720. Quelle œuvre, au monde, est-elle à la fois plus ambitieuse et plus simple que celle de Sollers, et plus généreuse surtout ?

Le Diable existe pour Sollers : une de ses modalités est l'oubli. On ne comprendra jamais rien à Philippe Sollers tant qu'on restera aveugle à sa dimension gnostique : dès l'instant où le Père sera connu, il n'y aura désormais plus d'oubli. « Les héritiers des morts sont eux-mêmes morts et c'est des morts qu'ils héritent. Les héritiers du vivant sont eux-mêmes vivants et ils héritent du vivant et des morts. » Telle est l'introduction de l'Évangile selon Philippe, un des fameux écrits gnostiques de Nag Hammadi. Philippe (Sollers) est un héritier du vivant.

«Discours parfait» de Philippe Sollers, Gallimard, 918 p., 29,90 €.

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  http://www.lefigaro.fr/livres/2010/01/28/03005-20100128ARTFIG00530-l-evangile-selon-philippe-.php 

 

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