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Catégories : Voyage

L'île d'Yeu de Marie Billetdoux

Par Marie Billetdoux, Stéphan Cladieu
20/08/2010 | Mise à jour : 18:25

Les îliens ne sont pas des gens comme les autres. Marie Billetdoux non plus. En 1991, une demi-heure avant de reprendre le bateau, elle achète une maison sur l'île d'Yeu. Depuis, son histoire d'amour ne s'est jamais démentie, comme en témoigne cette évocation élégiaque.

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<strong>Sous la bienveillante garde de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle</strong>, la plus ancienne chapelle de l'île, le petit port de La Meule, unique refuge de la côte sauvage, accueille dans son ventre de granit des embarcations telles ce vieux petit cotre de pêche ou ce corsaire tirant sur son amarre.
Sous la bienveillante garde de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, la plus ancienne chapelle de l'île, le petit port de La Meule, unique refuge de la côte sauvage, accueille dans son ventre de granit des embarcations telles ce vieux petit cotre de pêche ou ce corsaire tirant sur son amarre. Stéphan Gladieu / Le Figaro Magazine

C'est une fière, une pudique, une qui ne se donne pas le premier soir, ils arrivent non prévenus ou malmenés par une mer verdâtre, à «cinq lieues» du continent, remettent pour premier tribut à la sortie du bateau leur sac à vomissement et, laissés seuls, absolument seuls en un instant, valises aux pieds, tandis que s'éloignent bruyamment à l'entour 2 CV bleu pâle ou rouge framboise, jeeps, Méharis, emportant par familles entières les habitués et leurs connaissances, ils vont attendre là, sur le quai de Port-Joinville, le retour des deux seuls taxis partis surchargés, par chemins et venelles, déposer devant leur portail les propriétaires de résidences secondaires, plus nombreuses aujourd'hui que les maisons des Islais...

C'est une violente, une qui a du chien, une qui charme au premier œil, ils ont pris l'aller-retour pour la journée ou pour la semaine, mariés devant Dieu à la fleur de l'âge ils sont prêts tout à coup à s'endetter, à se ruiner pour elle, royaume pour les enfants, vrai livre animé où se lèvent par surprise des mini-reliefs, des moulins, des puits, des tirettes, des petites portes et des volets multicolores qui s'ouvrent et qui se ferment...

Tantôt île, tantôt presqu'île il y a quelques millions d'années selon le niveau de l'océan, longtemps coupée du monde (« Certains jours on ne voit plus le continent » alors résonne la corne de brume) mais toujours convoitée, assaillie avant les estivants par les envahisseurs de toutes sortes, barbares, pirates, corsaires (assiettes en étain et longs pistolets de bois à guirlandes d'argent giseraient par centaines de mètres de fond) - longtemps elle n'a pas fait parler d'elle. Encore stupéfait de son triomphe à Ré, Satan offre toujours, contre une âme, ses ouvriers contrefaits pour 25 km de pont, mais n'a pas réussi à conclure, manque l'enfant, dit-on, - « un garçonnet de 4 ans de préférence » - à emmurer vivant dans les premières fondations pour leur solidité comme à Rosporden (Finistère) celui, tout nu, une chandelle bénite dans une main, un morceau de pain dans l'autre, qu'on entend, la nuit, appeler sa mère...

Posée dans l'océan à la proue de l'Europe, l'air d'un jeune chat assis, de dos, fixant les Anglais, oreille gauche dressée (la Pointe du But) oreille droite moussue (la Pointe de la Gournaise), le bout de la queue à la Pointe des Corbeaux, faisant gros dos du côté du large (la Côte sauvage), accueillante par où justement elle est vulnérable et par où on l'aborde depuis toujours, elle est faite de la pierre dont elle a fait ses églises et du bois de ceux qui n'ont (n'avaient) besoin de personne, hors la protection de Notre-Dame-du-Port, patronne des marins.

Elle est là, fragile et forte à la fois, brutalité de la lumière, rose des hortensias, bleu vif des coques dansant au bas des quais, jaune des genêts et des mimosas, vert noir des hauts cupressus, mais aussi soumission, consci ence perpétuelle de celle avec les humeurs de qui chaque matin il faut compter, traiter ou pactiser; celle qui, par gros temps et grosse lune, renverse les navires, libère des hordes de chevaux blancs étincelant soudain comme les rubans des danseuses chez Degas dans le vaporeux du tulle, qui courent, courent à sa surface tout en poussière d'eau se fracasser contre les rochers; celle qui la cerne de sa présence parallèle, qui la nourrit, mais lui prend ses enfants, et d'où s'élèvent, « chaque fois que la lame en fureur roule leurs ossements dans ses plis et les éloigne du rivage », les gémissements des âmes des naufragés... (la zone la plus touchée des côtes de Vendée).

Nombre de bateaux ont été perdus «corps et biens», sans autre explication que la violence des tempêtes, un long passé d'attente, de courage, de sauvetages la Norvège reconnaissante »), puis de deuils a marqué une population de femmes, d'enfants, d'anciens et de malades restés à terre, tandis que les hommes « prenaient service en mer comme mousses dès l'âge de 10 ans »... Ceux dont l'océan n'a pas rendu le corps - il faut 9 jours, dit-on -, chaque fois qu'une porte grince, sont toujours attendus.

Mais nombre de miracles aussi ont jalonné l'histoire de cette terre, terre enfantine et impétueuse où il faut faire avec les astres, avec le vent, avec les flots et les esprits: « Vierge, tes marins et tous leurs enfants / jamais n'oublieront tes bienfaits touchants / car cent fois ton bras menant au rivage / leur fit éviter un triste naufrage /... Reine du port, chantent depuis près de deux siècles (au temps où on chantait en mer) les marins en chœur, nous te saluons ! » Il n'est que de voir la photo prise du côté des Chiens-Perrins, au large de la Pointe du But, pour être parcouru d'un long frisson chargé d'effroi: la force de la houle là-bas est telle que l'écume épaisse, devenue jaune, semble charrier des ballots de coton brut... C'est alors (1620) qu'un maître d'équipage et un vicaire de la paroisse, après avoir ordonné de « couper les mâts », vouèrent le navire « à la glorieuse sainte Anne » et le navire... se releva! Mais aussi le Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort qui réussit à déplacer, seul (1712) un énorme rocher. Mais aussi l'abbé Théophile Poirier et l'instituteur Edouard Moreaux - « nous partions quatre en excursion... » -, qui furent « à deux doigts de la mort » sauvés du lieu-dit «le Trou d'Enfer» le soir du 8 décembre 1921 par Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours...

J'ai compté, sur une carte simplifiée, 4 trous, 6 grottes, 1 cap, 3 phares, 2 becs, 10 anses, 19 pointes, 2 églises dont un clocher tronqué par la foudre, 4 cloches, 2 cimetières et... 23 plages: il y a celle où tout de suite on n'a plus pied, celle où il n'y a jamais de vives (ou «épines de Judas»), celle où les petits ne risquent pas de se perdre, celle où « il n'y a personne », celle éclairée comme à Venise par un soleil dans le dos, celles dont on revient seul, à bicyclette au soleil couchant, ébloui, avec des mines d'explorateur de terres encore vierges, celle où les jeunes, aplatis en étoiles sur le sable en fin d'après-midi, nous préparent la société future tandis que les vagues, en rouleaux tout à coup, déchainées, trouant le sol sous les pieds, retirent leur culotte aux enfants, médailles de baptême, croix d'or en pendentifs ou boucles d'oreilles car les dames, ici, surtout plage des Vieilles (c'est un poisson), se baignent avec bijoux.

Mais quand la mer le matin est plate, presque laiteuse, on peut voir ces dames immobiles au milieu, une cuisse levée, puis l'autre, une main en cuiller ramenant rapidement un peu d'eau sur les bras ou la nuque, parlant à une autre semblable se découper sur l'horizon et l'air aux échos de cathédrale, par bribes alors, porte aux oreilles les évènements de l'hiver: « Domitille a quitté Noé... Elle m'a dit : "Ma-man-je-ne-le-sup-porte-plus !..." » et cela peut durer un temps infini. C'est là, dans l'île, qu'on a connu tant de «premières fois»: la première fois que, pour suivre les autres, on s'est lancé à l'eau du haut de la falaise; la première fois qu'on a chanté à grande voix, «Chez Tintin», à Saint-Sauveur - les bébés en pyjama sur les épaules des papas debout dans la petite rue - des chants de marins; ou des chansons fleuries (entendez gaillardes) «Chez Jeannette», au bar de l'Escadrille, jusqu'à 3 heures du matin et foulé la rosée de Vendée; la première des «premières fois», derrière les dunes, attirée là par le séducteur de l'été (du latin seducere, conduire à l'écart) qui s'est marié deux ans plus tard avec une autre, car, de Paris, d'Angers, du Mans, d'Amboise on vient à Yeu s'épouser. Noces en juillet amènent les regrets; en août, époux jaloux; mariage retardé, mariage faussé; mais combien de mariages, aussi, sous la pluie? Si les mariés se mouillent les pieds, ils seront trois dans l'année: la première fois, alors, qu'on remorque son bébé en carriole jusqu'aux plages; la première fois qu'on lui met sur la langue un doigt trempé de pineau, des miettes de tarte aux pruneaux (pâte semi-feuilletée au beurre salé, 5 cl de rhum pour 200 grammes de pruneaux, cannelle, sucre, croisillons de pâte dorée au jaune d'œuf, 25 minutes à 220 °C) pour la tête qu'il fera; la première fois que, ligoté sur le porte-bagage de la bicyclette, on va l'emmener par les chemins creux à travers la lande couchée par le vent essayer, à son tour, de basculer la Pierre tremblante dans la mer; la première fois qu'on voit se vendre des poissons entiers, bars, turbots, dorades, ou des langoustines par kilos dans la balance: « Cinq kilos, ça vous fait trop ? » devant tout le monde, songeant à part soi « C'est sans doute ça, le bonheur »; la première fois que, ruisselant de larmes assise sur la plage, n'ayant plus le temps ni de courir ni de crier, les yeux fixés dans le ciel au sommet de la falaise où progresse en file indienne vers le vide une dizaine de jeunes gens nus, vous priez pour votre grand qui va sauter. Mais qu'un Islais en visite l'aperçoive un peu plus tard sur le canapé: « A feurm'ses eilles pir qu'ine peutonc ! » (il dort bien!).

Maisons du bourg et fleurs des rues, hantées encore par les silhouettes noires des dentellières et des gaufreuses en quichenotte, ou maisons avec terrain, marguerites et résineux? Il y a ceux qui trouvent vulgaire la rose trémière, - une roturière qui se prend pour une aristo (al et fagotée comme une maraîchine), une m'as-tu-vu qui fait sa pimbêche au pied des façades (a leuve un nez pir qu'in chin qu'emporte ine tripe), et ceux qui la révèrent pour les mêmes raisons, sa solitude et son indépendance. Il y a ceux qui se souviennent des forts caractères qu'a produit cette île: l'abbé Tournemire qui réglait les différends entre paroissiens à coups de poings, mort à la guerre, ou la veuve Dumonté, née Félicie Bernard: « Je donne et lègue tous mes biens aux pauvres et malades de la commune de l'île Dieu (sic)... Le nom de M. Dumonté sera mis en relief sur la porte d'entrée [de l'hôpital], si on n'accepte pas cette condition, je ne donne rien ! », il y a 134 ans... Et il y a ceux qui oublient qu'elle a dû conquérir tout de haute lutte pour sa survie (l'électricité par câbles sous-marins en 1954, l'eau courante idem en 1961 seulement, coupures mémorables par «cargos non identifiés», etc.), une île qui se réveille ahurie de s'entendre appelée, depuis quelques étés, «le Saint-Tropez de l'Atlantique».

Et pourtant... Visite de maisons à vendre (un jeune notaire vient d'arriver), mais aussi concours de surf-casting, sorties en voilier pour la journée ou le coucher de soleil, école de plongée, championnats et tournois de foot pour benjamins et poussins, défilés de chars fleuris à la Pentecôte, Fêtes de la sardine, dédicaces à la Maison de la presse, après-midis patois par l'association « Y vl'ons parler îlas », trail sur 45 ou 23 km organisé par les pompiers de l'Extrême, florilège d'airs et de duos d'opéras, et même, même, saut en «chute libre», de l'hélico OYA VENDÉE, 15 minutes de vol (+ le film): « Avec une mariée aussi ? » fis-je, voyant déjà la robe, le voile, les petits pieds dans le ciel comme un Chagall: « Mariée, divorcée, pacsée... J'emmène tout le monde ! »


Les bonnes adresses de Marie Billetdoux


Crédits photo : Le Figaro Magazine

Le restaurant La Meule (barbecue sur la terrasse en juillet-août, 02.51.59.57.32).

Le restaurant «Les Bafouettes» (spécialités de la mer, 02.51.59.38.38).

Le café «A l'abri des coups de mer» (Chez Tintin), à Saint Sauveur, (pour ses tables en merisier «polies par les manches des marins» et son ambiance, (02.51.58.52.31). On ne réserve pas, on entre, on prend un verre.

La crêperie Snack-Martin (pour ses patagos à l'ail et au vin blanc, 02.51.58.52.68.)

 

Par Marie Billetdoux

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