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Catégories : La littérature

Mario Vargas Llosa : "Je me suis revu à 5 ans"

Dans quelles circonstances avez-vous appris que vous receviez le prix Nobel de littérature ?

Il devait être environ 5h30 du matin à New York où je réside actuellement pour un semestre, et j'étais déjà à ma table de travail depuis une demi-heure. Ma femme s'est approchée de moi, elle avait une expression étrange. Je me suis dit, mon Dieu, il est arrivé un accident ! Elle me dit qu'un monsieur veut me parler au téléphone. Je prends le combiné, il y a un énorme brouhaha derrière mon interlocuteur, qui se présente comme un membre de l'académie de Suède. Puis nous sommes coupés. Il me rappelle, il me passe le secrétaire perpétuel de l'académie qui m'annonce que je suis le lauréat du Nobel de littérature cette année et que la nouvelle sera officielle dans 14 minutes !

A quoi et à qui avez-vous pensé après avoir raccroché ?

J'étais extraordinairement surpris. Je n'en revenais pas, j'étais presque confus ! Et puis très vite, dès que la nouvelle a été officialisée, le grand cirque a commencé, une véritable folie, un vertige : les téléphones ont sonné dans tous les sens, des gens ont commencé à arriver de partout, la famille, les amis, à tel point que je ne savais plus qui j'étais !

J'ai réfléchi ensuite à la manière dont tout cela avait commencé : je me suis revu tout petit, à 5 ans, apprenant à lire, en Bolivie, et comment la lecture, cette chose formidable, magique, avait bouleversé ma vie et l'avait enrichie. J'ai songé à ma mère, une grande lectrice, qui n'a jamais cessé de m'encourager et qui serait si contente aujourd'hui si elle était encore vivante. J'ai repensé à mes années de jeunesse, difficiles, à l'académie militaire, quand j'ai découvert que je voulais être écrivain, que je voulais consacrer ma vie à l'écriture, que je voulais vivre de ma plume, ce qui semblait totalement impossible, surtout au Pérou, où la littérature est considérée comme un hobby, un passe-temps pour les jours fériés pluvieux. J'ai aussi pensé à un oncle, Luis Lucho, un homme merveilleux qui m'a poussé à suivre ma vocation, à m'engager et qui me disait que, si je ne le faisais pas, je serais malheureux toute ma vie. Deux noms encore : Carlos Barral, mon premier éditeur espagnol, qui brava la censure franquiste pour publier La Ville et les Chiens, mon premier roman, et mon agent littéraire, Carmen Balcells, qui a tant fait pour moi. Et puis, j'ai tout simplement pensé à la littérature, à cette vocation merveilleuse, à cette récompense extraordinaire, à qui je dois les meilleurs moments de ma vie, qui m'a fait rêver et m'a apporté tant de plaisirs. Et à la chance que j'ai eue, celle de pouvoir m'y consacrer chaque jour.

Quels sont les grands auteurs qui vous ont inspiré ?

Jules Verne, Victor Hugo, Alexandre Dumas... Ils m'ont beaucoup aidé, surtout à mes débuts. J'ai une immense passion pour la littérature du XIXe et du début du XXe siècle : j'ai lu et relu Thomas Mann qui ne m'a jamais déçu, en particulier La Montagne magique, une cathédrale littéraire. Les Démons de Dostoïevski, Guerre Paix de Tolstoï, Moby Dick de Melville, Madame Bovary, bien sûr, du grand Flaubert, celui qui m'a tout appris, sont toujours avec moi. Et puis il y a aussi Faulkner dont l'influence a été énorme, ainsi que Malraux, celui de La Condition humaine, un immense écrivain à mes yeux, qui n'a pas été suffisamment reconnu comme tel pour des raisons politiques... Je me souviens que lorsque j'étais jeune journaliste à Paris, dans les années 1960, chaque discours de Malraux était une oeuvre de littérature.

Comparé aux derniers lauréats du Nobel de littérature, vous êtes un libéral. Vous présentez donc un profil politique atypique pour l'académie suédoise...

Absolument, je le revendique depuis au moins quarante ans ! Jusqu'à ce fameux coup de téléphone, j'étais persuadé qu'un écrivain qui se déclarait libéral n'avait aucune chance de remporter le Nobel. C'est notamment pour cette raison que je pensais que je ne le recevrais jamais, que j'étais trop controversé, mes activités journalistiques et un temps politiques m'ayant entraîné, souvent malgré moi, dans de nombreuses polémiques. Eh bien, je me suis trompé !

Que signifie votre Nobel de littérature pour l'Amérique du Sud ?

J'espère qu'il va encourager les partisans de la démocratie et de la liberté - économique, politique, culturelle... -, ce pour quoi je milite et me bats depuis des décennies dans mes articles de journaux, tous les quinze jours. J'ai toujours combattu l'autoritarisme, de gauche comme de droite. Et je dois dire que malgré des problèmes encore énormes, l'Amérique du Sud est bien orientée, il n'y a plus qu'une dictature - Cuba - et seulement quelques "demi-dictatures" comme le Venezuela de Chavez ou le Nicaragua... La gauche a opéré un tournant démocratique et social-démocrate, ouvert au marché, comme au Chili, au Brésil et en Uruguay, et la droite est elle aussi démocratique, ce qui est nouveau pour le continent sud-américain.

Vous faites de la littérature engagée ?

Je suis certainement un écrivain engagé, mais je considère que la littérature, le roman ne doivent pas être encadrés par la politique. La propagande n'a jamais fait bon ménage avec la créativité.

Vous publierez le mois prochain en espagnol un nouveau roman. Quel en sera le sujet ?

Il s'intitulera Le Rêve du Celte, avec pour personnage principal Roger Casement, un Irlandais qui fut le premier à fournir des documents sur les atrocités au Congo belge et la destruction des communautés indiennes en Amazonie, décimées par la fièvre du caoutchouc au début du XXe siècle. Casement fut un grand ami de Conrad et il l'aida à écrire Au coeur des ténèbres. Je suis allé au Congo pour préparer ce livre et ce fut une terrible expérience.

 

Propos recueillis par Olivier Guez

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