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Catégories : L'économie

Grover Norquist, chantre du moins d'État en Amérique

 

Par Laure Mandeville Publié le 25/10/2012 à 18:37
Grover Norquist, en novembre 2011, à Washington.
Grover Norquist, en novembre 2011, à Washington. Crédits photo : Haraz N. Ghanbari/AP

Influent lobbyiste au Congrès, Grover Norquist encourage les élus à prêter un « serment solennel » de ne jamais augmenter les impôts.

Avec ses fines lunettes cerclées et sa petite barbe poivre et sel, Grover Norquist ressemble à un professeur d'université. Mais son regard bleu, qui vous transperce comme un laser, n'a rien d'académique. S'il aime bien jouer la comédie et a gagné, à ses moments perdus, plusieurs concours de sketchs politiques, dans la vraie vie un seul sujet l'occupe jusqu'à l'obsession: faire baisser les impôts et, ce faisant, réduire à la portion congrue le rôle de l'État fédéral, son ennemi juré.

En ce sens, le lobbyiste conservateur Grover Norquist est l'incarnation d'une bataille qui est au centre de la campagne présidentielle de 2012, sur la question du rôle de l'État fédéral en Amérique. D'un côté, les héritiers de Ronald Reagan, dans une version jusqu'au-boutiste, qui rêveraient de jeter avec l'eau du bain tous les acquis du XXe siècle, système de retraites et protection sociale compris (une extrémité où ne se risqua jamais Reagan, leur icône). De l'autre, les démocrates, qui tentent, non sans difficultés, de défendre les systèmes de protection sociale arrachés sous Theodore et Franklin Roosevelt après 1900. Et plaident, timidement, pour une forme de régulation en matière environnementale ou financière.

La violence de l'empoignade doit bien sûr beaucoup à l'ADN anti-État de l'Amérique, qui remonte aux origines du pays. Mais elle a été largement orchestrée par Grover Norquist, qui, depuis 2009-2010, a beaucoup travaillé à la mobilisation des Tea Party contre «le socialiste Obama». En France, Barack Obama se retrouverait sur bien des points du côté de la droite en matière de régulation étatique. Mais, en Amérique, il fait plus souvent figure de dangereux marxiste. «Je ne veux pas abolir l'État, dit Norquist. Je veux juste le faire rétrécir à tel point qu'il puisse se noyer dans une baignoire».

Né en 1956 dans un milieu très aisé - son père était vice-président de Polaroid -, Grover s'est passionné très tôt pour la politique, faisant même du porte-à-porte pour Nixon à l'âge de 12 ans. Enfant de la génération Reagan, anticommuniste fervent, il s'est enflammé pour les guérillas contre-révolutionnaires du monde entier, allant jusqu'en Afrique pour y rencontrer l'Angolais Jonas Savimbi.

«Une méthode de parrain»

Mais c'est finalement dans le lobbying qu'il trouve sa voie, profitant de ses contacts au sein de la nébuleuse conservatrice au Congrès pour devenir le champion des corporations en quête de lois favorables. Depuis 1985, il a fondé une association d'activistes, Americans for Tax Reform, devenue un redoutable levier d'influence. En échange de textes favorables à ses clients, Norquist met à la disposition des élus sa formidable machine de terrain, mélangeant sans complexe travail idéologique et business. Cette méthode du donnant-donnant a fait chuter le scandaleux lobbyiste Jack Abramoff, son frère en politique. Mais, curieusement, Grover Norquist, célèbre pour les réunions de brainstorming politique qu'il organise chaque mercredi, ne cesse de grandir en influence, devenant à peu près incontournable.

En 2010, il décide d'encourager les élus à prêter un «serment solennel» de ne jamais augmenter les impôts. Quand ils se renient, Norquist les place sur liste noire et part en campagne pour «les faire chuter» aux élections suivantes. «C'est une méthode de parrain», lui lance un journaliste de télévision dans «60 Minutes». «Non, c'est la sanction des électeurs», réplique ce Robespierre. En 2012, l'homme est si influent qu'il a convaincu quelque 238 représentants républicains sur 242, et 41 sénateurs sur 47, de signer son serment. Il a aussi arraché une promesse semblable à presque tous les candidats ­présidentiels républicains, Romney compris.

Ce serment des élus conservateurs a empêché tout accord avec les démocrates sur la dette, au Congrès, poussant le pays au bord du précipice budgétaire. «C'est l'homme le plus puissant d'Amérique, assure Alan Simpson, ancien président de la Commission sur la dette. Il refuserait de voter des impôts même si le pays devait aller en enfer!»

Certains, même à droite, s'insurgent contre ce radicalisme. Jeb Bush, ex-gouverneur de Floride et favorable à un compromis, a violemment critiqué Norquist et sa «faction idéologique livrée aux intérêts spéciaux», manière d'accuser le lobbyiste de maquiller son travail pour les grandes corporations en combat contre l'impôt. Qu'en pense Mitt Romney? Romprait-il son serment s'il devait être élu président, afin de dénouer le nœud gordien de la dette? Dans ce cas, il trouverait Norquist vent debout sur sa route.

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