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Catégories : A lire

Debray à ses maîtres

 

Par (L'Express), publié le04/01/2013 à 16:20, mis à jour le 07/01/2013 à 14:39

Dans Modernes catacombes, Hommages à la France littéraire, "Régis Debray rend hommage à ses maîtres en littérature. Ces anciens dont le point commun, au-delà de leurs divergences, a pour nom Chateaubriand. 

Modernes catacombes, l'hommage de Régis Debray à ses maîtres

Régis Debray appartient au club "Chateaubriand ou rien fondé par Victor Hugo.

"Je veux être Chateaubriand ou rien." Combien d'écrivains français se sont répété la formule du jeune Hugo ? Le vicomte breton aura été leur figure tutélaire et leur compagnon en mélancolie. Régis Debray appartient au club. Mais on ne devient pas membre sans traumas. Entre les Mémoires d'outre-tombe et La Guérilla du Che, il y a toute une vie. Et un chemin de croix ponctué de stations en guise de sas de décompression : Malraux, de Gaulle, France, République... A tout seigneur tout honneur, Debray ouvre son recueil d'"hommages à la France littéraire" sur le constat désabusé du maître : "Pourquoi ai-je survécu au siècle et aux hommes à qui j'appartenais par la date de ma vie ? Pourquoi ne suis-je pas tombé avec mes contemporains, les derniers d'une race épuisée ? Pourquoi suis-je demeuré seul à chercher leurs os dans les ténèbres et la poussière d'une catacombe remplie ? Je me décourage de durer." 

Depuis ses Rendez-vous manqués (1975), l'essayiste et romancier déplore d'avoir eu 20 ans à une mauvaise époque (1960), d'avoir été placé contre son gré "dans le wagon de queue de l'Histoire". A qui la faute ? Il ne s'est jamais remis de la main basse de ses aînés, Gary, Gracq, Mauriac, Cordier, Aragon... sur l'Histoire majuscule (la débâcle, l'Occupation, les camps, la Résistance) et la littérature. D'où le "sentiment saugrenu" qui le taraude : celui du "débiteur indélicat qui ne se pardonne pas de n'avoir payé sa dette" dans des combats dignes de ceux des anciens. Alors, pour oublier, il lit. Beaucoup et bien : "les plus classiques d'entre nos modernes", ceux qui viennent d'"un temps d'outre-tombe" - bien sûr - "d'avant les linguisteries et les sociologismes". On vous a compris ! 

Ces textes, discours, préfaces sont classés en chapitres torboyautants : "Couteaux", "Chapeau !", "Flambeaux", etc. Il faut le savoir, le Debray des bons jours ne dédaigne pas le farfelu, et, lorsqu'il s'y adonne, l'atrabilaire en lui s'esquive. Ces Modernes catacombes débutent par quelques coups de griffe, des "ingratitudes", écrit-il, grand siècle. Dans cet exercice, il use avec talent de la dague (le stylet, c'est l'homme ?). Le premier de la liste à en faire les frais est Philippe Sollers, réduit à l'état de "maître de ballet". Suivent Foucault et Jean Clair. Mais l'académicien Goncourt ne dédaigne pas les "actions de grâce" : hagiographie pour Jean Daniel, ode quasi filiale pour Gary et Malraux : "Les deux mythomanes arrivèrent ensemble, et en retard, à Colombey, ce 12 novembre 1970, lorsqu'un autre magicien, mégalo pour de bon, las de nos médiocrités, fit ses adieux à la petite troupe des derniers Français libres." 

Le rôle peu glorieux du Nambikwara

Sous le dégagement brillant perce l'ancien khâgneux. L'analyse du court, du lapidaire, en littérature, comme quintessence de l'orgueil, voire de l'exhibitionnisme ("Regardez ce dont je suis capable"), est un régal. Dommage que Debray ne puisse se débarrasser d'un tic : la formule grandiloquente à la Malraux, précisément ("Le grand reportage, c'est le naturalisme plus l'électricité ; le récit de voyage romantique, plus la rotative industrielle", etc.). Il en use et en abuse comme d'autres des calembours. Mais on est prêt à pardonner à celui qui sait rire à ses dépens, lorsque, par exemple, il se retrouve "dans le rôle peu glorieux du Nambikwara des forêts brésiliennes appelé à exposer ses propres mythes fondateurs". Un rôle pour happy few que seul le très élitiste auteur de Loués soient nos seigneurs sait interpréter, bien entendu. 

Modernes catacombes. Hommages à la France littéraire, par Régis Debray. Gallimard, 310 p., 23 euros. 

http://www.lexpress.fr/culture/livre/modernes-catacombes_1205525.html

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