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Giuseppe Penone parsème Versailles d'arbres, de marbres, et autres traces(j'ai aimé ça il y a une dizaine de jours)

LE MONDE | 13.06.2013 à 08h35 • Mis à jour le 13.06.2013 à 13h14 | Par Philippe Dagen

Giuseppe Penone et sa sculpture "Tra scorza e scorza", à Versailles, le 6 juin 2013. Giuseppe Penone et sa sculpture "Tra scorza e scorza", à Versailles, le 6 juin 2013. | AFP/CLAIRE LEBERTRE/ADAGP, PARIS 2013

Giuseppe Penone a disposé dix-neuf sculptures dans le parc de Versailles et trois dans le château. Cet après-midi de juin, il s'assure que tout est en place. Les jardiniers travaillent encore à l'installation d'Anatomie, six stèles de marbre blanc en deux lignes de trois, de part et d'autre d'une œuvre horizontale, une longue allée rectangulaire de marbre sur laquelle est posée une colonne du même marbre. Penone s'inquiète parce que le sol fraîchement remué n'a pas été encore recouvert du gravier gris des allées. La différence de couleur est visible. "On dirait une tombe : ça ne va pas." Les ouvriers lui assurent que le gravier sera placé comme il le faut.

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Pendant ce temps, on a pu étudier de plus près les stèles. Chacune, haute de près de 3 mètres, a été découpée à la scie dans les carrières de Carrare. Puis Penone s'est mis au travail. "Je cherche à dégager les veines, en suivant les lignes de la pierre." Selon les cas, il s'enfonce profondément dans le bloc ou demeure presque à la surface. Le burin trace des stries parallèles qui font penser aux hachures d'une eau-forte, imprimées dans le marbre blanc comme du papier. Mais l'analogie la plus immédiate est celle que suggère le titre : des veines de la pierre à celles d'un corps, des lignes à celles de muscles ou de nerfs, du minéral à l'organique. Ou au végétal : on dirait des racines fossilisées que l'artiste, devenu archéologue, aurait fait apparaître lentement, comme au fil de fouilles. "Il faut que le marbre ait des veines. Les sculpteurs, autrefois, choisissaient toujours des blocs veinés, parce que ces lignes animaient leurs œuvres. Ou elles donnaient des idées aux sculpteurs."

Face à la pièce horizontale au centre de cet ensemble monumental, les références anciennes sont plus présentes encore : sur le lit composé de 64 plaques est posée une colonne, dont la surface est sculptée de la même manière que les stèles, en dégageant légèrement torsades et entrelacs. Mais ce n'est là que la première partie de la création, manuelle. La colonne a été ensuite photographiée, l'image traitée par ordinateur et une partie des plaques retravaillées par un robot qui les a creusées de façon à produire l'illusion que la colonne, en roulant sur elles, y aurait imprimé ses reliefs – ce qui est évidemment impossible.

"Elevazione" par Giuseppe Penone, dans les jardins de Versailles."Elevazione" par Giuseppe Penone, dans les jardins de Versailles. | AFP/CLAIRE LEBERTRE/ADAGP, PARIS 2013

"LES MATÉRIAUX SONT PRIMORDIAUX"

C'est, pour Penone, une nouvelle variation sur des notions essentielles pour lui dès ses débuts, en 1969, à 22 ans : l'empreinte, la trace. Il l'admet sans peine. "Bien sûr, il y a cette continuité. Comme il y a celle des matériaux, la pierre, le bois. Les matériaux sont primordiaux. Mon travail a toujours été d'essayer de comprendre leurs propriétés et de suivre leurs suggestions. La seule différence, entre le bois et la pierre, c'est que, dans le bois, un arbre et un seul est enfermé alors que, dans la pierre, les directions possibles sont plus nombreuses."

"Un arbre et un seul" : Penone se réfère à ce qui est aujourd'hui la part la plus largement connue de son œuvre, mais aussi l'une des plus anciennes. Dans une poutre ou dans un tronc, en suivant les cercles de croissance et les lignes, il dégage l'arbrisseau qui est devenu, plus tard, un très grand arbre. Devant Arbre-porte, dans le château, il se souvient comment il est entré dans cet épais fût de cèdre, à partir de quel point de l'écorce il a commencé à inciser, puis à transpercer la masse. Au centre de cette ouverture apparaît l'arbre tel qu'il était, des siècles auparavant, un tronc frêle, des branches faciles à casser. L'art s'accomplit à rebours du temps.

Mais cette œuvre emblématique est la seule de son genre dans l'exposition. Invité à s'installer à l'extérieur, Penone ne pouvait que préférer la pierre, le bronze – et l'arbre vivant. "J'ai réfléchi à partir du plan du parc. Il y a donc, en fait, deux groupes d'œuvres, celles qui sont dans l'axe central conçu par Le Nôtre et celles qui sont à l'écart, dans un bosquet." Le premier commence dès la terrasse. Espace de lumière est un tronc de bronze évidé, découpé en sept tronçons qui sont portés par leurs branches comme des insectes sur leurs pattes. L'intérieur du fût est entièrement doré et capture le soleil comme un miroir.

Au premier plan "Spazio di luce", en arrière-plan "Tra scorza e scorza", par Giuseppe Penone à Versailles.Au premier plan "Spazio di luce", en arrière-plan "Tra scorza e scorza", par Giuseppe Penone à Versailles. | AFP/CLAIRE LEBERTRE/ADAGP, PARIS 2013

UN "READY-MADE" DE LA NATURE

L'œil est ainsi dirigé vers Entre écorce et écorce. Deux très hauts bronzes moulés sur un cèdre du parc de Versailles abattu lors de la tempête de 1999 entourent un frêne – un vrai, qui pourrait croître à l'abri de ces boucliers. Suivent, en descendant vers les pièces d'eau, les marbres vivants d'Anatomie et trois bronzes dont on ne sait lequel est le plus remarquable, celui qui a été conçu à partir d'un arbre foudroyé et donc les cassures à vif ont été dorées, celui qui est planté à l'envers de sorte que ses racines sont devenues un nid dans lequel pousse un arbrisseau – un vrai à nouveau – ou encore Triplice, ainsi nommé en raison de ses trois branches qui ploient sous le poids de blocs pris dans le lit d'une rivière alpine.

Devant chacun, les explications de Penone ne sont ni poétiques ni symboliques. Il laisse libre l'interprétation, conscient qu'elle ne peut qu'évoluer. Ses propos sont techniques. Il précise comment il a découvert l'arbre dont il a fait la sculpture, les opérations de moulage et de fonte, le montage et la mise en place. Quand on suggère qu'il s'agit, en somme, de ready-made de la nature, l'artiste nuance : "Oui, on peut dire ça. Enfin... Il y a aussi des modifications, bien sûr."

Les plus visibles, ce sont les granits roulés qu'il hisse entre les fourches et qui font imaginer des pluies de roches ou des crues démesurées. Ou bien des cultes païens rendus aux éléments premiers de la nature. Dans le bosquet de l'Etoile, ce panthéisme – que l'artiste ne refuse ni ne confirme – est à son plus haut point. Bosquet ferait croire à une plantation, alors que le Bosquet de l'Etoile est une vaste pelouse, presque un pré, cerné de buissons et que l'on ne découvre qu'en y parvenant. Dans ce pré, en cercle, Penone a planté sept arbres de bronze dont un en lévitation. Les pierres y nichent, solitaires ou en groupe. Quand on évoque le cercle de mégalithes de Stonehenge, sa réponse est sobre : "Quelqu'un me l'avait déjà dit. Je n'y avais jamais songé. En fait, je ne suis même jamais allé à Stonehenge... Mais pourquoi pas ?"

Cet ensemble est non seulement la plus belle réussite qu'aient permise jusqu'à présent les invitations d'artistes vivants à Versailles, mais, à la hauteur de ce qu'il a réalisé dans le parc du palais de Venaria Reale, près de Turin, l'une des plus grandes de Penone. Et donc l'une des plus remarquables de la création actuelle.


"Penone Versailles" au château de Versailles, place d'Armes, Versailles. Jusqu'au 2 octobre. Parc ouvert tous les jours de 8 heures à 20 h 30. Entrée libre. Chateauversailles.fr

Culture

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