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J. P. Morgan, le mythe du "super-banquier"

LE MONDE | 17.08.2013 à 12h35 • Mis à jour le 17.08.2013 à 14h31 | Par Hubert Bonin (professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux et à l'UMR GRETHA – université Montesquieu-Bordeaux-IV)

Le financier et banquier américain John Pierpont Morgan (1837-1913) vers 1902.

Le financier et banquier américain John Pierpont Morgan (1837-1913) vers 1902. | ©The Granger Collection NYC/Rue/Rue des Archives

Série d'été : Les grands argentiers... 6/6

 

Le 31 mars 1913 disparaissait le financier américain John Pierpont Morgan (J. P. Morgan). Si Henri Germain (1824-1905), le fondateur du Crédit lyonnais, certains dirigeants de Lazard ou de Paribas dans l'entre-deux-guerres et dans les années 1960-1970, Michel Pébereau, dirigeant de BNP Paribas dans les années 2000, et divers leaders de la City – Sir Ernest Cassel (1852-1921), Sigmund Warburg (1902-1982) –, ont eu une envergure de "grands banquiers", J. P. Morgan en est un modèle.

Il a été un "passeur" qui a contribué à l'essaimage des savoir-faire et des réseaux relationnels de la banque européenne vers l'Amérique du Nord. Né en 1837, il est le fils de Junius Morgan (1813-1890), un négociant américain qui avait traversé l'océan pour rejoindre, à Londres, en 1854, une banque d'affaires et de marchés familiale, créée par l'Américain George Peabody, qui prend le nom de Junius Spencer Morgan en 1864 (puis de Morgan Grenfell & Co en 1909). J.P. Morgan bénéficie d'une éducation européenne - qui le conduit à Londres, en Suisse et en Allemagne - et nord-américaine.

Ces liens transatlantiques expliquent sa culture internationale qui le voit se former à la succursale parisienne d'une banque de Philadelphie, Drexel (en 1868-1870), et séjourner souvent en France, à Paris ou à Aix-les-Bains (Savoie). Il s'enracine à New York, comme employé de Peabody, avant de monter en 1871 Drexel-Morgan, une banque soeur de JS Morgan et de la maison Drexel. ...

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Le financier et banquier américain John Pierpont Morgan (1837-1913) vers 1902.

J. P. Morgan, le mythe du "super-banquier"

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Le rôle central de la banque lors des crises financières

 

17 mai 1792 Création de la Bourse de New York (Wall Street).

 

1837 La première d'une série de crises financières aux Etats-Unis (1857, 1873, 1884, 1893).

 

1838 George Peabody crée une banque d'affaires et de marchés à Londres. Elle devient Junius Spencer Morgan, puis Morgan Grenfell et restera active jusqu'à son rachat par Deutsche Bank en 1989.

 

1877 John Pierpont Morgan (1837-1913), associé depuis 1871 d'Investment Bank Drexel de Philadelphie, prend la tête de sa maison soeur new-yorkaise en 1877. Et la transforme en JPMorgan en 1895. Elle est à la fois banque d'affaires, banque d'entreprise et banque commerciale généraliste.

 

1907 Panique bancaire aux Etats-Unis, avec des retentissements en Europe. M. Morgan négocie avec ses confrères et les autorités un plan d'injection de liquidités grâce à la mise sur pied d'une coopération interbancaire, dont la banque JPMorgan est la cheville ouvrière. Le rapatriement massif de liquidités de Londres sur New York met la City en difficulté. C'est la première crise de liquidité internationale au XXe siècle.

 

23 décembre 1913 Le Congrès vote le Federal Reserve Act, qui institue la banque centrale américaine, la Fed.

Jamie Dimon, dans le droit-fil du fondateur

 

Les successeurs de J. P. Morgan affrontent une rude concurrence à partir du début du XXe siècle : des modèles émergent, comme la banque commerciale de dépôt (City Bank, Bank of America), la banque d'affaires orientée vers l'industrie nouvelle et les services (Lehman, Goldman Sachs), et les banques de courtage de valeurs mobilières (Bear Sterns, Merrill Lynch).

 

L'outil bâti par J. P. Morgan résiste jusqu'à la loi américaine Glass-Steagall, qui impose, en 1933, la séparation entre activités de banque de dépôt et de banque d'affaires. L'établissement se divise alors entre JPMorgan (banque commerciale), Morgan Stanley (banque d'investissement) et Morgan Grenfell à Londres (banque d'affaires et de marchés) en 1935. Dans les années 1950-1960, malgré sa fusion avec Guaranty Trust en 1959, JPMorgan se fait dépasser par ses grandes rivales nationales ou régionales. Après avoir fusionné avec Chemical Bank en 2000, elle est elle-même rachetée par Chase Manhattan (l'ex-banque de la famille Rockefeller) en 2001. Ainsi naît JPMorgan Chase.

 

Il faut attendre Jamie Dimon pour que JPMorgan redevienne l'un des grands de la banque mondiale. Artisan de l'assainissement d'un groupe de banques régional à partir de 2000, il l'agrège à JPMorgan Chase en 2004 et devient le patron de ce nouveau géant diversifié. Il lui applique son art du management : il n'aura subi aucun trimestre en perte sur la période 2007-2013 !

 

Entre-temps, l'établissement est devenu un des laboratoires de la révolution de la banque de marchés. Dans la seconde moitié des années 1990, une star a émergé dans le monde de la finance : Blythe Masters, dont les équipes ont contribué à concevoir les "produits dérivés" et les contrats de garantie de crédits. D'autres (Steve Black, Bill Winters, Jimmy Lee) sont des pionniers des obligations adossées à des prêts.

 

La maison devient le leader des dérivés. Elle perce aussi en banque d'affaires pour l'émission de titres. M. Dimon est le "banquier de l'année" en 2004 ! Il laisse pourtant ses responsables de la supervision des risques exiger des limites, ce qui évite de trop grosses pertes quand la crise éclate. L'entité ne perd "que" 3,13 milliards de dollars (2,31 milliards d'euros) en banque de marché en 2007, contre 20,8 milliards de dollars pour Citicorp, par exemple.

 

Elle devient même l'un des sauveurs de la banque américaine en reprenant la banque de courtage et d'affaires Bear Stearns en mars 2008, puis la banque de dépôt Washington Mutual. Et supplante Citigroup comme numéro un.

 

On compare dès lors M. Dimon au légendaire J. P. Morgan. Il montre parfois la même arrogance... Il est habile à faire passer pour des broutilles les dysfonctionnements de ses spécialistes de la banque de marché (un trader, surnommé "la Baleine de Londres", Bruno Iksil, perd plusieurs milliards d'euros en 2012) ou les amendes à payer pour des ententes interbancaires.

 

La croissance repose sur 225 000 salariés, mais aussi sur de brillants gestionnaires, telle Mme Masters, devenue la patronne de la banque de marché sur les matières premières. Avec Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, M. Dimon est l'interlocuteur clé des pouvoirs publics, tant à la Réserve fédérale (banque centrale américaine) qu'au Trésor. Il a toujours appuyé les démocrates. C'est un lobbyiste essentiel dans la discussion des nouvelles lois de régulation bancaire. J.P. Morgan aura trouvé un digne héritier !

Série "Les grands argentiers"

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