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Laura Kasischke, le calme trompeur

LE MONDE DES LIVRES | 22.08.2013 à 16h08 | Florence Noiville

Laura Kasischke.

Envoyée spéciale à New York

 

Elle est venue de Chelsea, dans l'Etat du Michigan. "Chelsea où je vis, oui... Une petite ville modeste, encore sauvage, où on peut, certaines nuits, entendre les coyotes hurler..." Laura Kasischke est venue spécialement du Midwest jusqu'à New York, "parce qu'il est important pour [elle] de rencontrer la presse française", dit-elle. "Je ne sais pas pourquoi, mais l'accueil que je reçois chez vous est bien meilleur qu'ici. Mes livres se vendent mieux en France qu'en Amérique..."

Chelsea. On voit soudain sa ville comme un endroit pavillonnaire, lisse, bien rangé. Et puis, la nuit, les coyotes rôdant et hurlant... On se dit que ce contraste est un peu à l'image de Laura Kasischke elle-même. Ce jour-là, dans un restaurant de l'Upper West Side, elle arrive avec une robe à fleurs fraîche et froufroutante. Aucune de ses boucles noires ne dépasse. Elle vous fixe de ses grands yeux bleu pâle, timide peut-être, mais apparemment sereine. Apparemment. Car, avant notre rencontre, elle nous a bombardée de mails. Courriels anxieux, trahissant le trouble sous le calme trompeur, les sombres tourbillons sous la surface. Dr Jekyll & Mrs Kasischke.

Il suffit d'ailleurs d'ouvrir un livre de Laura Kasischke, n'importe lequel, pour constater qu'une angoisse étrange et sourde est à l'oeuvre. Dès les premières lignes de son premier roman, A Suspicious River (Bourgois, 1999, adapté au cinéma par Lynne Stopkewich), tout l'était déjà, "suspicious", c'est-...

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Laura Kasischke.

Laura Kasischke, le calme trompeur

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Parcours

1961 Laura Kasischke naît à Grand Rapids (Michigan).

1991 Elle publie un premier recueil de poésies, Wild Brides.

1996 À Suspicious River, Son premier roman, paraît (Christian Bourgois, 1999). Il est porté à l'écran en 2000.

2002 La Vie devant ses yeux (Christian Bourgois). Le roman est porté à l'écran en 2007.

2011 Les Revenants (Christian Bourgois).

Déméter dans le Midwest. Critique et extrait

Un jour, Laura Kasischke s'est réveillée avec une phrase en tête. "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux." Une phrase qui ne voulait pas s'en aller. Qui cognait, qui insistait. "Pourquoi ? Mystère ? Avais-je lu des choses sur la Russie ? En tout cas, j'ai su que je devais en faire le début d'un nouveau roman."

Dans Esprit d'hiver, c'est Holly, la mère, qui s'éveille un jour de Noël avec cette certitude. Quelque chose les a suivis. Et cette chose - qu'elle a toujours sue mais a enfouie au plus profond - a à voir avec sa fille, Tatiana, une adolescente adoptée en Sibérie quinze ans plus tôt.

Tandis que le père, Eric, est parti chercher ses parents à l'aéroport, une tempête de neige se déchaîne. Les invités un à un se décommandent. Le père et les grands-parents se retrouvent bientôt, eux aussi, coincés sur la route. Si bien que le champ se trouve soudain libre pour un âpre et terrifiant tête-à-tête, dans une maison vide, en plein blizzard. C'est Déméter et Perséphone dans le Midwest. Une mère et une fille se cherchent. Et se trouvent. Dans la douleur et dans le drame.

La prose de Kasischke est comme un collier. L'auteur donne un tour de vis à chaque chapitre. Et l'oxygène, au fil des pages, vient à manquer. De ce huis clos étrange et oppressant se dégagent des visions, des flashs dérangeants : un orphelinat en Russie, un bébé à la peau trop bleue, une porte qui n'aurait jamais dû être ouverte... Et une conclusion faussement simple : "Personne ne naît sans héritage (...). Le passé réside en soi. A moins de le trancher ou de se le faire amputer par opération chirurgicale, il vous suit jusqu'au jour de votre mort."

Esprit d'hiver (Mind of Winter), de Laura Kasischke, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois, 294 p., 20 €.

 

EXTRAIT

"Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.

C'était dans un rêve, pensa Holly, que cette bribe d'information lui avait été suggérée, tel un aperçu d'une vérité qu'elle avait portée en elle pendant - combien de temps au juste ?

Treize ans ? Treize ans !

Elle avait su cela depuis treize ans, et en même temps, elle l'avait ignoré (...). Elle se leva du lit (...), pressée de voir qu'elle était là, encore endormie, parfaitement en sécurité.

Oui, elle était là, Tatiana, un bras blanc passé sur un couvre-lit pâle. Les cheveux bruns répandus sur l'oreiller. Si immobile qu'on aurait dit une peinture. Si paisible qu'on aurait pu la croire...

Mais ce n'était pas le cas. Elle allait bien. Rassurée, Holly retourna dans sa chambre et se glissa de nouveau dans le lit près de son époux - mais à peine allongée, elle pensa encore une fois :

Cela les avait suivis jusque chez eux ! "

Esprit d'hiver, pages 11-12

http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/08/22/laura-kasischke-le-calme-trompeur_3464661_3260.html

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