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Un monde de brutes

LE PAVILLON DES ÉCRIVAINS

 
28/8/13
 
LE-PAVILLON-DES-ECRIVAINS

de Claude Durand

Éditions de Fallois, 332 p., 20 €

 

Pourquoi reprendre ce «feuilleton» avec ce livre-là ? Tout laisse à penser qu’il ne fera pas événement pour cette «rentrée littéraire». La rumeur éditoriale ne le signale même pas dans les listes d’ouvrages à venir qui, par piles entières, sont en train de monter à l’assaut des éventaires et des rayonnages.

Pourtant, Claude Durand est un personnage éminent qui a déjà à son actif des best-sellers inoubliables. Mais voilà : il ne les avait pas écrits lui-même, se contentant, si l’on ose dire, de les révéler au public français : Cent ans de solitude,  de Garcia Marquez (qu’il traduisit) et l’ensemble de l’œuvre de Soljenitsyne dont il fut l’inventeur, comme on parle de l’inventeur d’une grotte. Excusons du peu…

Donc, un très grand éditeur, l’un de ceux qui ont dominé la vie littéraire depuis plus de quatre décennies. Il fit trembler des centaines d’auteurs, vouant toute son activité soit à les dissuader de publier et à les convaincre de passer leur chemin, soit à les soutenir, promouvoir, glorifier.

Dans le lot des livres reçus, celui-là bénéficia d’un privilège, celui d’attirer la curiosité, comme un chemin de traverse incite à s’éloigner parfois, sur un coup de tête, des grands axes. Il fut donc le premier qu’on lut durant l’été d’avant rentrée, et de cette antériorité il y avait lieu de le saluer en en traitant ici avant bien d’autres qui feront plus de bruit ou qui recèleront des qualités prétendument «littéraires» plus communément admises.

Deux remarques s’imposent d’emblée à propos de cet ouvrage. La première est la maîtrise de l’écriture et de la langue. Claude Durand n’a pas peur des mots, des phrases longues qui s’entortillent et retombent sur leurs pattes. Il ne pratique pas le style «tweet» tellement en vogue aujourd’hui.

Les mots rares et précieux lui plaisent et cette manière d’écrire en «vieux français» comme le dit un de ses personnages ne saurait déplaire à ceux d’entre nous qui conservent, chevillé au cœur, l’amour d’une langue pas encore gâchée par la sottise simplificatrice et vulgaire d’une bonne partie de l’édition (et du journalisme…) contemporains. Il s’en dégage une musique, souvent ample, plus proche de la symphonie que du solo de guitare électrique.

La seconde remarque a trait à l’histoire. La complexité du scénario, la multiplicité des personnages, les allers et retours dans diverses temporalités du passé du narrateur ou du passé national égarent un peu le lecteur qui ne s’avise pas toujours des changements de temps… Ajoutez à cela des glissements du rêve et du cauchemar à la réalité et vous aurez un ouvrage profus, tourbillonnant, tourneboulant les esprits trop pressés par des changements de mode de traitement (enquêtes journalistico-policières, études historiques, confessions, conversations de café, digressions évaporées)…

S’il fallait qualifier ce «roman» où passent tant de personnages réels de notre histoire récente, depuis les années 1930, on pourrait parler d’un polar politique sans coupable. Et, presque, sans héros. En effet, le héros principal, si l’on peut dire, maire d’une ville de banlieue, meurt assassiné dès la première ligne de l’ouvrage. Toute la suite consistera à suivre la tentative d’un jeune écrivain lancé sur les traces de cette ombre d’un notable, appelé César Calvi, afin de tricoter une biographie crédible d’un homme trouble.

César Calvi est passé de l’extrême gauche communiste d’avant-guerre à la droite sécuritaire de la fin des années 1990. Il a eu, durant la guerre, des attitudes étranges dénoncées par d’anciens camarades du PCF contre lesquels il a su se venger. En Algérie on le signale, pendant la lutte contre le FLN, parmi les principaux agents de l’OAS. A-t-il été assassiné par d’anciens communistes, par d’anciens ultras de l’Algérie française, pas des Algériens dont il a fait périr la famille, par des «jeunes des cités» auxquels il a imposé un couvre-feu dans sa commune ?

Ce fil rouge d’une quête et d’une enquête impossibles ne résume pas l’intérêt de cette promenade dans le passé de la France. Claude Durand est de ceux qui se souviennent de tous les aspects du passé récent des politiciens et des truqueurs divers qui ont assombri le ciel national. Il s’acharne particulièrement sur cette classe d’arrivistes sans foi ni loi, sans autre objectif qu’un pouvoir dévorateur pour qui le mensonge n’est pas l’exception mais la règle. En bas, le peuple, les «petits blancs» des banlieues multicolores n’auront cessé de se faire gruger par des bandits qu’ils applaudissent.

Seules éclaircies dans ce désastre : les femmes. La plupart de celles qui apparaissent dans le «roman» de Claude Durand sauvent le genre humain des gémonies auxquelles l’auteur voue ses semblables. Et tant de gens qu’il a connus.

 

 

BRUNO FRAPPAT

 

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Un-monde-de-brutes-2013-08-28-1003406

 

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