Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : Balades

Michel Chaillou,le songe-plein

À la vitesse, il préfère la lenteur, au rationnel l’élan d’une âme en balade, au présent fugitif et impérieux, le passé. Jadis, naguère, antan : voilà ses territoires.

 
9/5/12
élogr demodé ELOGE DU DÉMODÉ Michel Chaillou de la Différence , 90 pages , 12.2 € acheter
 

 

ÉLOGE DU DÉMODÉ
de Michel Chaillou 
Ed. de la Différence, 90 p., 12,20 €

Figurez-vous, écrirait Michel Chaillou, avec sa manie d’interpeller ses lecteurs : deux Chaillou d’un coup ! Que demande le peuple des mots ? Un essai joyeusement rétro, un récit autobiographique d’une ébouriffante et prenante honnêteté. Le premier inédit, le second déjà publié en 2004 au Seuil mais passé, allez savoir pourquoi, comme il l’écrirait encore, « presque » inaperçu.

Michel Chaillou n’est pas de ces écrivains qui tonitruent sur le devant de la scène médiatique. Il a l’actualité sinon en horreur (l’homme est un gentil, venu d’ailleurs et planant ailleurs), du moins n’est-ce pas son sujet. 

De roman en autobiographie, d’essai littéraire en rêveries paysagères, de songeries poétiques en affabulations ironiques, en vingt-cinq livres déjà publiés, cet octogénaire à la crinière blanche qui arpente le quartier Montparnasse l’œil et l’oreille toujours en éveil, comme un gosse découvrant chaque matin l’Amérique, est d’abord un goulu des mots. Un passionné des phrases, des trouvailles langagières, un visiteur de dictionnaires anciens, un émerveillé du vocabulaire.

Et de tricoter ses phrases, tour à tour directes ou alambiquées, au plaisir léger de ses lecteurs fidèles, une bonne et sympathique brigade. Son Eloge du démodé est un coup de griffe à la « modernité » dont, comme tout un chacun, il s’entend rebattre les oreilles. Démodé, oui, il « assume », comme dit le jargon prétendument moderne, ce catalogue de « lieux communs » qui dévoient la langue, détournent de la poésie. 

Car Chaillou, au fond, s’il fallait le définir d’un mot est d’abord un poète égaré en notre ère d’efficacité plate. À la vitesse, il préfère la lenteur, au rationnel l’élan d’une âme en balade, au présent fugitif et impérieux, le passé. Jadis, naguère, antan : voilà ses territoires.

Et de nous ressortir des livres oubliés depuis le seizième siècle, ou des auteurs romains que plus personne ne lit, parmi les rares qui auraient entendu parler d’eux. Ce n’est pas une forme de dandysme littéraire, mais la marque d’une curiosité universelle et d’un goût marqué pour la solidité de ce qui fut. Et a fait plus ses preuves que ce qui est. Le petit livre de quatre-vingt-dix pages qu’il consacre à son éloge du démodé n’est pas œuvre de ronchon caduc, mais une sorte de jouvence, de seconde chance donnée à tout ce qu’on a oublié. Et tort de négliger. C’est délicieux comme un dessert, fin comme un vieux vin.

Avec 1945, Michel Chaillou revient sous une autre forme sur le passé, le sien. Un passé qui ne suscite ni la nostalgie, ni le regret, mais une sorte de visite triste dans un aspect de sa biographie chahutée.  1945 , beau millésime, ma foi, mais pas pour tout le monde. Pas pour lui, Michel Chaillou qui, lors de la défaite de l’Allemagne nazie, avait l’âge (quinze ans) de toutes les ardeurs et de tous les élans. Sauf que, cette année-là, en Bretagne, des gendarmes agrippèrent sa mère et la mirent dans un camp pour avoir « fréquenté » des officiers allemands durant l’Occupation. Du coup « indignité nationale »…

Son 39-45 à lui, le gamin de Nantes, ne fut pas une épopée glorieuse, ni une aventure héroïque, mais le parcours chaotique d’un gamin rêveur, partagé entre un père absent, un beau-père prisonnier, une mère disparaissant sans cesse, une grand-mère alcoolique, une autre grand-mère tendre et protectrice, des établissements scolaires, de Quiberon à Lyon, pour finir au Maroc, où il se vivait comme le marginal des cours de récré. Et, surtout, porteur d’une honte, d’un secret qu’il ne pouvait dire : que sa mère avait couché avec des Allemands et que ce péché originel, il s’en attribuerait une part mystérieuse de responsabilité.

Le récit de Michel Chaillou est une extraction de souvenirs qui s’enroulent les uns sur les autres, émergeant peu à peu de l’enfouissement d’une conscience d’adulte. Un enroulement qui, à chaque retour, ajoute une précision ou confirme un oubli. Ce dialogue du souvenir précis (lieux, visages, places et plages) et de l’irrattrapable (noms oubliés, dates perdues, photos muettes) donne à son récit un rythme lent, mais jamais pesant. Peu à peu les pièces d’un puzzle incomplet se rassemblent devant nous. Il y a des blancs, des vides, et des scènes plus cohérentes.

Le tout est écrit « à la Chaillou », avec des richesses de vocabulaire, des allitérations, des trouvailles syntaxiques qui confirment, s’il en était besoin, que Michel Chaillou est un artiste. Il pratique dans un même souffle l’art du souvenir et la ciselure des mots. C’est ce qu’on appelle un écrivain, non ?

Lire aussi : 1945 de Michel Chaillou Ed. de la Différence, 256 p., 16,25 €

BRUNO FRAPPAT

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Michel-Chaillou-le-songe-plein-_NG_-2012-05-09-804075

Les commentaires sont fermés.