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L'Union européennne embarrassée par la répression en Turquie

LE MONDE | 10.10.2013 à 11h16 • Mis à jour le 10.10.2013 à 12h11 | Par Philippe Ricard (Bruxelles, bureau européen) et Guillaume Perrier (à Istanbul)

 
 

Affrontements, place Taksim, entre des manifestants et la police antiémeute, le 28 septembre à Ankara.Affrontements, place Taksim, entre des manifestants et la police antiémeute, le 28 septembre à Ankara. | OZAN KOSE/AFP

L'Union européenne (UE) est confrontée à un dilemme : comment sortir les négociations avec Ankara de la paralysie sans donner l'impression de fermer les yeux sur l'ardeur du pouvoir turc à réprimer les manifestations de la place Taksim ni de se contenter des timides réformes démocratiques promises ?

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Il y a peu, Amnesty International a sorti un rapport accablant sur les atteintes aux droits de l'homme commises en Turquie pour faire taire le mouvement de contestation. Mercredi 16 octobre, Stefan Füle, le commissaire

chargé de l'élargissement, devrait, quant à lui, publier un rapport plutôt nuancé sur la situation politique et démocratique du pays. Son objectif est de ne pas compliquer davantage la relance des négociations d'adhésion d'Ankara à l'UE et l'ouverture d'un nouveau chapitre bloqué depuis des mois – celui portant sur la politiquerégionale.

Une décision de principe en ce sens avait été prise en juin, mais l'ouverture des négociations en bonne et due forme avait dû être reportée in extremis en raison de la crise politique turque. En campagne électorale dans son pays, Angela Merkel ne voulait pas entendre parler d'une telle initiative sur fond de manifestations et de répression à Istanbul.*

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"VOUS VOUS PRENEZ POUR QUI ?" 

Alors que les négociations d'adhésion piétinent depuis des années, la récente crise politique a compliqué davantage encore les relations entre la Turquie et les Vingt-Huit. Ces derniers ont multiplié les critiques à l'égard du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, dont le comportement répressif à l'égard des manifestants les a beaucoup choqués. "Notre devoir à tous, les membres de l'Union européenne comme les pays candidats, est d'aspirer aux plus hauts standards et pratiques démocratiques, avait commenté M. Füle, lors d'un déplacement en Turquie. Le recours excessif à la force n'est pas acceptable dans une telle démocratie."

Le gouvernement turc avait aussitôt exigé "des explications". Il s'était ensuite offusqué d'une résolution très critique du Parlement européen, qui mettait M. Erdogan personnellement en cause dans l'usage excessif de la force par les autorités turques. "Vous vous prenez pour qui ? Avec quelle audace osez-vous adopter une telle décision ? Nous ne reconnaissons pas les décisions européennes sur la Turquie", avait alors lâché M. Erdogan.

Depuis, le gouvernement turc a tout fait pour canaliser, à défaut d'étouffer, le mouvement de protestation. Les manifestations sont devenues plus sporadiques. Le 30 septembre, M. Erdogan a présenté un "paquet démocratique" plutôt salué par les Européens. Dans son rapport annuel sur les pays de l'élargissement, la Commission européenne devrait prendre acte, mercredi 16 octobre, de ces annonces. "Ces mesures doivent être précisées avec la participation des partis d'opposition, et il faudra voir comment elles seront appliquées", dit un haut fonctionnaire.

Le document, en cours de finalisation à Bruxelles, devrait revenir sur les récents événements, mais il sera "équilibré", prévient-on, ne cherchant pas à prendre partie pour l'un ou l'autre camp. Ses conclusions guideront les discussions entre ministres européens le 22 octobre, avant que chefs d'Etat et de gouvernement n'abordent le sujet de la Turquie, lors du Conseil européen des 24 et 25 octobre.

L'ALLEMAGNE PRÊTE À ALLER DE L'AVANT

"Le climat doit changer, il est temps de faire un geste constructif, dit un haut diplomate, il nous faut maintenir un levier pour encourager les réformes en Turquie." Après la réélection de Mme Merkel, l'Allemagne est prête à aller de l'avant. Mais le blocage pourrait cette fois venir des Pays-Bas, qui ont exprimé des réserves ces derniers jours et sont traditionnellement très réservés à l'égard de l'élargissement, qu'il s'agisse de la Turquie ou des Balkans. "Le gouvernement néerlandais va devoir convaincre son Parlement, ce n'est pas gagné d'avance", observe-t-on du côté français.

Depuis l'ouverture officielle des négociations, en 2005, 13 chapitres sur 35 ont été ouverts et plus d'une douzaine étaient jusqu'ici bloqués, soit par la France, soit par Chypre. Les Européens ont de surcroît décidé de ne clore aucun des chapitres ouverts tant que la Turquie ne reconnaîtra pas Chypre, dont elle occupe la partie nord. Le volet "politique régionale" est l'un des cinq bloqués par Nicolas Sarkozy pendant son mandat. François Hollande avait fait savoir en février qu'il était prêt à assouplir la position de la France, afin d'apaiser les relations avec Ankara.

Pour le chef de l'Etat, comme pour la plupart des Européens, il est grand temps de redonner un peu de dynamisme aux négociations d'adhésion à l'heure où le gouvernement Erdogan ne cache pas sa frustration. "La relance des négociations doit permettre de détendre un peu les discussions stratégiques avec les Turcs, qu'il s'agisse de la Syrie, de l'OTAN, de leur rôle dans la Méditerranée, d'énergie ou d'immigration", justifie un diplomate. "A ce jour, ce genre de discussion est entravé par le quasi-gel des négociations d'adhésion", ajoute-t-il.

RAPPORT ACCABLANT SUR LA RÉPRESSION

Fin janvier, le premier ministre turc avait même suggéré que son pays pourrait privilégier, faute de progrès avec les Européens, un rapprochement avec l'Organisation de coopération de Shanghaï, emmenée par la Chine et la Russie. De son côté, le négociateur en chef du côté turc, Egemen Bagis, ne croit plus vraiment à une adhésion pleine et entière de la Turquie. A terme, son pays, suggère-t-il, devrait au mieux se trouver dans une situation comparable à celle de la Norvège vis-à-vis de l'Union européenne...

La relance du processus d'adhésion risque, néanmoins, de heurter les défenseurs de droits de l'homme. Amnesty International pour l'Europe et l'Asie centrale vient de publier un rapport accablant sur la répression lors des protestations de Taksim. "Dans aucun autre pays membre du Conseil de l'Europe, au cours des dix dernières années, des manifestations n'ont été confrontées à une violence d'une telle échelle", souligne John Dalhuisen, responsable de l'ONG. Les chiffres sont éloquents : 6 morts, plus de 8 000 blessés, 5 000 arrestations, 130 000 cartouches de gaz lacrymogène tirées par les forces de police antiémeute en vingt jours.

"Le droit de se réunir pacifiquement a été systématiquement bafoué et les violations du droit à la vie, à la liberté, à ne pas être torturé et maltraité ont été nombreuses", estime Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie à Amnesty International.

Turquie

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