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Blaise Pascal, saint ou rebelle ?

 

Gaspard-Marie Janvier<i> (à gauche)</i> et Xavier Patier dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris où repose Blaise Pascal.

Gaspard-Marie Janvier (à gauche) et Xavier Patier dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris où repose Blaise Pascal. Crédits photo : Sébastien SORIANO/Le Figaro

INTERVIEW - Janséniste, l'auteur des Penséeset des Provinciales était-il hérétique ? Les écrivains Xavier Patier et Gaspard-Marie Janvier débattent.

Pascal n'était pas un petit ange. Adolescent prodige en mathématiques, il était prétentieux et péremptoire. Il devint ensuite, entre 20 et 30 ans, un catholique tourmenté, mondain, avide, ambitieux, qui fréquentait les salons, se déplaçait en carrosse. Jusqu'à la fameuse nuit du 23 novembre 1654 qui le surprit alors qu'il disait n'avoir plus aucun attachement pour les choses de Dieu. D'après Xavier Patier, qui vient de publier Blaise Pascal, la nuit de l'extase *, il devient alors un saint. Un avis que ne partage pas complètement Gaspard-Marie Janvier, qui a rencontré Pascal dans sa première vie de mathématicien et prépare maintenant une thèse sur les Pensées et la Bible.

Xavier Patier, vous rêvez que Pascal soit canonisé. Mais n'était-il pas hérétique, puisque janséniste?

Xavier PATIER.-Certes non! La question théologique dans la querelle de Port-Royal était au fond un prétexte: l'enjeu était politique. Il y avait des relents de Fronde chez les Messieurs de Port-Royal, et le jeune Louis XIV s'en est très vite rendu compte. C'était aussi une dispute de grands orgueilleux.

Gaspard-Marie JANVIER.- Je ne suis pas d'accord. Entre les Jésuites et les jansénistes de cette époque, ce sont vraiment deux visions du monde et de la religion chrétienne qui s'affrontent. L'une donne le pouvoir à l'homme, l'autre le laisse à Dieu. Pour caricaturer un peu, c'est le théâtre de Corneille contre celui de Racine. Ce n'est pas un hasard si ceux qu'on appelait les «Messieurs de Port-Royal» ont quitté les fonctions éminentes qu'ils occupaient dans l'administration royale. Imaginez les énarques allant s'installer dans la vallée de Chevreuse pour s'occuper à des tâches humbles et au salut du monde!

Quel était le fond du débat?

G.-M. J.- Tout part d'une controverse de saint Augustin contre un moine irlandais appelé Pélage, au Ve siècle. Pélage dit que Dieu a donné une bonne fois pour toutes une grâce suffisante à tous les hommes et qu'ensuite c'est à chacun par ses œuvres de mériter son salut. Augustin répond que c'est faire l'homme plus puissant que Dieu. Il affirme que Dieu seul sauve par sa grâce, laquelle ne peut être qu'efficace, c'est-à-dire suivie d'effet. L'Église a déclaré Pélage hérétique et adopté les positions d'Augustin. Fin XVIe, début XVIIe, certains théologiens jésuites espagnols reprennent les thèses pélagiennes, ce qui fait réagir un théologien hollandais appelé Jansénius qui écrit un gros manuel d'augustinisme, aussitôt soutenu par les gens de Port-Royal et attaqué par les Jésuites. En appelant leurs adversaires augustiniens des «jansénistes», les Jésuites créent une hérésie imaginaire, qui n'a d'ailleurs jamais été déclarée telle. Ce n'est ni une secte, ni un parti, ni une école: ce sont des personnalités diverses qui se rejoignent dans leur adhésion à un certain augustinisme.

X. P.- Hérésie imaginaire, en effet! Je maintiens que c'étaient des querelles de corneculs comparables à celles des radicaux-socialistes et des radicaux de gauche, ou de la CGT et de la CGTU! Pascal, en revanche, lorsqu'il commence à écrire Les Provincialespour défendre son ami Arnauld, est animé par un authentique amour de la vérité contre des adversaires de mauvaise foi.

G.-M. J.- Pour défendre ceux qu'on appelle «les jansénistes», Pascal commence à rédiger, en janvier 1656, des lettres fictivement adres­sées à un ami provincial qui ne serait pas au courant des affaires parisiennes. Elles paraissent en feuilleton et rencontrent un succès extraordinaire. Le texte pratique une naïveté feinte et féroce. Tout le monde se gausse des Jésuites. Pascal les ridiculise ad vitam aeternam, ce qui évidemment ne se pardonne pas. On peut avancer que si Pascal invente une forme géniale d'écriture polémique, ses Provinciales ont eu des conséquences politiques catastrophiques. Les Jésuites, qui sont très influents, n'auront de cesse de faire éradiquer Port-Royal de la carte. Un demi-siècle plus tard, les religieuses sont expulsées, l'abbaye et son cimetière rasés, les morts profanés, sur ordre de Louis XIV.

X. P.- Zola n'aurait pas écrit son «J'accuse» de la même manière sans Les Provinciales. Les éditos de Serge July non plus n'auraient pas été les mêmes! Pascal est le premier des indignés.

Grâce, prédestination: ces grands mots au cœur des Provinciales ont disparu des Pensées. Pourquoi?

G.-M. J. - Il y a deux manières de parler de l'action divine: ou bien on se met du point de vue de Dieu, on cherche à comprendre sa logique et sa volonté, cela donne des discours de théologie rationnelle qui restent des manières de faire penser Dieu selon les catégories de la pensée humaine. Pascal s'y est essayé dans ses Écrits sur la grâce, restés inachevés, ainsi que dans  Les Provinciales, sur un mode vulgarisé de «journalisme théologique». Dans les Pensées, il cherche un autre langage pour parler aux gens de son époque. De sorte qu'il n'emploie aucun des gros mots théologiques qui font controverse, mais aborde la religion du point de vue le plus empirique et irréfutable: il y a des hommes qui recherchent Dieu, d'autres non, il en est qui ont la foi et pas d'autres. La soi-disant prédestination se fait ainsi toute seule: chacun est libre de croire ou de ne pas croire.

X. P. - Le fond de l'augustinisme n'est pas la prédestination, en effet, mais le libre arbitre. Tous les hommes ne cherchent pas Dieu, mais Dieu cherche tous les hommes. Pascal a prouvé que l'observation du monde ne permet pas de trancher en faveur de l'existence ou non de Dieu: il y a de la beauté mais aussi de la violence. Il a fait l'expérience physique qu'on n'accède à Dieu que par le Christ. Il dit que la foi est du domaine de l'expérience amoureuse. Pendant la nuit de novembre 1654, le géomètre n'a pas fait une découverte: il a fait une rencontre.

Blaise Pascal (1623-1662), gravure anglaise.

Blaise Pascal (1623-1662), gravure anglaise. Crédits photo : Rue des Archives/©The Granger Collection NYC/Rue

Pascal n'est-il pas fidéiste, doctrine condamnée par l'Église selon laquelle la raison n'a aucun rôle à jouer dans la connaissance de Dieu?

G.-M. J. - Bien sûr que Pascal n'est pas fidéiste! Il considère certes que notre raison est corrompue par notre finitude, qui nous empêche de remonter à l'infini jusqu'aux principes ; pour autant, il affirme que la religion ne peut être contraire à la raison.

X. P.- Pascal écrit que deux excès sont à éviter: «exclure la raison, n'admettre que la raison». On ne saurait être plus clair.

G.-M. J. - L'interlocuteur de l'argument du pari se laisse convaincre par sa raison qu'il est plus intéressant de croire en Dieu. Il demande alors comment faire. Pascal lui répond: abêtissez-vous! Autrement dit, agenouillez-vous. Mais s'il s'abaisse trop, il le relève: «S'il se vante, je l'abaisse, s'il s'abaisse, je le vante.»

X. P.- À celui qui veut avoir la foi, Pascal répond: allez à la messe, allez-y comme tout le monde, passez dans le confessionnal comme tout le monde et lisez votre paroissien comme tout le monde. C'est très simple. Mais les sages et les savants ne veulent pas aller au confessionnal comme tout le monde.

Pascal écrit qu'il faut se haïr, ce qui choqua Bernanos.

X. P.- Il y a un énorme malentendu. Bernanos a lu Pascal en diagonale. Le «moi haïssable» de Pascal, c'est le moi dévoyé qui se déifie lui-même. Pascal s'adresse à un libertin, et au libertin qui est en lui, c'est pour cela qu'il tape très fort. Pascal n'était pas un austère. Il écrit que, dans la vie spirituelle, on ne quitte un plaisir que pour un plaisir plus grand. Celui qui n'a rien compris à Pascal, c'est Claudel. Claudel est un conservateur. Il aime le pouvoir, il aime les Jésuites, Louis XIV et la Sorbonne!

G.-M. J. - Attention au contexte! Quand Pascal écrit que «le moi est haïssable», c'est haïssable par autrui. Mon moi est «incommode aux autres» précise-t-il. Voilà une belle leçon pour se modérer en société! Quant à ce côté rabat-joie qu'on reproche à Pascal et aux jansénistes, il repose également sur un malentendu théologique. Les augustiniens pensent que Dieu, qui connaît l'homme et sait qu'il n'agit toujours qu'en vue de son plaisir, dispense sa grâce sous forme d'une «délectation victorieuse». Sous l'effet de la grâce, le plaisir à agir saintement devient tel que tous les autres plaisirs, à côté, sont de la gnognotte!

Pascal dit que la religion chrétienne est celle qui connaît le mieux la nature de l'homme: à la fois sa misère et sa grandeur.

G.-M. J. - Quand Pascal parle de la misère de l'homme, c'est un constat anthropologique, non un jugement moral. Pascal n'est pas un moraliste. Il constate empiriquement que l'homme est un monstre contradictoire. Sa seule manière de résoudre cette contradiction est de suivre le Christ. La caractéristique du jansénisme, c'est le retour à la notion de péché originel, qui porte l'idée qu'il faut regarder l'homme à la fois dans sa misère et dans sa grandeur. Là est la trouvaille de saint Augustin: le péché originel n'est pas une affaire morale mais un défaut de structure: qu'on le comprenne ou pas, l'homme est fichu comme ça. Il est capable du meilleur comme du pire. C'est cela qu'oublient de préciser les déclarations des droits de l'homme.

X. P.- Pascal n'a pas intégré la morale dans son logiciel. Quand le pape François dit au sujet des homosexuels: «Qui suis-je pour les juger?», c'est très pascalien!

G.-M. J. - C'est aussi très jésuite! (Rires.)

Pascal n'est pas non plus un dogmatique?

G.-M. J. - Il renvoie dos à dos le scepticisme et le dogmatisme, mais s'il devait pencher d'un côté, ce serait du côté sceptique. Il dit que la maladie naturelle de l'homme, c'est de croire qu'il possède directement la vérité.

Pascal est un génie. Est-il pour autant un saint, au regard des deux critères retenus pour canoniser quelqu'un: son rayonnement spirituel et ses vertus?

X. P.- Pascal est devenu un saint dans la nuit de novembre 1654, où il vit une espèce d'effusion de l'Esprit. Il découvre quelque chose qu'il savait mais qui lui était resté théorique, que le christianisme est la religion de l'amour: il se découvre aimé. Dans la lumière de Dieu qui l'éclaire cette nuit-là, ce scientifique imbu de sa supériorité désire se soumettre à Jésus, ce sceptique ressent une immense certitude, ce pessimiste est fasciné par la grandeur de l'âme humaine, ce cérébral éprouve un sentiment. Ce sont les mots qu'il emploie dans le compte rendu qu'il fait au matin de cette expérience, le fameux texte du «Mémorial». Pascal ne dit rien à personne, mais sa sœur remarque qu'il a une mine de «pénitent réjoui». Pascal ne devient pas parfait, mais il devient heureux. Il a compris qu'à la suite du Christ la sainteté consiste à se laisser aimer. Quant à son rayonnement spirituel, il est indéniable: des générations entières ont été converties par Pascal. Et puis, à l'ère du numérique, la France a besoin d'un saint scientifique. L'inventeur de la calculatrice serait aujourd'hui un geek, j'en suis sûr. Un saint geek! Il faudrait aussi à la France un saint qui a montré que l'État devient obscène quand il devient arbitraire - c'est ça, l'histoire de Port-Royal contre le pouvoir.

G.-M. J. - Quand on veut répondre à quelqu'un qui se trompe, on doit lui montrer d'abord en quoi il a raison. Vous avez raison… en ce que Pascal a sans doute des qualités qui lui permettraient d'être canonisé. Je pense à saint Thomas d'Aquin, qui n'avait pas fait de miracle et dont Jean XXII disait: «Autant d'articles, autant de miracles.» Pour Pascal, on pourrait dire: «Autant de fragments, autant de miracles.» Oui, Pascal a eu un rayonnement spirituel exceptionnel. Pour autant, le canoniser ne me paraît pas opportun. Le premier miracle est qu'il soit encore dans les programmes scolaires. Sa canonisation fournirait une trop belle occasion de le mettre à l'index! Par ailleurs, il faut un consensus pour une canonisation. Or Pascal est encore assimilé au jansénisme et l'Église n'a pas révisé ses positions sur le jansénisme, qui sert toujours de repoussoir. Autre réticence, au chapitre de l'héroïsme des vertus: la vie même de Pascal ne me paraît pas exemplaire. Les Provinciales ne sont pas vraiment une œuvre de charité…

X. P.- Il y a des saints qui sont d'abominables râleurs, des saints doux, et des saints violents, des saints qui grondent. Il y a tous types de caractères de saints. Ça n'est donc pas la question. La sainteté s'est exprimée chez Pascal par ce qu'il avait de meilleur: son intelligence qu'il a mise au service ni d'une théorie ni d'un clan, mais au service de l'amour de Dieu.

Faudrait-il au moins lui offrir une sépulture digne de son génie?

X. P.- Il est bien dans son caveau discret sous le tabernacle de l'église Saint-Étienne-du-Mont.

G.-M. J.- Ne lui faisons pas de monument! Et, par pitié: ne nous le mettez pas au Panthéon…

* «Blaise Pascal, la nuit de l'extase», de Xavier Patier, Cerf, coll. «Épiphanie», 175 p., 17 €.

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