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Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, La restauration, Le goût, MON TRAVAIL

Pastrami pour la vie

 

14 mai 2014 à 18:06

Jacques Geismar (en bas à dr.), dont la famille est installée à Turckheim depuis plus de deux siècles, prépare des sandwichs avec son pastrami.Jacques Geismar (en bas à dr.), dont la famille est installée à Turckheim depuis plus de deux siècles, prépare des sandwichs avec son pastrami. (Photo Pascal Bastien

L'auteurJacky DURANDJacky DURAND Envoyé spécial à Turckheim (Haut-Rhin)

Envoyé spécial à Turckheim (Haut-Rhin)

Aquoi ça tient, une envie de pastrami ? A une rediffusion, tard le soir, de Quand Harry rencontre Sally et de sa cultissime scène d’orgasme simulé au beau milieu de ce temple du pastrami qu’est le Katz’s Deli, un des plus fameux repaires de nourritures juives ashkénazes à New York. On a tous en tête un rogaton de nostalgie accroché à une bluette. Petit casse-croûte doux-amer qui ne demande qu’à mijoter dans un court-bouillon de souvenirs et de rediffusions. Alors l’autre matin, on a pris le dur pour l’Alsace et nous est revenu le goût du pickelfleisch, une version judéo-alsacienne du pastrami découvert un soir de grand vent et de Picon bière, il y a un siècle, à la brasserie de la Victoire, à Strasbourg.

Faut dire que question ravigotage alsaco-papillaire, on a rendez-vous avec un orfèvre du jambon fumé, de la tourte vigneronne et des fleischnackas (escargots en alsacien), ces drôles de roulés de viande de pot-au-feu et de pâte à nouilles que Jacques Geismar, 56 ans (1), prépare dans son antre biscornu du centre de Turckheim. Ça fait plus de deux siècles que les Geismar se sont posés dans cette bonbonnière avec ses maisons à colombages et ses vignes qui viennent lécher l’ancien mur d’enceinte. Au 21, Grand-Rue, sur la façade vieux rose et bleu, c’est écrit en lettres soignées : «Chez Gasti, maître boucher depuis 1784.»

Bestiaux. L’histoire des Geismar est emblématique de ces familles juives ashkénazes ballottées par les soubresauts de l’Europe. Ils sont bouchers et marchands de bestiaux depuis la nuit des temps et sont venus du fin fond de l’Allemagne pour s’installer en Alsace aux alentours de 1680. A la fin du XVIIIe siècle, le maquignon Borach Geismar s’établit à Turckheim. Un siècle plus tard, son arrière-petit-fils Gaston Geismar, dit Gasti, naît dans l’Alsace annexée par l’Empire allemand. En 1923, il reprend la boucherie familiale et se lance dans la charcuterie, avec notamment l’immémorial picklefleisch. De cette époque il reste, accrochée dans le magasin, une photo sépia prise en 1939, quelques mois avant l’invasion nazie et la fuite des Geismar en Ardèche, où ils se terreront durant l’Occupation. A la Libération, Gasti retrouve son magasin vandalisé. «Il a fallu tout recommencer de zéro, raconte son petit-fils. Mon grand-père a dû produire les factures de son matériel pour le récupérer chez un collègue.»

Gamin, Jacques se met dans les pas de son père Raymond, qui a pris la succession de Gasti. Ensemble, ils vont chercher les bestiaux à la ferme avec «une remorque accrochée à la Frégate de papa». Il a 8 ou 9 ans quand on lui donne un gros os dont il doit gratter les restes de viande. Il observe avec de «grands yeux» ce métier pour lequel il n’a jamais hésité alors que ses parents, dit-il, «ont essayé de l’en dissuader». A 16 ans, il part en apprentissage dans la vallée de Munster. Odeurs du sang chaud, des boyaux et du schnaps à 5 heures du matin. Suivent quelques belles maisons strasbourgeoises où il apprend le métier de traiteur, qu’il développe ensuite à Turckheim. La fabrication du pastrami est venue plus tard, comme un ajout à cette mémoire gustative familiale que l’on découvre au-dessus de la boutique, dans la salle à manger qui embaume les viandes fumées et le café chaud. Jacques Geismar dépose sur la nappe blanche une belle miche blonde et une généreuse assiette de tranches de pastrami et de pickelfleisch. Il ouvre également un gros pot de raifort maison, ce condiment que l’on sert avec le pickelfleisch sur un lit de choucroute durant Pessah, la Pâque juive. Il faut le même morceau de bœuf pour préparer ces deux spécialités charcutières : de la poitrine avec ce qu’il faut de gras pour la tendreté et le moelleux. Jacques la saumure durant cinq, six jours dans un mélange de sel, de sucre, de salpêtre et d’aromates (laurier, baies de genièvre, clous de girofle…). C’est après que le frichti se différencie. Pour le picklefleisch, pilier de la cuisine judéo-alsacienne, la viande est ensuite cuite au bouillon avec des légumes (carottes, poireaux…). Pour le pastrami, qui viendrait du roumain pastramà, tiré du verbe a pastra, «conserver, garder», la poitrine est enduite d’un copieux mélange d’épices (poivre noir, rose, paprika…) avant d’être rôtie. Ces deux recettes cousines, qui permettaient de conserver la viande à une époque où les frigos n’existaient pas, ont traversé l’Atlantique à la fin du XIXe dans le sillage de l’immigration juive et font depuis le bonheur des «delis», mi-restaurants mi-épiceries où l’on débite le pastrami en tranches très fines dans un sandwich.

Cornichons. A Colmar, toute cette semaine, Jacques Geismar propose de découvrir son pastrami et plus largement la gastronomie judéo-alsacienne à la Winstub Le Flory (2), son antre gourmand à Colmar. Il y sera question de gehackte Leber (foie haché), de Matzeknepfle (boulettes de pain azyme) et de picklefleisch chaud servi avec une salade de pommes de terre. Vous pourrez aussi goûter le sandwich pastrami «Geismar’s Deli» avec pain de campagne, moutarde douce et cornichons malossol.

Pour aller plus loin sur les gastronomies ashkénazes et séfarades, procurez-vous l’épatante Cuisine du Shabbat en 30 minutes (3) où l’on a repéré cette salade cuite d’aubergines. Il faut 3 aubergines moyennes ou 2 grosses ; 5-6 cuillères à soupe de purée de tomates ; 15 olives noires dénoyautées ; 1 cuillère à café de paprika et 5 cuillères à soupe d’huile d’olive. Epluchez et coupez en rondelles les aubergines. Faites-les revenir avec l’huile dans une sauteuse. Couvrez pendant dix minutes de cuisson à feu vif, en remuant de temps en temps. Ajoutez la purée de tomates et le paprika. Poursuivez la cuisson cinq minutes. Ajoutez les olives et faites mijoter à couvert encore cinq minutes. Rectifiez l’assaisonnement (sel, poivre). Servez tiède avec du pastrami, par exemple.

(1) 21, Grand-Rue, Turckheim (68). Rens. : 03 89 27 14 12. Rens. : www.geismar-traiteur.fr

(2) 1, rue Mangold, Colmar (68). Rens. : 03 89 41 78 80.

(3) «La Cuisine du Shabbat en 30 minutes» de Laurence Orah Phitoussi, éd. du Chêne, 25 €.

Photos Pascal Bastien

 

 

Jacky DURAND Envoyé spécial à Turckheim (Haut-Rhin)

 

http://next.liberation.fr/food/2014/05/14/pastrami-pour-la-vie_1017386

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