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Dans le laboratoire de Ferran Adrià

LE MONDE | 20.11.2014 à 16h40 | Par Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)

A Madrid, une exposition explore par le menu le travail du célèbre chef catalan, célèbre pour sa cuisine expérimentale.

Ferran Adrià dans son restaurant El Bulli, en Catalogne. L'établissement a fermé en 2011.Ferran Adrià dans son restaurant El Bulli, en Catalogne. L'établissement a fermé en 2011. | Fernando Maquieira/ Fundacion Telefonica, 2014

Ferran Adrià tient à peine en place. Il vient de présenter, à Madrid, une exposition sur son processus créatif dans laquelle il décortique la recette qui a fait de lui l’un des chefs les plus reconnus au monde, celle de son succès. « Ferran Adrià. Auditando el proceso creativo » (« Ferran Adrià. Audit du processus créatif ») organisée à la Fondation Telefonica jusqu’au 1er mars est à la fois un hommage, une rétrospective, une analyse et une réflexion. Sur El Bulli, son restaurant de Roses, en Catalogne, qui a fermé ses portes en juin 2011, où le chef catalan a expérimenté la gastronomie moléculaire, mais plus largement sur les innovations, les idées et la méthodologie du chef catalan.

Avant garde

A 52 ans, M. Adrià pose des questions qui le taraudent depuis qu’il n’est plus derrière ses fourneaux : comment traduire sa cuisine d’avant-garde pour l’appliquer à d’autres disciplines ? Comment créer un environnement propice à la création ? Pourquoi certaines idées marchent et d’autres pas ? C’est au travers de plus de mille objets qu’il essaye de répondre. Car il a tout gardé, tout amassé, depuis des années, scrupuleusement, presque compulsivement : ses livres et ses notes, 14 000 pages de réflexion culinaire. Des représentations en pâte à modeler qui servaient d’aide visuelle permettant aux chefs de reproduire les différents plats aussi fidèlement que possible, des menus, des ustensiles, de la vaisselle, comme celle imaginée par le designer suisse Luki Huber, des photos. Des cheminements, comme celui qui l’amena à créer des raviolis à partir d’une feuille de fécule comestible, ultrafine et translucide, l’Obulato, découverte lors d’un de ses voyages au Japon.

Pour son équipe, M. Adrià a rédigé une série de préceptes. Il leur conseille de « s’isoler de l’influence des goûts des convives, des critiques et des gastronomes, pour créer une bulle contre la subjectivité et considérer seulement l’objectivité des faits créatifs ». Cette équipe avec laquelle il a travaillé pendant plus de dix-huit ans était incroyablement soudée. « On n’avait plus besoin de se parler, un regard suffisait », raconte le chef catalan. Car El Bulli était avant tout « le fruit d’une grande discipline. Le talent, ça ne suffit pas », tient-il à souligner.

Laboratoire d’idées

L’exposition sert également à présenter les projets plus ambitieux d’elBullifoundation : comme le BulliLab, un laboratoire d’idées, qui ouvrira ses portes dans un gigantesque espace industriel à Barcelone, en mars 2015. Une quarantaine de personnes y travaillent déjà. Il devrait constituer, entre autres, une encyclopédie de la gastronomie en ligne, la Bullipedia, une base de données qui rassemblera les connaissances et découvertes de l’équipe d’El Bulli.

Ce « processus créatif » mis en scène à Madrid tient-il aussi de l’opération de marketing ? La star de la restauration catalane dit ne pas en avoir besoin. Il a déjà levé 8 millions d’euros pour sa fondation, dont plus de 2 millions lors de la vente aux enchères, début 2013, de sa célèbre cave.

Ce n’est pas la première fois que M. Adrià s’explique. Il avait déjà commencé à mettre de l’ordre dans ses idées en 2012, lors d’une exposition à Barcelone sur « Le risque, la liberté et la créativité ». En janvier, il a réuni des centaines de croquis au Drawing Center de New York. On peut les voir actuellement au Musée d’art contemporain de Cleveland. « Sans documents, sans témoignages écrits, impossible de transmettre la connaissance, dit-il. Maintenant je saurais expliquer à un enfant ce que c’est que la cuisine, ce que je n’aurais jamais pu faire auparavant. » Et cuisiner, c’est d’abord chercher, explorer… « Prenez un œuf : qui a eu l’idée de séparer le jaune du blanc pour la première fois ? C’est une question fascinante, sans laquelle il n’y aurait jamais eu de pâtisserie. Moi, lorsque je prends un œuf, je me demande toujours s’il existe une autre manière de faire les choses. »

  • Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)
    Journaliste au Monde

 

 
 
 

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