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Interview : Jacques Attali nous parle de sa vision du vin, "la clé de notre identité nationale"

Interview : Jacques Attali nous parle de sa vision du vin, "la clé de notre identité nationale"

Publié le 30/03/2013 par
Jacques Attali estime que "le vin est un objet qui cristallise le temps"
Photo : Richard Vialeron

Jacques Attali estime que "le vin est un objet qui cristallise le temps"



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Milieu de journée, Jacques Attali reçoit dans son loft de Neuilly-sur-Seine, entouré de sa collection de sabliers et de mille autres objets. En savourant un thé vert japonais, l'homme de lettres parle de sa vision du vin.

LE FIGARO. - Diderot aimait-il le vin ?

Jacques ATTALI. - Diderot boit du vin et aime ça. En revanche, il déteste l'ivresse. L'un de ses amis, le grand sculpteur Falconet part à Saint-Pétersbourg pour réaliser la statue équestre de Pierre le Grand commandée par Catherine II. Il lui laisse sa cave. Diderot est chargé, avec un autre ami, de la vider en souvenir de celui qui est parti. Ils se rendent à l'atelier régulièrement pour y déguster les bouteilles de Falconet. Diderot parle de son plaisir de boire du vin (1). Il aimait la bonne chère et le vin. Dans Le Neveu de Rameau ou Jacques le Fataliste, le vin fait partie de la vie quotidienne.

Quelle place occupe réellement le vin dans notre société ?

Le vin s'est installé partout dans le monde, sous réserve d'interdit religieux. En plus d'avoir acquis cette envergure internationale, il symbolise l'une des dimensions de l'occidentalisation de la planète. Originaire de la Méditerranée, même si l'on en trouve trace chez les grands poètes d'Orient comme Rûmi, il est devenu un signe de la culture occidentale, de son rythme, de son tempo. Il incarne le raffinement de l'agriculture lorsqu'elle prend le temps de l'excellence. Si l'Occident connaît aujourd'hui un déclin relatif de sa puissance économique, son influence culturelle et idéologique est confortée avec le déploiement de la liberté individuelle, des droits de l'homme, des marchés et de la démocratie. La France, qui en est l'une des matrices, n'a pas intérêt à s'endormir sur ses rentes, dans le vin comme ailleurs...

Nous dirigeons-nous vers plus de prohibition en France ?

Le corps médical est à juste titre sévère avec l'excès de consommation. Néanmoins, il ne faut pas confondre le vin et les alcools forts, qui sont très vite dangereux pour la santé. Le vin peut être un signe de culture, d'excellence. Si je suis pour l'interdiction du tabac, une éducation à la consommation modérée des vins a du sens, comme élément de la formation à la distinction. La maîtrise de soi passe par la maîtrise du vin. Le contrôle est l'un des éléments de la liberté. Le vin est une tentation et, comme tous les désirs, il faut y céder et y résister.

Mais les excès sont parfois érigés en rite, notamment par les plus jeunes...

Oui. Et c'est horrible. Le « binge drinking » ou biture express, n'a rien à voir avec la modération. Les jeunes boivent en excès vins, bières et alcools forts le temps d'une soirée. C'est triste, c'est une forme de suicide temporaire.

Le vin deviendra-t-il un produit élitiste ?

Sa qualité va continuer à s'améliorer. Une élite planétaire va acheter un cru très cher, juste pour le plaisir d'acheter du vin très cher. Je pense à ce film jubilatoire de Ken Loach, La Part des anges, qui montre que l'on peut acquérir du très bon whisky, payer des fortunes par pure vanité, goût de la collection, sans rien y connaître. Cela va arriver avec tous ceux qui voient dans la collection de vins un signe extérieur de richesse.

À l'heure de la mondialisation, nos grands vins seront-ils les meilleurs ambassadeurs de la culture française ?

Ils le sont déjà. Toutes les productions françaises de qualité, le vin en fait partie, sont la clé de notre identité nationale, l'image de la France. Notre vignoble est très concurrencé même si, à la table de la reine d'Angleterre, on sert des étiquettes françaises. Bientôt, et c'est normal, nous aurons de grands concurrents chinois, indiens comme australiens, des marques qui auront été élaborées avec des vignerons français. Nous devons rester à la fois dans la tradition et l'innovation.

Le vin est-il soluble dans la mondialisation ?

Le vin est un reflet d'une culture. J'ai souvent pensé que, pour saisir un pays, il fallait comprendre sa musique et sa gastronomie, dont le vin fait partie. Cela parle d'identité. Avec la diversité des vins du monde entier, il est évident que l'on ne va pas vers une uniformisation.

Votre meilleur souvenir ?

Un vin bu entre amis à la suite d'un pari.

Votre pire souvenir ?

Voir des gens ivres.

Vous collectionnez les sabliers. Quel est votre rapport au temps, au vieillissement du vin ?

Le vin est un objet qui cristallise le temps. Quand on voit une bouteille qu'il faut laisser vieillir, on a le sentiment que l'on va conjurer la mort. Si l'on se dit que le vin peut se boire dans vingt ans, on se persuade que l'on sera là pour l'ouvrir.

« Diderot ou le bonheur de penser », Fayard, octobre 2012, 24 euros

(1) « Avec de bons mets, il faut de bons vins, tels que du Cap de Bonne-Espérance, de Malaga, de Chypre, de Madère, et du Clos Vougeot de Bourgogne ». (Source, « Diderot, le génie débraillé » par Sophie Chauveau, aux Éditions Télémaque)



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