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Le soldat mort

Paul JANIN (1890-1973). La mort du soldat (Grande Guerre 1914-1918). Huile sur toile, 1922. 82 x 130 cm.

C’était au temps où les hommes mouraient sur les champs de bataille. Sur les bancs de l’école, les enfants apprenaient qu’il en était ainsi : un soldat devait savoir mourir pour son pays, pour sa mère-patrie. On lui avait donné la vie, il fallait qu’il puisse la rendre.

Comme tous les tableaux qui entrent dans les collections de la Fondation, « Le soldat mort » a été exposé lors du conseil d’administration qui a suivi son acquisition. Il s’est alors passé quelque chose d’étrange. Plusieurs administrateurs, le découvrant, l’ont photographié. Avec application, posément. Ils ne l’avaient fait pour aucun autre tableau auparavant ; pourtant, il y en avait eu de très beaux.

Ce soldat mort attire et fascine. Ce n’est pas le tableau qui est beau, c’est cet homme mort, ce dormeur du val, qui nous captive par son sommeil de pierre déjà frappée de lividité. Entre la solidité de marbre éternel et la fragilité d’une chair qui s’altère s’impose la terrible esthétique de la mort qui nous appelle et nous repousse, qui nous impose une confrontation à la vérité, à nous-même.

« Le soldat mort » est un bon tableau, efficace, direct, simple. Solidement charpenté, il est construit comme un paysage traditionnel, le corps découpant une « Sainte-Victoire » symboliste aux formes équarries sur une banale ligne d’horizon. Mais la montagne ici recèle un drame qui se joue en plusieurs actes. Le corps minéral et anguleux du soldat présage le monument aux morts des villages –commémoration des gloires absurdes et des saignées ineptes.

Pas de violence pourtant dans ce cadrage serré de la rencontre ; juste une douceur que soulignent les coloris éteints. Juste la vanité d’une arme inutile, sauvée du hors-champ par un bout de crosse dérisoire. Quelle arme pourrait bien protéger l’homme de son destin, écarter de lui la mort ? Surtout, ce corps qu’accueille déjà une terre douce comme un matelas moelleux, est pétrifié dans un geste familier : celui du nourrisson qui tend les bras à sa mère venue le chercher. L’homme qui meurt est peut-être un bébé rendu à sa mère ?

Sur les bancs de l’école, les enfants apprenaient cela aussi, que le dernier mot prononcé par les soldats mourant était : maman !

C’était au temps où les pays jetaient leur jeunesse dans d’immenses charniers. Les morts se comptaient par dizaines de millions ;

C’était au temps où les pays, essorés de leurs jeunes hommes, voyaient les ravages causés par une grippe qualifiée d’espagnole, venue du grand-ouest cette fois. Les morts de tous les âges se comptaient par dizaines de millions ;

C’était au temps où l’homme n’avait pas encore imaginé détrôner toutes les espèces vivantes en les exterminant, de l’éléphant au virus ;

C’était au temps où l’homme savait que la mort était sa compagne quotidienne et patiente.

« Le soldat mort » réveille ce temps qui sommeille au fond de chacun de nous, plus ou moins profondément.

Denis Vaginay

Fondation Renaud - Fort de Vaise

25-27 bd Antoine de Saint-Exupéry

69009 LYON

Métro ligne D : arrêt Valmy - Bus 90: arrêt Fort de Vaise - Les Carriers

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