Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
"Chanteuses Tsiganes de Moscou au XIXè siècle." Extrait de "Des Bohémiens et de leur Musique..." Franz Liszt 1859"
Chapitre LXXIII
On n'a pas su nous dire au juste d'où et comment sont d'abord arrivées à Moscou 1celles qui y produisent depuis tant d'années une sensation qui ne s'émousse pas encore, ni de quelle manière elles se recrutent 2. Qui peut avoir été à Moscou sans se souvenir de ses prestigieuses Bohémiennes ? On a beaucoup parlé des Bayadères et des Almées de l'Inde, des voluptueux enivrements de leur beauté; pourtant, lorsqu'il en est venu à Paris, elles en sont reparties sans que Paris fût en émoi pour cela. Mais les Bohémiennes ne quitteraient pas impunément Moscou. Elles s'y sont fait une place dans les archives des premières familles de l'empire, place marquée en rouge et en noir, en plaisirs sans pareils et en pertes irréparables. Elles sont devenues la terreur des mères et des tuteurs, et si l'on écoute parler ceux-ci, on les entendra conter, avec effroi et horreur, l'histoire de plus d'un prince qui aura dévoré avec elles, en fêtes et en festins, danses et punchs, joies et délices, tout son patrimoine de millions au bout de quelques étés; de tel comte qui se sera tué de rage de ne pouvoir concourir avec eux; de plus d'un jeune seigneur qui aura puisé auprès d'elles le dégoût de la vie et de tous ses biens. De moins jeunes, de moins forts y trouvent une douce stupidité, et se complaisent à les posséder, par les yeux, toujours et toutes à la fois, comme un Thériaki. Qui pourrait compter et énumérer leurs moins brillantes, moins illustres et plus nombreuses victimes encore ? On en comprend la foule en voyant ces magiciennes, qui sont belles en effet, et dont les chants peuvent porter l'ivresse, même dans les cerveaux que leurs poses séductrices ne troubleraient pas4 .