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Centenaire de Blanchot

  • Catégories : Des anniversaires

    Centenaire de Blanchot

    Faut-il blanchir Blanchot ?

    FABRICE HADJADJ.
     Publié le 25 octobre 2007
    Actualisé le 25 octobre 2007 : 11h09

    On commémore cette année son centenaire. Les hommages se multiplient, de revues en colloques. Célèbre pour son refus des photographies, éloquent par son rejet des interviews, cet homme de l'effacement fut violemment engagé à la fin des années 1930.

    Michel Foucault avouait dans un entretien : « Je rêvais d'être Blanchot. » Richard Millet le représente comme un « veilleur définitif, exemplaire ». Il ne s'agit donc pas ici d'exhumer un texte à scandale pour remettre en cause une vénération légitime. Il s'agit plutôt de se laisser interroger plus avant par le parcours d'un homme que ses épigones ont trop vite fait de ramener à quelque grand prêtre du livre à venir.
    Le parcours de Blanchot a été l'objet des interprétations les plus variées. Certains spécialistes ont voulu le ramener à l'unité en affirmant que Blanchot resta toujours idéologiquement terroriste. Son oeuvre obscure serait la continuation de la terreur par d'autres moyens : une impatience de l'absolu, incapable de suivre les discontinuités et les nuances du réel. Mais n'est-ce pas une divinisation à l'envers que d'octroyer à l'homme cette cohérence complète ? D'autres séparent radicalement l'oeuvre et l'engagement, affirmant que la première est essentielle, et le second négligeable. Mais l'existence a-t-elle moins de poids que les livres ? Et l'écrivain s'absente-t-il entièrement de son texte ? D'autres encore voudraient le blanchir à travers sa conversion de l'extrême droite à l'extrême gauche, comme si celle-ci n'était que bonnes intentions, et celle-là tout entière exécrable. Or, la rhétorique déballée en 1936 contre Blum, l'écrivain soi-disant « voué au silence de la littérature » la déploie à neuf après 1958, non moins haineuse, contre de Gaulle. En mai 1968, Blanchot se veut de toutes les manifestations et participe à des comités d'actions regroupant étudiants et écrivains, comités qu'il conçoit alors comme une forme de communauté supérieure, s'opposant à toute organisation. À la fin de l'année, cependant, il rompt avec ses amis révolutionnaires. Le sort des Juifs est une fois de plus ce qui le rappelle à la mesure. Dans une lettre à Lévinas, il parle de ceux qui ont « joué l'irréflexion, l'usage de concepts vides (impérialisme, colonisation) et aussi le sentiment que ce sont les Palestiniens qui sont les plus faibles et qu'il faut être du côté des faibles (comme si Israël n'était pas extrêmement, effroyablement vulnérable) ».

    Dans la presse maréchaliste
    Les admirables chroniques des années 1941-1944 témoignent de son premier retournement. Elles parurent dans Le Journal des débats, alors maréchaliste et de plus en plus hitlérien. Blanchot y dépose chaque semaine des recensions d'une grande acuité littéraire sur Michaux, Jarry, Bloy, Dhôtel... Son écriture y résiste d'une résistance si essentielle, celle de la poésie même, qu'elle échappe à la censure. C'est sa profondeur la plus indéniable et, il faut l'avouer, sa faiblesse politique. La radicalité impossible dans la cité semble ne plus pouvoir s'accomplir que dans le livre. Mais elle en redébordera bientôt. Après celle du nationalisme, Blanchot croira à la « coïncidence remarquable » du communisme avec la littérature.
    Si la discussion sur les engagements du critique est si difficile, c'est qu'elle brise un mythe tenace, celui de l'écrivain oracle, toujours dissident, qui résisterait naturellement à toutes les errances du monde. Mais une telle confusion du politique et du littéraire ne peut conduire qu'à l'aveuglement. On peut être un écrivain immense, comme Céline, et s'égarer de manière inexcusable (mais pas impardonnable) ; on peut être un homme juste quoiqu'écrivain médiocre. Le génie littéraire ne fait pas de nous des saints. Et la force poétique n'a rien à voir avec cette prudence politique qui exige le sens aigu des médiations historiques et institutionnelles. C'est d'ailleurs la tentation totalitaire de reconstruire la société comme on écrit sur une page blanche. Si la littérature offre une résistance, ce n'est jamais directement dans le champ politique, mais indirectement, en s'élevant au-dessus de lui. Les errances de Blanchot nous en avertissent et lui confèrent une nouvelle grandeur, celle de rassembler en lui toutes les contradictions des lettres françaises au XXe siècle, d'un extrême à l'autre, et de l'engagement le plus féroce au plus extrême détachement.
    Chroniques littéraires du Journal Des Débats, avril 1941-août 1944 de Maurice Blanchot Gallimard, 667 p., 30 € .

    http://www.lefigaro.fr/litteraire/20071025.WWW000000577_faut_il_blanchir_blanchot_.html