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Catégories : Livre

Pour fêter le beaujolais nouveau

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Rencontre Bernard Pivot - Gérard Oberlé

 

par François Busnel
Lire, octobre 2006


C'est un festival d'inventions langagières et d'anecdotes viticoles! Deux grands livres célèbrent le vin et magnifient la dive bouteille. Au Dictionnaire amoureux du vin de Bernard Pivot répond l'Itinéraire spiritueux de Gérard Oberlé. Il n'en fallait pas davantage pour nous donner envie de réunir ces deux piliers du magazine Lire: Gérard Oberlé, auteur chaque mois dans ces colonnes d'une «Lettre à Emilie» - un Alsacien niché en Bourgogne -, et Bernard Pivot, fondateur du journal - un authentique enfant du Beaujolais - ne s'étaient jamais coudoyés. Rencontre au sommet. Et au meursault.

Itinéraire spiritueux, voilà un titre qui aurait pu convenir à votre Dictionnaire amoureux du vin, Bernard Pivot...
BERNARD PIVOT.
Oui, c'est vrai. De nombreux éditeurs m'ont demandé d'écrire mes souvenirs. J'ai toujours refusé. Je m'imagine mal parlant de ma vie privée... Je n'ai aucun goût pour les épanchements. En revanche, lorsque l'on m'a proposé un Dictionnaire amoureux du vin, j'ai tout de suite vu la possibilité de raconter des choses que je n'aurais jamais eu le courage ou la pudeur d'écrire directement. Tout comme Gérard Oberlé, j'ai donc fait un détour par la cave pour parler de mon enfance, de mes parents. Et j'ai découvert cette étrange vérité: c'est dans l'enfance que le vin joue un rôle.
GÉRARD OBERLÉ. Et comment! J'ai pris ma première cuite à huit ans. Le vin fut, avec les livres, le principal compagnon de mon enfance dans cette terrible Lorraine et cette lumineuse Alsace. Je dirais volontiers que le vin, c'est l'apprentissage de la liberté. La bouteille est une métaphore de la liberté. J'ai écrit ce livre pour les mêmes raisons que vous: parce que je ne voulais pas écrire de Mémoires ou d'autobiographie mais évoquer quelques passages de ma vie. Au fond, Itinéraire spiritueux est un livre d'enfance: cela explique sans doute la mélancolie et le burlesque de ce livre. Le monde vu à travers les verres: voilà qui me paraît être une méthode de narration plus amusante que l'autobiographie.

«Vision du monde» pour Gérard Oberlé; «culture» pour Bernard Pivot: quelle place le vin tient-il dans vos vies?
B.P.
Je suis un consommateur plutôt modéré mais un défenseur ardent. C'est d'ailleurs l'autre raison qui m'a poussé à écrire ce Dictionnaire amoureux: aujourd'hui, le vin est très maltraité par les pouvoirs publics. Je ne défends pas l'ivresse, pas du tout, mais on ne peut pas mettre le vin au même niveau que les autres alcools. Je voudrais rappeler que le vin est, en effet, sinon une vision du monde comme dit Oberlé, du moins une culture. Le vin est intimement lié à l'évolution de notre civilisation. Son histoire débute avec Noé, on le trouve dans toutes les mythologies, il est au cœur de la religion chrétienne... On ne peut donc balayer la production viticole d'un revers de la main comme si elle n'existait pas et ne jouait pas un rôle fondamental dans la vie des sociétés. Il faut défendre nos vignerons! Le vin est, pour moi, lié à la bonne humeur, à la joie, à l'amitié, au succès, au plaisir, à l'amour.
G.O. N'oubliez pas le chagrin!
B.P. Ah, non, je n'ai pas le vin triste...
G.O. Il ne s'agit pas de tristesse. La mélancolie que j'évoque n'a rien à voir avec la dépression: on n'est pas seul avec une bouteille de vin. Il y a des vins qui ont de la conversation et avec lesquels on peut dialoguer dans les moments de détresse. Les gens mélancoliques sont souvent les plus drôles. Prenez les poètes alsaciens du XVe siècle! Je vous rejoins sur le caractère sacré du vin. Cela dit, mon livre est aussi un livre de deuil: je bois pour des gens qui ne peuvent plus boire.

Gérard Oberlé, vous consacrez deux chapitres à comparer les vignerons et les écrivains... Quel rapport?
G.O.
Quand Jean Carmet descendait dans ma cave, il me disait toujours: «Je vais dans ta bibliothèque...» Avouez qu'ouvrir une bouteille de chez Henri Jayer, c'est comme ouvrir un missel des temps anciens!
B.P. Ah, Jayer... Voyez, il parle des vins comme des livres. C'est cela, aimer le vin.

Ecrit-on mieux en compagnie d'une bouteille de bon vin?
B.P.
Je cite dans mon livre l'exemple de Jim Harrison. Celui de Bukowski, encore plus excessif. J'ai toujours été fasciné par ces écrivains. Je me demande quel invraisemblable chagrin les pousse à noyer leur désespoir dans le vin... Blondin, Pirotte... Moi, je ne peux pas écrire si j'ai bu.
G.O. Moi non plus. J'écris avec beaucoup d'application, très lentement, sabrant et réécrivant jusqu'à ce que la musique de la phrase me convienne. Je ne peux pas le faire si je bois. Cela dit, la véritable question est: s'ils n'avaient pas bu comme des trous, leur œuvre aurait-elle été si géniale? Prenez Alfred Jarry, par exemple. Ou Cingria, immense écrivain. Et Hemingway? A la fin de sa vie, Chandler buvait cinq litres de whisky par jour... Ce qui est certain, c'est que le vin fait surgir des mots.
B.P. La meilleure chaptalisation du vin, c'est la bonne humeur de celui qui le boit! J'ai adoré les mots que vous employez, justement, pour parler du vin dans votre livre: ce sont des «oberléades» qui me régalent.

Justement, en parlant de régal: chez Gérard, le vin est intimement lié à la cuisine (qu'il fait divinement bien). Peut-on parler de vin sans cuisiner?
B.P.
Bien sûr. La preuve? Je ne sais pas cuisiner!
G.O. Je fais la cuisine car j'ai eu la chance de naître dans une famille modeste et, dans ces familles, on mange très bien. Chez les grands bourgeois aussi, notez, alors qu'on mange mal chez les petits-bourgeois et chez les aristos. Mais chez les gens modestes, on mange ce qui vient du potager familial. J'ai donc eu une enfance extrêmement bien nourrie. Lorsque je me suis retrouvé en pensionnat puis étudiant, j'ai beaucoup souffert de la nourriture que l'on me servait. J'ai donc décidé de faire moi-même la cuisine. Et cette habitude est restée. Or, pas question de manger bien sans boire bien. Du coup, les meilleures bouteilles ne se conçoivent, pour moi, qu'accompagnant de succulents mets.
B.P. J'ai eu la chance, moi aussi, de naître dans une famille modeste où l'on mangeait admirablement. J'ai toujours été entouré de femmes qui cuisinaient remarquablement, à commencer par ma mère et mes tantes. Donc, je me suis dit que je ne parviendrais jamais à faire mieux et qu'il était inutile d'essayer...

La grande différence entre vos deux livres tient au statut de l'ivresse: l'un la pratique, l'autre la fuit...
G.O.
J'ai le goût de l'ivresse, mais il m'est difficile d'être ivre mort. Que voulez-vous, je le vis comme une infirmité! La différence est que, contrairement à moi, Bernard Pivot n'a jamais été un mauvais garçon.
B.P. Probablement, oui. Mais c'est surtout que ma première muflée, à 13 ou 14 ans, m'a rendu tellement malade que je suis vacciné. Passé un certain cap, je ne prends plus de plaisir à boire. Les passages du livre de Gérard sur l'ivresse sont remarquables. Cela fait d'Itinéraire spiritueux un véritable pamphlet contre la vie actuelle. Vous écrivez d'ailleurs: «J'ai vécu dans la poésie.» Mais quel lien faites-vous entre le vin et la poésie?
G.O. L'ivresse, précisément. La poésie transfigure le réel. L'ivresse est également une façon de ne plus voir le réel. «Revenons à la réalité», disent les imbéciles: mais elle est dégrisante, la réalité! Or moi, je veux être grisé. La poésie et le vin m'apportent cela. La solitude, aussi. Je vis retiré du monde dans un manoir du Morvan, au milieu de la nature et des livres, et j'envoie mes chroniques à Lire par Internet. Je ne viens à Paris que pour vider quelques flacons avec mes amis et mon «patron» ...

Y a-t-il des choses qui vous agacent dans l'univers du vin?
B.P.
Oui, les sommeliers qui en font trop, qui vous accablent d'explications et dont on a l'impression que leur femme est allée le matin même au marché, de sorte que l'on retrouve tout le cabas de leur dame dans le vin qu'ils viennent d'ouvrir... Mais il y a aussi de merveilleux professionnels auxquels ce livre rend hommage.
G.O. Un vin est bon ou ne l'est pas, point final. Pourquoi en rajouter dans le langage, pinailler sans cesse? Pour moi, c'est aussi fatigant que d'écouter de la musique en mangeant: sacrilège!

Quel est votre vin préféré?
ENSEMBLE.
Ah, non! Impossible de répondre... Pas plus qu'à la question: quel est votre livre préféré?

Quel est l'écrivain qui parle le mieux du vin?
G.O.
Jean-Claude Pirotte.
B.P. Paul-Louis Courier. Et Gérard Oberlé.

http://www.lire.fr/entretien.asp?idc=50478&idR=201&idG=8

Commentaires

  • Pas mal le lien entre la poésie et le vin....

  • oui, la poésie comme forme d'ivresse avec ou sans vin...

  • Nous avons tous à un moment de notre vie ' touché ' à la bouteille pour y découvrir la saveur ,mais aussi l'ennivrement .Si le vin me parait aider à ' oublier' , à rendre euphorique, certes écrire sous son emprise , pour ce qui me concerne , au moins n'aurait pour conséquences q'un texte minable ( sourire )...

  • http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2007/03/30/mon-poeme-d-adulte-inedit-sur-ce-blog-l-ivresse.html

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