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Et Courbet créa la femme

ÉRIC BIÉTRY-RIVIERRE
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 Publié le 11 octobre 2007
Actualisé le 11 octobre 2007 : 10h15

À Paris, le père du réalisme n'avait pas fait l'objet d'une rétrospective depuis trente ans. Celle qui s'ouvre samedi au Grand Palais propose une lecture nouvelle, très sexuée, de l'oeuvre.

IL S'ÉTAIT un peu endormi après son installation en 1995 au musée d'Orsay. Le public ne réagissait plus guère devant ce très réaliste sexe féminin de 46 × 45 cm qui lui avait été pourtant caché dès sa composition, en 1866. Mais aujourd'hui L'Origine du monde trouve une vigueur nouvelle. Non plus celle du scandale, mais celle du sens. Installé dans la rotonde centrale du Grand Palais, au coeur de la première rétrospective parisienne consacrée à Gustave Courbet (1819-1877) depuis trente ans, ce tableau que la critique qualifia de tableautin avant d'admettre - Lacan, un de ses propriétaires, étant passé par là - qu'il pouvait aisément prétendre au titre de peinture la plus osée de toute l'histoire de l'art, fonctionne comme un vortex. Quasiment toute la rétrospective Courbet peut y être ramenée.
Comment, en effet, ne pas voir dans les obsessionnelles séries de vagues d'Étretat et de grottes de la Loue précézanienne, la source de la rivière chère au maître franc-comtois, volontairement réunies face à face grâce à de très généreux prêts internationaux et notamment américains, ici un triangle pubien d'écume, là un orifice à l'humidité fertile ? Ailleurs, comment ne pas comparer l'anonyme toison à la fourrure de ces renards, centraux dans les scènes de chasse ? Et que penser de ce combat de cerfs intitulé Rut du printemps (1861) alors que ledit rut a lieu en automne. Un autre clin d'oeil entendu de la part de ce chasseur émérite qu'était Courbet ?
Il était comme cela, ce communard bedonnant de Gustave : aimant la femme pour ce qu'elle est, un être tout de chair, sexué, et non une allégorie. Le voilà affirmant ses formes réelles dans Les Baigneuses (1853) alors même que cet art tout neuf qu'est la photographie les lui gomme comme le démontrent, à côté de la toile, les études d'après nature du même mannequin signées Julien Vallou de Villeneuve. Plus loin, dans L'Atelier du peintre (1855), toile manifeste où Courbet se représente symboliquement au travail, s'il tourne le dos à un nu c'est qu'il s'agit de la Vérité académique. Il n'aurait jamais infligé un tel affront à toutes ces dames qu'il aime dans la vraie vie.

Belles ou laides, qu'importe
À commencer par Juliette, la plus jeune de ses trois soeurs, si tendrement dessinée dormant sur un livre vers 1840 ou qu'il peint en baronne pour rire (Balthus puisera largement dans ce regard d'enfant sérieux). Ce sont encore Juliette et ses soeurs qui forment le gros du choeur des pleureuses dans Un enterrement à Ornans. Elles sont à droite, avec les vieux révolutionnaires de 93. Voilà, déjà, des femmes avenir de l'homme !
D'autres évoluent incroyablement libres telles Les Baigneuses, les Demoiselles des bords de Seine (été) (1857) au corset délacé, Les Deux amies franchement saphiques (1866) et encore Jo la belle Irlandaise (1866), une des plus belles rousses de la peinture, un caractère qui se partagea entre Courbet et Whistler sur les planches de Trouville. Mais belles ou laides, qu'importe : cette rude cabaretière de Mère Grégoire (1859) a droit à autant de considération, autant de génie. En bon terrien matérialiste - Courbet est l'ami de Proudhon -, il ose même montrer la femme en cadavre. L'inachevé Toilette de la morte (1854) apparaît ici comme une sorte de pendant inverse à L'Origine du monde. Aussi cru, aussi vrai, quoique de technique différente.
Faut-il trouver la raison profonde de cette passion proprement inédite pour la femme charnelle dans la perte de Clarisse, cadette de deux ans de Gustave, morte à 13 ans ? Sur un des seuls dessins préparatoires du maître d'Ornans, celui pour Un enterrement (visible dans un pupitre situé devant la grande toile) la fosse n'est pas encore creusée alors qu'elle forme le noyau de l'oeuvre définitive. Cette béance, Courbet est, à l'époque, le seul avec un autre romantique adepte du vide central, l'Allemand Caspar David Friedrich, à la revendiquer. C'est celle du Désespéré (1845) ou de cet autre autoportrait en Homme blessé (1854). Lui, porte son trou à la boutonnière, comme la médaille du martyr. Mais de cette béance, l'homme d'action, le peintre adulte prônant une vision totale des choses, fera une quête. Elle aura payé : au bout, Courbet aura découvert la femme moderne. Soit le salut.
Du 13 octobre au 28 janvier à Paris, galeries nationales du Grand Palais. Rens. : 01 44 13 17 17. Guide de la visite : « Petit Journal » illustré et en couleurs (RMN, 16 p., 3,50 eur ). L'exposition ira ensuite à New York, au Metropolitan Museum of Art, du 27 février au 18 mai et à Montpellier, au Musée Fabre, du 13 juin au 28 septembre 2008 . 

Pour en savoir plus
- Beaux livres. Catalogue (RMN, 477 p., 49 eur ). Courbet, de Ségolène Le Men (Citadelles & Mazenod, 400 p., 179 eur ).
Essais. L'Origine du monde, de Thierry Savatier (Bartillat, 231 p., 20 eur ). Bonjour, monsieur Courbet de Jean-Pierre Ferrini (Gallimard, 160 p., 17 eur ). Le Journal de Courbet, de Thomas Schlesser (Hazan, 391 p., 27 eur ). Courbet, le poème de la nature de Pierre Georgel (RMN « Découverte » Gallimard, 176 p., 14 eur ). Courbet de Fabrice Masanès (Taschen, 96 p., 6, 99 eur ).
Films. Trois documentaires en un DVD : Courbet, les Origines de son monde de Romain Goupil, L'Origine du monde de Jean-Paul Fargier et La Place du mort d'Alain Jaubert (1 h 46, 22,99 eur ). Diffusion des deux premiers films, le 19 octobre sur Arte.

Commentaires

  • Une femme-paysage...

  • Ha!! Courbet!!
    j'aime ses peintures!!
    j'ai vu l'origine du monde au musée d'Orsay, il fallait vraiment oser peindre ce sujet!!

    bizzz

  • Dont je parle dans mon mémoire...

Les commentaires sont fermés.