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Catégories : Des expositions

Monet, dinosaure de l'abstraction

Par Eric Bietry-Rivierre
16/06/2010 | Mise à jour : 18:57

La Cabane à Trouville de Claude Monet à Trouville, 1881 (© Musée Thyssen-Bormenisza, Madrid /Photo José Loren)
La Cabane à Trouville de Claude Monet à Trouville, 1881 (© Musée Thyssen-Bormenisza, Madrid /Photo José Loren)

Le Musée Marmottan reconsidère l'œuvre du patriarche de Giverny avec l'œil de Pollock, Rothko, Sam Francis ou encore Gerhard Richter.

Encore ! Et dommage… Le thème est passionnant, le ton est juste, subtil, les œuvres de très haute qualité. Mais l'exposition qui s'ouvre aujourd'hui au Musée Marmottan aurait mérité un endroit plus à sa mesure. Accrocher Monet, principalement celui de la dernière période, celle des Nymphéas et de la liberté la plus totale, avec les peintres abstraits de l'après-guerre et quelques grands contemporains cultivant à leur suite l'amour du geste et de la couleur purs équivaut, en effet, à évoquer une bonne part de l'épopée de la modernité au XX e siècle.

Encore plus de tableaux, encore plus de rapprochements, de confrontations, voudrait-on. Même si ceux qui ont été retenus sont admirables. Le partenariat de Marmottan, institution qui possède la plus importante collection au monde d'œuvres de Monet, avec le Musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, qui dispose d'une collection exceptionnelle, notamment en matière d'expressionnistes abstraits américains et d'informalistes européens, ne pouvait être que fructueux.

Il éclatait dans toute sa splendeur, cet hiver dernier, dans la capitale espagnole lors d'une première exposition… trois fois plus vaste. Là-bas, au Musée Thyssen, les salles vert fluo, bleu profond ou jaune soleil permettaient chaque fois de splendides et surprenants coups d'œil. Elles n'avaient rien à voir avec les cimaises en sous-sol d'un blanc plus que douteux du vénérable hôtel du XVIe arrondissement. Reste donc à Marmottan les œuvres elles-mêmes (44). Et les face-à-face.

Kandinsky vécut comme une épiphanie la découverte, à Moscou en 1895, d'une toile de la série des Meules. C'était celle conservée à Zurich, plus brumeuse et plus plate que celle présentée ici à côté d'Image avec trois taches (1914).

Suivent Rothko, qui semble ne retenir d'Impression, soleil levant que le rouge oranger du soleil havrais, et Adolph Gottlieb dont Roman Three est un disque vert sur halo jaune. Non loin, Clyfford Still a laissé en réserve du blanc sur sa toile de 1965. Un peu comme dans l'évanescent Bras de Seine peint en 1897. Ces deux mondes ne sont que couleurs en suspension…

Les « Nymphéas » en apesanteur

Après ces variations sur la notion d'atmosphère, une seconde section a pour thème le geste. Pollock en sacralise la spontanéité par ses «drippings», zébrures désormais célèbres réalisées sur une toile placée à l'horizontale. Avant lui, isolé et oublié dans son laboratoire, le patriarche de Giverny avait déjà mis fin à la touche. Sa cataracte aidant, il ne jetait plus sur la toile que des virgules ou ses serpentins rapides, rouges, verts ou mauves, dont la profusion donne cette indicible «impression» du feuillage, de l'air, de l'eau et de ses reflets.

Le plus radical de ces travaux est sans doute le flamboyant Pont japonais de 1918. Même là, Monet ne s'attache pas complètement à la texture et à la consistance. Il n'a pas sauté le gué qui le sépare de l'abstraction. Toutefois, la frontière est mince. Le merveilleux est qu'il ne la conçoit même pas alors qu'il s'en trouve si proche. Comme un Christophe Colomb auquel un filet de brume cacherait encore le Nouveau Monde.

Indices? Sa peinture se prolonge au-delà de ses bords, en une sorte d'»all-over» avant la lettre. Et ses gouttes de pluie ne sont que coulures. Avec intelligence, Marmottan prend soin de ne pas le célébrer en prophète:avec Monet, nous n'en sommes encore qu'à la préhistoire. Ce seront les André Masson, les Jean Bazaine, les Maria Elena Vieira da Silva ou les Zao Wou-ki qui, a posteriori, verront dans le fog londonien, les fumées des trains du pont de Charing Cross, et plus encore dans les nymphéas en apesanteur, les prémices de leur art sans formes.

«Ces peintres partagent également avec Monet un certain rapport à la nature», remarque aussi Paloma Alarco, chef du département de peintures modernes du Thyssen et commissaire de l'exposition. Au point que Joan Mitchell, Jean-Paul Riopelle ou Sam Francis effectueront le pèlerinage à Giverny. Dans le jardin-sanctuaire d'un vieil homme à barbe blanche qui ne voyait presque plus mais qui contemplait tout.

«Monet et l'abstraction», Musée Marmottan, jusqu'au 26 septembre, 2, rue Louis-Boilly 75016 Paris. Catalogue Hazan, 175 p., 29 €. Tél.:01 44 96 50 33. www.marmottan.com

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