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Catégories : Les polars

James Ellroy : femmes, il vous aime

Par Bruno Corty
26/01/2011 | Mise à jour : 18:14

«Très tôt, j'ai su que j'aurai une destinée toute-puissante.» (François Bouchon/Le Figaro)
«Très tôt, j'ai su que j'aurai une destinée toute-puissante.» (François Bouchon/Le Figaro)

Rencontre à Paris avec le géant américain, qui livre une nouvelle autobiographie coup de poing. Au programme : sa mère, l'amour, la littérature et Beethoven.

À la question: «Il est comment le nouveau Ellroy?», la réponse est toujours la même: «C'est du Ellroy !» Sous-entendu, une littérature enténébrée, survoltée, frappadingue, menée à un train d'enfer par un écrivain à l'ego surdimensionné mais de classe mondiale. Les livres d'Ellroy sont à son image. Avec lui tout est XXL. À cet égard, janvier 2011 ressemble furieusement à janvier 2010. Celui qui s'est surnommé le Chien du démon» ou «le Grand Fromage» est de retour à Paris pour assurer (c'est le mot qui convient, Ellroy assure) la promotion de son nouveau livre, La Malédiction Hilliker, du nom de cette mère assassinée au printemps de 1958 alors que le futur écrivain avait dix ans.

C'était déjà le sujet de Ma part d'ombre, l'autobiographie publiée en 1995. C'est ici le prétexte pour évoquer les femmes de sa vie et cette obsession pour les femmes en général qui l'habite depuis toujours. Pas un livre facile à défendre. Quittant la fiction et l'action, où il est roi, l'Ellroy est nu. Son éditeur américain, Sonny Mehta, gourou tout-puissant de Knopf, l'éditeur des prix Nobel, n'en voulait d'ailleurs pas. Ellroy a su le convaincre: «J'obtiens toujours ce que je désire.» C'est une phrase du livre qu'il nous ressert ce matin parisien dans le salon cosy du bel hôtel de la rive gauche où il se réfugie à chacun de ses séjours. Si vous lui demandez pourquoi il a absolument tenu à écrire ce livre, il répond: «Pour que les femmes m'aiment.» C'est aussi la première phrase de La Malédiction Hilliker. Et c'est aussi une phrase prononcée par l'un des personnages masculins d'Underworld USA. En comédien-né, showman hors pair, Ellroy recycle ses bons mots, récite et se cite avec bonheur. Lundi dernier, au Théâtre Marigny, debout derrière un pupitre, il a régalé son auditoire en lisant des dizaines de pages de son livre. La voix est puissante, la diction précise, les tonalités variées. Parfois, un geste ample, un hurlement démentiel, une expression argotique soulève la salle. Ellroy adore le répéter: «Je suis le petit-fils d'un pasteur presbytérien écossais et prêcher ne me fait pas peur.» En fait, au-delà du côté barnum de ses prestations, Ellroy prouve avec éclat que depuis ses débuts, il y a trente ans, cet autodidacte n'a cessé de travailler les mots avec férocité, de les façonner comme une glaise, de choisir avec la plus grande attention le nom du moindre personnage secondaire. Enfermé des heures durant dans son bureau sombre façon bunker, on imagine assez bien l'Américain fou de littérature, debout, rejouer à sa façon le gueuloir flaubertien.

Livre sur les femmes avant, pendant et après la femme de sa vie, sa mère, adorée puis haïe au point d'avoir souhaité sa mort et d'avoir vu son vœu réalisé, La Malédiction Hilliker touche parce qu'on y voit un homme se confesser. Un homme privé d'enfance, qui a quitté l'école jeune, qui a manqué d'amour, qui a cherché refuge dans les fantasmes, qui a bu, s'est drogué, a cambriolé des maisons à la recherche de la moindre trace de féminité. Il y a du pathétique dans l'histoire d'Ellroy. Et de la lucidité à la pelle dans ces pages où il écrit «Pauvre cinglé, artiste manqué», «Orgueil démesuré, arrogance, isolement» ou «Je suis craintif. Je suis autoritaire et mal élevé. J'attire les gens à moi et je les repousse. » Et pourtant, au lieu de sombrer, Ellroy a réussi à surmonter les épreuves à force de ténacité, de volonté. À force de choyer une solitude consacrée à la méditation, « seul dans le noir», à dialoguer avec les femmes et Dieu. Dieu? Un sujet nouveau chez lui: «Quand j'étais enfant, je vivais près d'une église luthérienne où ma mère me déposait sur un banc et me reprenait des heures plus tard. Je n'ai jamais pris ces instants comme quelque chose d'imposé, de contraignant. Au contraire, j'ai vu la religion comme un sanctuaire et très tôt j'ai su que j'aurai une destinée toute-puissante.» Ellroy ajoute: « Quand j'affirme cela, la plupart des gens pensent que c'est du pipeau complet. Ils ont tort et je me moque de ce qu'ils pensent. Une chose est sûre ; ce livre est l'ultime occasion à mes yeux de verbaliser ces sentiments. C'est le dernier volet de mon autobiographie.»

 

 

Un ouvrage pas toujours bien compris dans son pays: «J'ai eu des critiques horribles et ironiques. Aux États-Unis, c'est le règne de l'anti­romantisme. On n'accepte pas que je dise être resté en excellents termes avec ma deuxième femme, Helen Knode; on n'accepte pas que je dise qu'Helen et Erika, mon nouvel amour, s'entendent bien. En fait, je crois qu'il est difficile pour ces critiques d'entendre parler de Dieu et de romantisme dans un langage de roman noir. Ils sont déstabilisés. En France, pays où mon succès est le plus grand, et en Angleterre, les gens ont une sensibilité plus proche de la mienne.»

Lui, qui avait affirmé haut et fort à une époque qu'il n'écrirait plus de polars et que Los Angeles était désormais loin de ses préoccupations, a changé d'avis. Les fans de la première heure seront donc ravis d'apprendre qu'Ellroy s'est lancé dans un nouveau défi: écrire un nouveau Quatuor de Los Angeles dont l'action sera située en 1941 au moment de Pearl Harbor. «On y retrouvera, plus jeunes, les personnages du premier Quatuor. Il y sera question des camps d'internement pour les Japonais installés en Amérique. C'est le livre le plus difficile de ma carrière car je serai en dehors de mon cadre habituel. Je sais peu de chose des années 30 et 40. J'ai lancé mes documentalistes sur le dossier et les ai chargés de relire mon premier Quatuor pour ajuster les chronologies.» À soixante-deux ans, James Ellroy ne dételle pas. Amoureux d'une journaliste beaucoup plus jeune que lui, Erika Schickel, auteur d'un best-seller au titre savoureux (Tu n'es pas mon patron), Ellroy, guidé par son mentor de toujours, Beethoven, dont il a, depuis l'enfance, des photos dans sa chambre, martèle: «On continue.» Avec plaisir, maestro !

La malédiction Hilliker de James Ellroy, traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias, Rivages, 278 p., 20 €.

 

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