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Catégories : Des expositions, Le paysage

Grand Palais : les sortilèges du paysage classique

Par Eric Bietry-Rivierre
10/03/2011 | Mise à jour : 11:47 Réagir

Le musée parisien a cerné un moment clé de la peinture : dans la première moitié du XVII e siècle, à Rome, les artistes réinventent une nature idéale.

 

Lumière. Il est le premier à oser peindre le soleil en face. Claude Gellée, dit le Lorrain, car il est né dans les Vosges (1600-1682), nous embarque vers 1640 avec une sainte érémitique à partir d'un port imaginaire pour des lointains sans fin. Ampleur et rigueur. (Museo Nacional del Prado)
Lumière. Il est le premier à oser peindre le soleil en face. Claude Gellée, dit le Lorrain, car il est né dans les Vosges (1600-1682), nous embarque vers 1640 avec une sainte érémitique à partir d'un port imaginaire pour des lointains sans fin. Ampleur et rigueur. (Museo Nacional del Prado)

 

D' Annibal Carrache à ­Nicolas Poussin et Claude Gellée, dit le Lorrain, c'est à Rome, dans la première moitié du Grand Siècle, que les codes classiques d'une nature idéale se fixent. Unité de temps, de lieu et d'action: voici donc le paysage en majesté au Grand Palais. Prétendre qu'on assiste à sa naissance serait faux. On possède des représentations panoramiques dès l'Antiquité. Dire qu'il s'agit d'une gestation avant l'apogée du plein air l'est tout autant. Mais c'est certainement dans la Ville éternelle, dans ce foyer alors exceptionnel d'artistes venus de toute l'Eu­rope, que l'attention portée aux campagnes, aux villes et aux rivages atteint celle que l'on porte aux scènes bibliques, mythologiques ou historiques. Même s'il est encore loin d'être réaliste ou totalement dénué d'anecdote, le paysage n'est plus le genre mineur qu'il avait été jusqu'alors. On le voit souvent jouer le premier rôle dans les compositions les plus importantes.

Stéphane Loire, conservateur en chef au Louvre, et Andrés Ubeda de los Cobos, son homologue du Prado, fondent cette démonstration sur quatre-vingts peintures et une vingtaine de dessins à la fois très beaux et tout à fait significatifs. Il manque, hélas, le point de départ : La Fuite en Égypte, d'Annibal Carrache. Le prêt de cette pièce, peinte vers 1602-1604, présente dans le catalogue, a été refusé au dernier moment par la Galleria Doria Pamphilj de Rome à cause de sombres querelles de succession.

Une promenade spirituelle

Dommage? Oui, pour les commis­saires, qui affirment qu'«elle consacre la naissance du paysage comme genre autonome». Non, car, quand bien même elle a inspiré tout le siècle et au-delà, elle n'a été, à l'origine, qu'un élément décoratif dans un ­ensemble plus vaste, la chapelle d'un cardinal, en l'occurrence. Sa «décontextualisation» a certainement dû influer sur l'idée qu'on s'en fait aujourd'hui.

Il serait illusoire de croire que la modernité arrive tout d'un coup, en une seule peinture. Ainsi, au Grand Palais, on remarque surtout le basculement par la vue de l'ensemble. De plus en plus et jusqu'à Poussin, le paysage s'ordonne avec une rigueur double. Symbolique parce qu'il reflète l'harmonie supérieure. Rationnelle parce que l'homme s'approprie son milieu de manière scientifique. Morale et géométrie finissent ainsi par être les maîtres mots de manière absolument égale.

Toutefois, la simple dimension ornementale ou divertissante n'est jamais exclue. Dans l'avant-dernière section du parcours, par exemple, les somptueux vestiges des commandes romaines pour le palais madrilène du Buen Retiro avec, entre autres maîtres, Poussin et le Lorrain œuvrant de concert sont accrochés comme à l'époque : dans les galeries royales, ils occupaient les murs situés entre de hautes fenêtres donnant sur des jardins, bien réels ceux-là.

La réflexion allant de pair avec la délectation, chaque toile est donc une invitation. Une promenade agréable et spirituelle qui passe par de sages ruines antiques, longe des rivières et des prés virgiliens, chemine en douces courbes vers des montagnes célestes. De temps à autre, des villes apparaissent. D'autant plus paisibles qu'elles sont éloignées. Sereines et guère peuplées ­lorsqu'on peut les détailler. Comme les héros ou les dieux plus ou moins des prétextes qu'on croise, on a envie de s'attarder sous ces frondaisons éternellement printanières. Et quand le soleil du Lorrain se couche sur cet univers paradisiaque, rosissant ces théâtres où tout n'est qu'ordre, luxe, calme et volupté, on devine d'autres espaces dont un Turner ou un Cézanne révéleront la nature infinie et diffractée.

«Nature et idéal : le paysage à Rome; 1600-1650, Carrache, Poussin, le Lorrain», jusqu'au 6 juin au Grand Palais , Paris VIIIe, tél. : 01 44 13 17 17, www.grandpalais.fr

Ensuite à Madrid, Musée du Prado du 28 juin au 25 septembre. Catalogue RMN, 288 p., 39 €.

Et aussi, d'Alain Mérot, «Poussin» (Hazan, 336 p., 65 €), et «Du paysage en peinture dans l'Occident moderne» (Gallimard, 443 p., 39 €).

 

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