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Catégories : CELLES QUE J'AIME, Des femmes comme je les aime

Jeanne Moreau : « Je partirai le jour où je ne vivrai plus la création comme une gourmandise »

 

Publié le 23/12/2012 à 06:00


 
 

A 85 ans, elle se souvient du tourbillon de sa vie. De ses débuts, des insultes, de ses choix audacieux, de Jean Genet et des amis pour lesquels elle réclame le mariage gay. Sa devise : « Le cœur brûlant, la parole froide ». Elle sera le 26 décembre à l’affiche de « Une Estonienne à Paris ».

Photo DR
 
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Votre personnage, dans « Une Estonienne à Paris », dit : « Personne ne m’a jamais dit ce que je dois faire ». Ce franc-parler traduit-il le vôtre ?

La liberté de choix, je l’ai pratiquée toute ma vie. En tant que personne, je fais ce que je veux. Les bien-pensants m’emmerdent. Comédienne, j’ai fait des choix audacieux à une époque où c’était mal vu. Je peux vous dire que, maintenant, j’ai une connaissance du monde plus grande que bien des philosophes. Je suis entrée dans la peau de tellement de femmes, j’ai rencontré des gens de tous bords et de toutes nationalités, j’ai essuyé des tombereaux d’insultes. Chaque film m’a appris quelque chose, même les mauvais.

Justement, après soixante-dix ans de cinéma et de théâtre, qu’est-ce qui vous donne envie de continuer ?

Tant que j’aurai le désir de création, je me sentirai vivante. Vous savez, quand la vie m’a été donnée, j’ai reçu un don. Oui, un don, car je n’y suis pour rien dans ce que les gens appellent le « talent ». Et je ne dis pas ça au nom d’une quelconque croyance, je suis agnostique. Le jour où je ne vivrai plus ce don comme une gourmandise, j’écrirai un livre et je partirai.

Un livre sur votre vie ?

A la toute fin, sans doute. Je n’écrirai pas directement sur moi, mais ce sera quelque chose de personnel sur ce que tout le monde partage, les douleurs, les joies, les surprises bonnes ou mauvaises. A 15 ans, j’avais écrit 680 pages ! Depuis, j’ai admiré tant d’auteurs que je n’ai plus ressenti la légitimité de me mettre devant une page blanche. Ecrire une lettre me prend trois ou quatre jours.

Vous n’envoyez donc pas de mails ?

Je ne sais pas m’en servir. J’ai réussi à faire des textos, c’est le bout du monde. J’ai eu un mal fou avec les points d’interrogation et d’exclamation, mais j’ai fini par les trouver.

Le jour de vos 20 ans, vous avez signé à la Comédie française. Quel souvenir gardez-vous de ce début ?

J’ai signé le 23 janvier 1948. Peu de temps avant, mon père m’avait foutue à la porte. Il ne voulait pas que je fasse ce métier « déshonorant ». Un soir qu’il travaillait tard à la brasserie, un de ses copains lui a montré, dans France Soir, la photo d’une certaine révélation, Jeanne Moreau, que tout le monde surnomme Nanette. Furieux, il est monté, m’a sortie du lit, m’a foutue une baffe et m’a virée devant tout le monde, sans un sou, sans rien. Mes débuts sont à jamais liés à ce souvenir.

Débuter par une telle humiliation a dû forger votre caractère…

Le plus dur, c’est quand c’est vous qui faites du mal. Par exemple, Jean Meyer, de la Comédie française, m’avait demandé de remplacer une comédienne qui ne convenait pas pour « Un Mois à la campagne » de Tourgueniev. Cela a été une épreuve terrible car, au moment où il m’a fait descendre pour répéter, nous avons croisé la jeune fille qui venait seulement d’être informée qu’elle n’aurait pas le rôle. J’ai trouvé ça d’une cruauté sans égal. En même temps, il faut bien le dire, je m’en foutais un peu. Je savais à quoi ce métier m’exposait. S’arrêter aux vexations, c’est vivre dans les affres de la douleur. Ma devise : « Le cœur brûlant, la parole froide ». Il ne faut pas céder aux émotions. Lorsque j’ai joué « Le Récit de la servante Zerline » (Molière de la meilleure actrice en 1988), le metteur en scène Klaus Michael Grüber ne cessait de me répéter que j’étais nulle.

Vous avez une façon de jouer très particulière, froide. D’où vous vient cette technique ?

Je suis comme un tuyau d’arrosage : je me prépare, ça me traverse et si ça vient, ça sort. Il suffit de garder ce tuyau le plus propre possible. Au début, croyez-moi, je piétinais pour entrer en scène, pour être la plus voyante. Un jour, un metteur en scène m’a dit : « Tu agis comme une pute, tu racoles pour être applaudie ». Cela m’a sacrément servi de leçon. J’ai appris, petit à petit, à jouer sans claquer les portes et sans qu’on m’entende derrière le rôle.

Vous étiez proche de Jean Genet, vous avez joué dans « Querelle » de Fassbinder. Comprenez-vous ce remue-ménage autour du mariage gay ?

Le mariage doit être étendu à tous les hommes et à toutes les femmes. Protester, je trouve ça scandaleux, méchant. Je préfère ne pas trop en parler, car je sens que je vais m’énerver. Et quelle bêtise de dire qu’un enfant doit avoir un père et une mère pour l’élever. Mais si l’enfant a été conçu, c’est qu’il a déjà, à vie, un père et une mère biologiques. Et s’il doit être adopté, c’est qu’ils ne sont plus là. Après, c’est la vie qui se charge de lui. Et la vie, ce peut être deux gays comme un couple de lesbiennes.

A propos de Jean Genet, je viens de découvrir un livre magnifique de Juan Goytisolo, que j’ai connu à la même époque que Jean. J’aimerais en faire un spectacle. Je suis fascinée par Jean Genet. Mon admiration l’aurait rendu furieux. Dès qu’on l’aimait, il vous cassait la gueule et partait.

Avez-vous eu, récemment, d’autres coups de cœur ?

Mon dernier amour, c’est Yolande Moreau. J’adorerais faire un film avec elle.

Et je viens de découvrir « Les Enfants du paradis » de Carné. Je ne l’avais jamais vu. Ce film est d’une beauté ! La seule faiblesse vient peut-être de Jean-Louis Barrault. Sinon, tous les acteurs sont sublimes. Y compris Maria Casarès, qui joue généralement avec les lèvres tremblantes et les larmes qui jaillissent trop vite.

Propos recueillis par David S. Tran

http://www.leprogres.fr/france-monde/2012/12/23/je-partirai-le-jour-ou-je-ne-vivrai-plus-la-creation-comme-une-gourmandise

Je précise que cet article n'est pas de moi (lien vers la page citée et si possible son auteur)mais que je suis auteure(inspirée par ce que j’aime, donc par ce blog) et que vous pouvez commander mes livres en cliquant sur les 11 bannières de ce blog

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