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L’éditeur Maurice Nadeau décède à l’âge de 102 ans

Il a découvert, comme critique et comme éditeur, les plus grands écrivains du siècle.

 
17/6/13 - Mis à jour le 17/6/13 - 18 H 00
 
Maurice Nadeau pose pour le photographe, le 23 mai 2006, dans les locaux de sa revue "La Qui...

Maurice Nadeau pose pour le photographe, le 23 mai 2006, dans les locaux de sa revue "La Quinzaine Littéraire". L’éditeur est mort dimanche 16 juin 2013, à l’âge de 102 ans. 

Maurice Nadeau est mort dimanche à 102 ans, après avoir défendu jusqu’au bout sa revue, La Quinzaine littéraire, menacée de disparition.

 

Avec cet article

Il ne fut jamais candidat à l’Académie française ; on aurait pourtant pu le croire immortel. À 102 ans, Maurice Nadeau faisait, mieux que d’autres, figure de patriarche des lettres et de l’édition françaises. À sa manière : rien de compassé ni de surplombant dans cette aînesse, plutôt une normalité, une discrétion, une classe populaire. « Plus qu’une figure paternelle, c’est une figure de grand frère », soulignait l’historien de l’art Serge Faucherau, son ami depuis 1964, « et il reste un jeune homme car il n’est pas enfermé dans une époque ».

Encore récemment, l’ancien résistant continuait à travailler, à soutenir à bout de bras La Quinzaine littéraire, à fréquenter ses bureaux de la rue Saint-Martin plus que les cocktails mondains. Son appartement, près du Panthéon, était un lieu vivant rempli de centaines de livres, de photos et d’objets d’art, tableaux ou statuettes africaines (il étudia l’ethnologie) qu’il conservait non en collectionneur, mais pour ce qu’ils témoignaient des rencontres de sa vie. 

« Ce sont les gens avec qui je vis, confiait-il à La Croix en 2009, tous les livres qu’on aime, on vit avec, on les emporte au lit. » D’une forme étonnante pour ses 98 ans, il avait dans la foulée sauté allègrement sur son lit pour attraper un volume haut perché dans une de ses bibliothèques, avant d’évoquer avec chaleur son histoire – comme toujours : celle d’une rencontre.

lecteur et serviteur

« Les rencontres, voilà ce qui m’intéresse, expliquait-il à La Croix en 2011, c’est quand même une façon pas trop désagréable de passer sa vie ! » Il y en eut d’innombrables : dans la Résistance à partir de 1940, comme celle de David Rousset, déporté en 1943, dont le livre, Les Jours de notre mort, sera le premier édité par Nadeau ; celle de Sartre en 1942, devenu après-guerre son voisin de palier chez Julliard ; puis celle de Camus à Combat en 1945, où il tiendra durant sept ans la rubrique littéraire.

Et il y eut les rencontres sur le papier, avec les auteurs qu’il porta à la connaissance du public. Comme critique littéraire, à France Observateur et à L’Express : Michaux, Bataille, Le Clézio, Pasolini, Obaldia… Et comme éditeur, au Mercure de France, chez Corréa, Julliard, Denoël. Maurice Nadeau découvrit et fit traduire Witold Gombrowicz, Malcolm Lowry, Varlam Chalamov, Henry Miller, Leonardo Sciascia, Stig Dagerman, Arno Schmidt… 

Côté français, il découvrit entre autres Georges Perec (Les Choses, aux Lettres nouvelles, Renaudot 1965) et Michel Houellebecq (Extension du domaine de la lutte, Éd. Maurice Nadeau, 1994).

Plus qu’éditeur, découvreur de talents ou animateur de revue, c’est en lecteur et serviteur qu’il aimait se définir. Le titre d’un recueil de ses articles paru en 2002 l’indique : « Itinéraire critique à travers livres et auteurs depuis 1945 : Serviteur ! ». « J’ai toujours pensé que le critique était au service, son rôle étant de faire connaître, de faire passer l’auteur… ».

travailleur

Né à Paris en 1911, il fut profondément marqué par la mort de son père, à Verdun en 1916. Il était persuadé que sans cette disparition, il serait devenu prêtre. Restée seule, devant travailler, sa mère part pour Reims en 1918, et place Maurice et sa sœur à l’Assistance publique puis en nourrice. Brillant élève, Maurice intègre rapidement l’École normale d’instituteurs, et devient professeur en 1933, après des études à l’ENS de Saint-Cloud. 

Celui qui avait fondé une Union des étudiants communistes entrera au PCF en 1930, mais s’il conservera des convictions ancrées à gauche, il verra basculer son engagement politique vers un engagement littéraire. « Les convictions sont dans la jeunesse, on essaie ensuite d’y rester fidèle », confiait-il en 2009. « J’ai profité de la IIIe  République, de ce qu’elle faisait en faveur des basses classes à l’époque. Cela a fait de moi un travailleur. »

Michel Leiris l’avait surnommé « un héros du travail », Tandis que l’Américain Henry Miller, que Maurice Nadeau fit découvrir en France (leur correspondance est parue l’an dernier chez Buchet-Chastel), résumait, amusé, d’un : « Maurice ? toujours au boulot ! »

un combat pour faire vivre la Qinzaine littéraire

Dans cette vie foisonnante demeurait un regret : celui d’avoir « raté » Beckett, dont la femme lui avait soumis trois pages en lecture. Il sera néanmoins le premier, en 1951, à encenser Molloy, son premier livre paru chez Minuit. Une amitié naîtra, et des visites régulières : « On se donnait rendez-vous boulevard Saint-Germain et on passait deux heures ensemble, heureux, à ne rien se dire. » 

Demeurait aussi un combat : la survie de La Quinzaine littéraire, pour laquelle il avait lancé en mai un appel à souscription, « un pari financier réussi », rassurait lundi son fils Gilles Nadeau.

« Je me suis toujours donné entièrement », notait encore en 2011 Maurice Nadeau, balayant en souvenir un siècle d’existence. « Comme enfant de chœur, comme militant politique, comme éditeur. Je croyais fermement aux saints. Quand j’ai perdu la foi, je les ai retrouvés sous forme de créatures politiques, d’écrivains. Je me rends compte que les gens que j’ai le plus admirés, ceux en qui j’ai cru, sont morts comme le Christ, se sont sacrifiés… La foi au fond ne s’en va jamais. Elle se transforme. »

SABINE AUDRERIE

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