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Une toile "d'avant" Paul Gauguin, avant l'émancipation de la couleur

Découvrir un Van Gogh inconnu est rare. Identifier une huile sur toile de grand format, exécutée à l'été 1888, durant le légendaire séjour du peintre à Arles, tient de l'exceptionnel. Dans le cas du Coucher de soleil à Montmajour, l'intérêt se trouve encore augmenté par les caractéristiques stylistiques du tableau

Parce que, pour dire la chose simplement, il ne s'agit ni du plus harmonieusement chatoyant ni du plus intensément expressif des paysages arlésiens de Van Gogh, mais d'une œuvre où se voient les hésitations et les difficultés d'un artiste qui n'a pas encore tout à fait trouvé ce que l'on considère aujourd'hui comme son style, paroxysme de couleurs et de rythme. La composition n'a rien de révolutionnaire : des arbres qui obstruent la perspective, une mention abrégée des ruines de Montmajour dans le fond, et le ciel.

 

Cette façon de se placer dans la nature, sous les frondaisons, à l'intérieur du motif et non face à lui, remonte à Jean-Baptiste Corot et Théodore Rousseau. Les impressionnistes – bien avant Van Gogh – ont repris à leur compte de tels effets d'immersion dans le paysage.

 

Les impressionnistes encore, Claude Monet ou Camille Pissarro, traitent les feuillages et les buissons par petites touches juxtaposées de différentes nuances de vert, de jaune et d'ocre. Les troncs et les branches sont tracés par des touches plus longues, qui dessinent la forme et indiquent la couleur d'un seul geste. Leurs procédés sont ici repris par Van Gogh. Les ombres d'un gris bleuté ne sont pas plus nouvelles ni les rares taches d'un bleu légèrement plus soutenu : en 1888, cela fait plusieurs années que Monet ose de telles annotations chromatiques.

 

Il n'en est pas de même du traitement du ciel. Van Gogh le parsème de touches pour la plupart rectangulaires, jaune clair, vert pâle, rose et gris. Loin de chercher à les unifier, il les laisse nettement visibles, qu'elles suggèrent des amas de nuages ou un ciel à la tombée du jour.

 

Cette manière particulière de peindre les cieux lui est propre. On ne la trouve ni chez Monet ni chez Paul Cézanne. Mais on la trouve chez lui de façon de plus en plus systématique à partir de 1888. Cela revient à dire que cette toile, dont on sait par deux de ses lettres que Van Gogh ne fut pas satisfait, le montre en train de s'émanciper de l'impressionnisme de ses aînés français, mais non encore dégagé de leurs enseignements – à l'exception de la zone céleste. Ainsi ses couleurs demeurent-elles assez naturalistes, alors qu'il n'en va plus de même quelques mois plus tard, quand le jaune a l'éclat du citron, le bleu celui de la turquoise et quand des rouges puissants entrent dans le jeu.

 

Or, que souhaite Van Gogh à l'été 1888 ? Etre rejoint à Arles par un peintre dont il sait qu'il est en train de libérer ses couleurs – Paul Gauguin. La prairie rouge vermillon de La Vision après le sermon, peinte par Gauguin en septembre ce même été, voici ce que le Van Gogh de cette toile n'a pas encore atteint à cette date, en dépit de son admiration pour les estampes japonaises qui, du reste, figurent aussi parmi les références de Gauguin.

 

LES DISPUTES QUI ÉCLATENT ENTRE LES DEUX HOMMES

 

Ce dernier accepte l'invitation de Van Gogh, quitte la Bretagne et le rejoint à Arles le 21 octobre. L'épisode est connu dans le moindre de ses détails : la maison "jaune", les séances de peinture côte à côte, les disputes qui éclatent entre les deux hommes, la nuit durant laquelle Van Gogh se mutile, son internement, le retour précipité de Gauguin à Paris. Ce moment décide du destin de Van Gogh. Il est aussi décisif pour son art. Sa gamme chromatique prend en peu de temps une intensité jusqu'alors inconnue.

 

Cette violence, qui éclate dès Le Semeur, peint en novembre 1888, et s'amplifie des toiles de Saint-Rémy à celles d'Auvers-sur-Oise, c'est pour elle qu'au début du XXe siècle se prennent de passion Derain et Vlaminck à Paris, Nolde et Kirchner en Allemagne.

 

Si Van Gogh ne s'était jamais avancé plus loin que ce Coucher de soleil à Montmajour, il ne serait guère connu que comme un impressionniste néerlandais de deuxième génération, agréable paysagiste du Midi.

 

L'intérêt historique de la toile qui a ressurgi tient ainsi moins à ses qualités propres qu'aux comparaisons qu'elle permet et à sa situation de repère dans l'évolution stylistique de son auteur. C'est un Van Gogh d'avant Gauguin et donc d'avant la liberté de la couleur.

 

Philippe Dagen

 

Culture

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