Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, Le champagne

Histoires de champagne par Simonetta Greggio

Publié le 15/12/2013 par Le Figaro Vin
coupes-de-champagne
Photo : Leif Carlsson



En savoir plus : http://avis-vin.lefigaro.fr/vins-fetes/o109953-histoires-de-champagne-par-simonetta-greggio#ixzz2nv6gWhwp

"Champagne !"

Mon mariage, c'est la faute d'une - non, de deux - bouteilles de Cristal Roederer. Et de Truman Capote. Je n'avais jamais goûté de Cristal auparavant parce que, jeune Italienne débarquant à Paris, je n'en connaissais pas l'existence. En revanche, je venais de tomber amoureuse de Prières exaucées, dont je trouvais l'exergue, "On pleure beaucoup plus pour les prières exaucées que pour celles non reçues », bien mystérieux. Le roman inachevé contenait entre autre cette tirade : "Le Cristal, dans sa bouteille de verre blanc qui met en valeur sa pâle splendeur, ses ardentes froideurs, crépitantes et pétillantes, et qui, une fois bu, semble ne jamais avoir été bu mais s'être évanoui sur votre langue, s'y être consumé en laissant une persistante cendre, suave et sourde." Comment pouvait-on dire tant de choses en une simple phrase sans points, vrai travelling de la Nouvelle Vague... moi qui, à l'époque, ne faisais pas la différence entre un Dom Pérignon et un asti spumante - mais je savais que Colette aimait beaucoup ce dernier -, je tenais absolument à goûter « l'ardente froideur » dans le restaurant mythique où ce garçon adorable, mon futur mari, m'avait invitée.

Je venais donc de faire ma maligne devant le sommelier de Chez Maxim's en lui demandant le Cristal bien frappé. Le malheureux avait froncé le nez et les sourcils et murmuré doucement, sans me regarder : "Quel dommage, Madame". Bien sûr, le champagne était trop froid, et où se cachait la persistance de cendre, suave et sourde ? Même la pâle splendeur de la bouteille se dérobait, embuée dans les brumes glacées où elle se noyait. Le champagne m'anesthésia le gosier, les bulles transies me montèrent à la tête et la tour Eiffel était toute noire quand nous sortîmes du restaurant. Les déceptions à cet âge-là sont acerbes mais éphémères, on a si peu de souvenirs et tant d'attentes qu'une déconvenue est une expérience intéressante en soi. Mon futur mari me prit la main et me fit rire, de moi-même d'abord, de la tête du sommelier ensuite.

Sont venues d'autres fêtes, d'autres restaurants, d'autres champagnes : les bouteilles achetés au drugstore Saint-Germain, nuits blanches avec Agnès rue du Dragon au cours desquelles nous mangions du chocolat et nous consolions de l'inconstance des maris volages, les bulles rosées de Veuve Galien aux pique-niques du dimanche au bois de Vincennes, dans les herbes hautes et les odeurs de feuilles toutes neuves, le Ruinart dans la Rolls d'une vieille dame indigne qui inspira mon premier roman, un Dom Pérignon dans un hélicoptère qui survolait New-York la première fois que j'y mis les pieds, la cave de la maison de campagne de Séverine qui se mourait d'amour, et on sécha la réserve de son père à cette occasion - je l'avais adorée, cette fille, d'une amitié rapide et définitive, scellée dès le départ par son apparition dans un restaurant chinois, un magnum dans chaque main -, les flûtes de Taittinger blanc de blanc sur une plage bretonne pour un bain hors saison, encore un Dom Pérignon pour les trente ans de mon meilleur ami et les bulles de savon qui se posaient sur l'eau paisible d'une Méditerranée toute rouge au coucher du soleil, un paisible Marie Demets pour l'arrivée début juin d'une petite Kamila, fille de mon plus jeune frère et d'une belle écuyère, et le dernier, encore un Cristal, bu avec maman aux côtés de papa couché dans son lit de mort. Cette larme que nous lui avons fait goûter du doigt, comme on le fait avec les enfants à leur anniversaire.

J'ai découvert depuis ce dîner chez Maxim's ce que la phrase de Sainte Thérèse en exergue du livre de Capote veut dire. J'ai plus pleuré pour les prières exaucées que pour celles non reçues. J'ai aussi beaucoup ri, souvent pour les mêmes raisons d'ailleurs. Je sais que je fêterai la douce amertume de la vie au champagne. Jusqu'à la dernière goutte.

Dernier ouvrage paru : "L'homme qui aimait ma femme", Stock



En savoir plus : http://avis-vin.lefigaro.fr/vins-fetes/o109953-histoires-de-champagne-par-simonetta-greggio#ixzz2nv6mJ4s4

Les commentaires sont fermés.