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Loubna Abidar : «On m'insulte parce que je suis une femme libre»

 

Loubna Abidar a pris la parole après son agression à Casablanca et son exil en France: «Je ne veux plus vivre dans la peur»

 

Dans une lettre ouverte, publiée sur Le Monde, l'actrice de Much Loved explique pourquoi elle a décidé de quitter le Maroc pour se réfugier en France, après son agression dans les rues de Casablanca.

Much Loved, le film de Nabil Ayouch, a crée un déferlement de haine au Maroc… dont l'actrice principale, Loubna Abidar, a payé les frais la semaine dernière. La comédienne marocaine s'est fait agresser le 5 novembre à Casablanca, où elle avait «osé» sortir dans les rues sans se cacher. Trois hommes, ivres, l'ayant reconnue, lui ont assené plusieurs coups au visage.
Une agression qui succède aux nombreuses insultes et menaces de mort que Loubna Abidar a déjà reçues, à la suite de sa performance dans Much Loved, où elle incarne aux côtés de trois autres jeunes femmes une prostituée marocaine. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ne se sentant plus en sécurité chez elle, l'actrice a décidé de venir se réfugier en France, d'où elle a écrit une lettre ouverte adressée au Monde.fr.
Moquée par les policiers et les médecins

Elle y relate notamment son agression par un récit des faits précis, qui complète sa réaction à chaud dans une vidéo publiée sur son compte Facebook, où se dévoilait son visage tuméfié. «Pendant des semaines, je ne suis pas sortie de chez moi. […] Ces derniers jours, le temps passant, la tension me semblait retomber. Alors jeudi 5 novembre, le soir, je suis allée à Casablanca à visage découvert. J'y ai été agressée par trois jeunes hommes. J'étais dans la rue, ils étaient dans leur voiture, ils m'ont vue et reconnue, ils étaient saouls, ils m'ont fait monter dans leur véhicule, ils ont roulé pendant de très longues minutes et pendant ce temps ils m'ont frappée sur le corps et au visage tout en m'insultant. J'ai eu de la chance, ce n'était “que” des jeunes enivrés qui voulaient s'amuser… D'autres auraient pu me tuer.»
« Donner la parole aux filles des quartiers […] auxquelles ont dit sans cesse qu'un jour elles rencontreront un homme riche »
Loubna Abidar
Loubna Abidar n'a pas eu plus de chance par la suite, ni la police ni les médecins ne souhaitant la prendre en charge. «La nuit a été terrible. Les médecins à qui je me suis adressé pour les secours et les policiers au commissariat se sont ri de moi, sous mes yeux. Je me suis sentie incroyablement seule…»
Dans sa lettre, l'actrice raconte sa joie d'avoir pu participer, «après des petits rôles au théâtre et dans des films commerciaux», au film de Nabil Ayouch, «réalisateur talentueux et internationalement reconnu». «J'allais donner la parole à toutes celles avec lesquelles j'avais grandi: ces petites filles des quartiers qui n'apprennent ni à lire ni à écrire, mais auxquelles on dit sans cesse qu'un jour elles rencontreront un homme riche qui les emmènera loin… Dès 14-15 ans, elles sortent tous les soirs dans le but de le trouver. Un jour, elles réalisent qu'elles sont devenues des prostituées.»
« Il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent. Ce sont eux que je veux dénoncer aujourd'hui »
Loubna Abidar
Mais le destin du film à domicile à mal tourné. Après sa projection acclamée au Festival de Cannes en mai dernier, Much Loved s'est vu brandir une interdiction de projection sur le territoire marocain, alors même que l'équipe de production n'avait pas encore demandé l'autorisation de diffusion. Pour le gouvernement, Much Loved constitue «un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine», ainsi qu'une «atteinte flagrante à l'image du royaume.» Pour Loubna Abidar, la raison de cette interdiction et de cette haine est tout autre: «Much Loved dérangeait, parce qu'il parlait de la prostitution, officiellement interdite au Maroc, parce qu'il donnait la parole à ces femmes qui ne l'ont jamais».
Persécutée puis frappée, l'actrice a donc fait un choix radical en quittant son pays. «C'est mon pays, je l'aime, j'y ai ma vie et ma fille […] mais je ne veux plus vivre dans la peur. On s'attaque à moi pour un rôle que j'ai joué dans un film que les gens n'ont même pas vu. Une campagne de dénigrement légitimée par une interdiction de diffusion du film, alimentée par les conservateurs, nourrie par les réseaux sociaux si présents aujourd'hui… et qui continue de tourner en rond et dans la violence. Au fond, on m'insulte parce que je suis une femme libre. Et il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent. Ce sont eux que je veux dénoncer aujourd'hui, et pas seulement les trois jeunes qui m'ont agressée…


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