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Le mystère de soi-même

 

 

6/1/16 - 16 H 16

 
 
 
JE DIRAI MALGRE TOUT QUE CETTE VIE FUT BELLEJE DIRAI MALGRE TOUT QUE CETTE VIE FUT BELLEJean d' OrmessonGALLIMARD , 486 PAGESacheter
 

 

JE DIRAI MALGRÉ TOUT QUE CETTE VIE FUT BELLE 
de Jean d’Ormesson 
Gallimard, 486 p., 22,50 €

En matière de critique comme en matière d’éloge, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Une preuve éclatante, brillante, joyeuse, en est fournie par le dernier livre de l’ami de tous: Jean d’Ormesson.

Dans cet ouvrage, dont le titre est tiré d’un beau poème d’Aragon, l’académicien sémillant et disert que le monde nous envie s’attaque à un personnage complexe (MOI) sous l’œil sourcilleux d’un procureur vachard également baptisé MOI mais avec pour pseudo le mot «sur-Moi».

Préparant le travail des futurs biographes du nonagénaire national (il est né en 1925) qui siège là où il faut être pour compter (Académie, télévision, édition), d’Ormesson revient sur son passé, non plus sous forme de roman ou de scénario de film mais, tout bêtement, de récit chronologique d’une fort longue et belle vie dans l’histoire.

Avec portraits sensibles, étapes marquantes, petites larmes de rigueur, choses lues, anecdotes délicieuses un peu inventées et un maximum de sincérité apparente pour dissuader les futurs fouilleurs de poubelle qui seraient tentés d’amoindrir la superbe de leur sujet d’étude.

Le travail de démolition de Jean d’Ormesson, nul n’est plus qualifié que son sur-moi pour le mener sous nos yeux. IL n’est pas tendre pour le MOI principal, ce MOI sournois qui plane au-dessus de l’autre comme un ange gardien de la paix, comme l’ange vengeur des grands principes.

Le dialogue est violent, parfois, on ne s’envoie pas dire les amabilités. On s’insulte, voire s’injurie, d’un Ormesson l’autre, se traitant de jocrisse, de menteur, de «nain de jardin», de mondain ridicule, de délinquant inutile, de pitre vain qui aura passé sa vie en futilités et vanités sans intérêt pour la modification de l’humaine condition.

Tout ce que certains détestent chez le vibrion de notre littérature et ses apparitions publiques marquées d’un sourire jovial prêt à mordre dans ce qui passe, tout cela revient sous sa plume même. C’est qu’il se voit vivre depuis longtemps, le bougre, et qu’il a eu le loisir d’observer ses qualités (éminentes) et ses défauts (établis).

Au procès d’Ormesson, il occupe lui-même le siège du ministère public avec pas mal d’efficacité, en en rajoutant forcément pour susciter en nous de la sympathie pour l’accusé trop accusé de tous les péchés de l’humanité.

Car, après tout, ce jeune homme perpétuel né sous tant de bonnes étoiles de fortune et de rang, cette vie de château, d’honneur, de gloire et de beauté dont nous connaissions déjà les principaux avantages et personnages – à force de lectures agréables –, au nom de quoi faudrait-il les condamner? Au nom d’une certaine idée de l’altruisme? Par condamnation de l’«indifférence» qu’il brandit constamment comme constitutive de sa personnalité? Le versant souriant d’une forme de nihilisme?

Il connut le bonheur et en fut heureux. Il aima la vie et elle le lui rendit. Les femmes aussi (bien qu’il ne s’appesantisse guère sur le sujet). À l’approche de la fin du parcours, la longue méditation sur le temps et l’espace, par laquelle se termine son épais volume, est une sorte de testament spirituel à la hauteur de l’esprit «khâgneux» qu’il développe au fil de son témoignage.

Retour à l’essentiel après tant d’escapades dans l’illusoire et le toc des notoriétés. Dieu dans tout ça? IL en formule l’hypothèse, jusqu’à imaginer la rencontre au sommet, dans quelque temps, et le dialogue entre eux deux. Ferme, courtois, sans reproche réciproque et même un peu marqué par la gratitude de l’homme et l’amour du divin.

Au moment de planter, au sommet du château que fut sa vie, le dernier fanion sur la plus haute tour, Jean d’Ormesson, qui regrette d’avance de ne pouvoir être présent à ses propres obsèques, a bien gagné le droit, nous semble-t-il, d’être lu et aimé jusqu’au bout. Parachevant une œuvre dont nous ne savons pas ce que les «jeunes gens» du futur feront ou sauront. Il vaut mieux le lui dire de son vivant.

 

Bruno Frappat
 
 

6/1/16 - 16 H 16

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Le-mystere-de-soi-meme-2016-01-06-1400627

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