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Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, La presse

Femmes fortes

Valérie Lion
vlion@lexpress.fr
 @valerielion
 
 
Femmes fortes
Voilà des semaines que nous vivons une crise inédite, marquée par l'isolement et la crainte. Notre résistance individuelle est mise à l'épreuve. Nous avons aussi (re) découvert dans cette affaire notre interdépendance aux autres : notre survie est un défi collectif. Nous ne réussirons pas seuls. De même, nous avons vite compris que la bataille sanitaire se doublait d'une bataille économique tout aussi rude. Si nous avons vu les visages des soignants (beaucoup) et des soignantes (un peu), ceux des entrepreneurs ont été moins présents. Quant aux entrepreneures, elles ont été carrément invisibles !
Avec son Prix des Entrepreneuses 2020, remis mercredi 6 mai en visioconférence, confinement oblige, l'association Force Femmes leur a donné un visage. Le Prix a mis en lumière 10 cheffes d'entreprise qui se distinguent par leur audace et leur courage. Depuis quinze ans, Force Femmes, cofondée par Véronique Morali, Anne Méaux et Agnès Schweitzer, aide les femmes de plus de 45 ans à retrouver le chemin de l'emploi ou à créer leur propre business. L'association leur propose un accompagnement individuel et collectif, assuré par des professionnels et experts bénévoles, à travers une quinzaine d'antennes régionales. Plus de 10 000 femmes profitent du dispositif chaque année. Ateliers collectifs en ligne, formations à distance, entretiens téléphoniques individuels, suivis et échanges réguliers : l'activité a été décuplée par la crise, notamment à travers les deux plates-formes digitales "vers l'emploi" et "ma boîte".
Quant au Prix des Entrepreneuses, il récompense chaque année depuis dix ans des dirigeantes d'entreprise de 45 ans et plus qui ont déjà bouclé un exercice comptable. Plus de 120 candidatures avaient été reçues pour l'édition 2020, 40 dossiers pré-sélectionnés et 10 finalistes auditionnées par un jury, dont j'ai eu l'honneur de faire partie, présidé par Véronique Morali et réuni le 7 février dernier au ministère de l'Economie et des Finances. Les lauréates auraient dû être célébrées le 8 mars à Bercy, entourées de 250 invités. Elles l'ont été le 6 mai, en comité restreint, certes, mais chaleureux. Véronique Morali, présidente de Force Femmes, les a saluées pour avoir "osé créer, s'être accrochées et continué à s'accrocher malgré la crise".
Aucune n'a choisi la facilité. Isabelle Bielikoff, lauréate du prix Harmonie Mutuelle, est une ancienne cadre de l'industrie pharmaceutique qui a changé de vie après avoir été frappée par un cancer : elle a ouvert une boulangerie-pâtisserie artisanale dans un village de 750 âmes, en Seine-et-Marne, où elle avait passé sa convalescence et qui souffrait de l'absence de commerces depuis vingt-cinq ans. Elle a démarré seule il y a trois ans tout juste, elle emploie désormais neuf salariés et s'apprête à inaugurer une seconde boulangerie le 16 mai. "On tient le coup et le cap, dit-elle. Seule, je n'aurais jamais pu mener cette aventure, j'ai été portée par le soutien des habitants, du département, des institutions financières".
Patricia Le Bigot, elle, n'a pas craint de s'imposer dans un monde d'hommes. Comptable de métier, cette Bretonne, récompensée grâce à Diadermine, s'était lancée dans le projet de reprise d'une entreprise de transport avec un associé qui l'a finalement lâchée au prétexte qu'"on ne monte pas sa boîte à 50 ans passés" ! Une phrase qui a eu l'effet d'un déclic et l'a persuadée au contraire de foncer. Alliance Morbihan Transport, créé en mai 2017, réalise aujourd'hui 1,2 million d'euros de chiffre d'affaires, avec huit salariés et sept camions. "Je suis contente pour mes gars, a réagi Patricia Le Bigot. Je ne suis pas seule à mener la barque, il y a des hommes derrière moi. La moyenne d'âge est supérieure à 45 ans et c'est pour cela qu'on a réussi." La candidate a impressionné le jury par son charisme et sa force de caractère, a rappelé Amélie Vidal-Simi, membre du jury et présidente d'Henkel France. Patricia Le Bigot avait d'ailleurs indiqué que, si elle l'emportait, la dotation du prix (5000 euros) servirait à verser une prime aux employés. Les temps sont pourtant durs : elle a investi dans un nouveau bâtiment juste avant la crise, à la fin du mois mars seuls 3 de ses 7 camions ont roulé, et en avril 4 à 5 seulement. "Je serre la vis partout, avoue la cheffe d'entreprise. Heureusement, j'avais une bonne trésorerie donc je peux faire face."
La troisième lauréate, dont le prix a été remis par Caisse d'Epargne/BPCE, a gagné sa légitimité à la force du poignet... et du souffle. Brigitte Bonnave est souffleuse de verre à la bouche, au chalumeau à mains levées. Elle réalise des bijoux et des accessoires pour la haute couture, qui incarnent "le raffinement à la française", a souligné Florent Lamoureux, de BPCE/Caisse d'Epargne. Reconnue artisan d'art, elle exerce un métier original, rarement endossé par des femmes. "Les équipes de Force Femmes m'ont permis de découvrir la confiance et l'autonomie" a témoigné Brigitte Bonnave, qui avec la dotation reçue souhaite développer sa propre marque.
A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : Force Femmes, avec ses partenaires, a décidé de récompenser aussi les sept autres finalistes, qui vont bénéficier chacune d'un chèque de 2000 euros. Un coup de pouce bienvenu pour Elisabeth Noël, dont la cabane de dégustation sur le lac de Lacanau n'a pas encore pu démarrer sa saison, pour Christine Picquot à la tête d'une entreprise de formation pour les personnels des Ehpad qui a dû suspendre son activité faute de clients tous mobilisés sur le terrain, pour Hélène Chabrot dont le restaurant-cave à vin parisien est fermé depuis deux mois et qui s'est convertie à la vente à emporter afin de pouvoir payer ses loyers, pour Clotilde Godinot qui vend des chaussures de tango, pour Corinne Verger, qui commercialise des camping-cars, et enfin pour Sandrine Bergerat et Sylvie Schindler qui ont développé chacune une activité dans la distribution de produits haut-de-gamme.
"Je suis percluse d'admiration devant le courage de ces dames, a conclu Françoise Holder, la présidente d'honneur de Force Femmes. Tous les jours, vous nous donnez des leçons." Force Femmes n'a pas seulement donné un visage à ces entrepreneures : elle leur a offert la reconnaissance qu'elles méritent. L'entrepreneuriat au féminin existe. Et résiste. Il suffit d'ouvrir les yeux, de tendre l'oreille... et parfois la main, pour qu'il s'épanouisse.
 
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