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Catégories : La philosophie

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Hommage. La disparition de la philosophe Suzanne Bachelard.

JEAN-CLAUDE PARIENTE

QUOTIDIEN : jeudi 6 décembre 2007

Née le 18 octobre 1919, Suzanne Bachelard est morte, à 88 ans, le 3 novembre. Fille de Gaston Bachelard, elle a, depuis la mort de sa mère, quand elle avait 10 mois, été élevée par son père. Elle l’accompagnait aussi bien dans ses promenades autour de Bar-sur-Aube ou de Dijon, que, plus tard, dans les congrès auxquels il prenait part en France ou à l’étranger.

Pudeur. A la suite d’études secondaires brillantes, elle suivit un double cursus de sciences et de philosophie ; elle acquit une licence de mathématiques, mais attendit l’année 1946 pour se présenter à l’agrégation de philosophie, car elle ne voulait pas prendre un poste qui aurait pu manquer à des personnes rentrant de captivité ou qui avaient été plus marquées qu’elle par les années d’Occupation. Elle ne parlait qu’avec une extrême pudeur des années sombres au cours desquelles elle avait eu la douleur de voir disparaître Jean Cavaillès.

Elle entama sa carrière universitaire en remplissant les fonctions d’agrégée-répétitrice à l’Ecole normale supérieure de jeunes filles. Après avoir soutenu sa thèse de doctorat, en 1957, elle obtint un poste de professeur de philosophie à la faculté des lettres de Lille, puis fut élue à la Sorbonne, où elle termina sa carrière d’enseignante tout en assumant, à la suite de Georges Canguilhem, la direction de l’Institut d’histoire des sciences et des techniques, et en prenant en charge un grand nombre de thèses pour lesquelles elle fit plus que guider : elle accompagna les auteurs avec un dévouement et une probité qui lui gagnèrent souvent leur amitié.

Suzanne Bachelard a consacré toutes ses recherches à la philosophie et à l’histoire des sciences, les plus dures des sciences : la physique et les mathématiques. Si elle s’est inscrite par là dans la postérité de Gaston Bachelard, elle a trouvé son style original en allant du côté de la phénoménologie husserlienne. Ses thèses expriment cette double filiation : d’un côté, en 1957, une traduction de Logique formelle et logique transcendantale, suivie d’une étude, la Logique de Husserl, qui a fait d’elle une spécialiste internationalement reconnue de cette pensée, de l’autre, la Conscience de rationalité, sous-titrée «Etude phénoménologique sur la physique mathématique» (1958), dans laquelle elle s’interroge sur les voies par lesquelles la raison réussit à capter l’expérience en analysant finement les niveaux et les paliers de cette entreprise.

Si elle ne publia pas d’autre livre, elle fit connaître les résultats de ses travaux ultérieurs dans une série d’articles, dont chacun constitue une mise au point d’une parfaite précision sur le sujet abordé, que ce soit en mathématiques (par exemple la représentation géométrique des nombres imaginaires ou l’algèbre de Boole) ou en physique (voir ses études sur le principe de moindre action ou sur l’influence de Huygens aux XVIIIe et XIXe siècles).

Lectrice. Indifférente aux modes intellectuelles, Suzanne Bachelard était avant tout soucieuse de justesse dans la pensée comme dans l’expression. La connaissance qu’elle avait de plusieurs langues, anciennes ou modernes, lui permettait de lire dans le texte les auteurs qu’elle étudiait et de rectifier, quand besoin en était, les traductions courantes, comme elle le fit parfois pour l’italien de Galilée ou le latin de Descartes. En même temps, elle se plaisait à lire dans l’original les grands textes de la littérature anglaise, allemande ou italienne. Car si, à la différence de son père, elle n’a publié aucune étude sur des œuvres littéraires, elle n’en était pas moins une grande lectrice. Un goût prononcé la portait également vers la musique, qu’elle avait longtemps pratiquée. Aussi longtemps qu’elle eut la force de se déplacer, elle assista à des concerts, à Paris.

Elle laisse l’image d’une grande universitaire, à la conscience professionnelle irréprochable, d’une philosophe exigeante, peut-être trop exigeante pour avoir pu beaucoup produire, et ceux qui l’ont accompagnée à Paris ou à Bar-sur-Aube gardent le souvenir de la femme sensible et de l’amie délicate qu’elle était pour eux.



http://www.liberation.fr/culture/livre/296062.FR.php

Commentaires

  • C'est le titre, la ville qui m'a interpellé(e)...

  • Et moi son nom aussi car je connaissais pas mal son père...

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