Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : Des femmes comme je les aime

Ces femmes à la conquête des conseils d'administration

Par Christine Ducros, Marie-Amélie Lombard
14/10/2010 | Mise à jour : 10:46


Crédits photo : DENIS/REA/DENIS/REA

Les portes de ces cénacles très masculins s'entrouvrent aux dirigeantes. Doit-on les forcer avec des quotas ? Confidences de femmes qui en ont déjà franchi le seuil. 

Ce matin-là, le téléphone sonne dans l'un des plus importants cabinets de chasseurs de tête parisiens. Au bout du fil: le patron d'une très grande entreprise française en quête d'une perle rare: une femme bardée de diplômes, ayant accompli une carrière internationale dans une ou plusieurs directions générales de grands groupes, parlant évidemment un anglais fluent et, dernier détail, connaissant l'Asie sur le bout des doigts. Autant dire un mouton à cinq pattes dans un paysage national où peu de femmes parviennent encore à percer le «plafond de verre». Aujourd'hui, elles ne sont que 10% à siéger dans les conseils d'administration (CA) et les conseils de surveillance des entreprises françaises du CAC 40.

Cette chasse à l'excellence en tailleur et talons aiguille surprend pourtant peu la professionnelle du recrutement qui vient de narrer l'anecdote, un brin amusée. «Ce type de demande est récent mais désormais assez systématique. Les chefs d'entreprise ont compris qu'ils n'avaient plus guère le choix. Alors ils s'exécutent.» Depuis que se profile la loi sur la représentation des femmes dans les comités exécutifs qui sera examinée le 27 octobre au Sénat, le «Trouvez-m'en une» semble être le nouveau tube du Landerneau économique. Encore faut-il s'entendre sur la façon d'exercer ce fameux pouvoir. Car à en croire Christine Lagarde, favorable à des «quotas temporaires», afin de laisser aux femmes le temps de s'imposer, c'est bien là que le bât blesse! «Les femmes, a-t-elle confié dimanche dernier sur la chaîne américaine ABC, injectent moins de libido et de testostérone. Elles ne mettent pas leur ego dans toutes les décisions qu'elles prennent.»

Pour les pionnières, qui siègent déjà dans un conseil, ces grand-messes trimestrielles ne sont jamais des rendez-vous anodins. Fondatrice du site Terrafemina.com, présidente de Fimalac développement, Véronique Morali, 52 ans - quatre conseils dont ceux de Publicis et de Coca-Cola aux États-Unis à l'agenda de cette boule d'énergie - confie: «Entrer dans un nouveau conseil, c'est toujours un moment fort. On sait qu'on est observée, qu'on n'a pas droit à l'erreur. Il faut tout de suite montrer sa faculté d'adaptation.»

Marie-Louise Antoni, 60 ans, conseillère du président de Generali, présente aux CA de RTL, du Monde, de Sciences Po… trouve le lieu «hautement solennel» et prévient les étoiles montantes: «Le pouvoir s'y exerce selon des rituels très masculins et ancestraux. Il est primordial d'avoir un réel sens politique pour réussir.»

 

«Soyez visibles, faites du réseau, participez à des conférences»
«Soyez visibles, faites du réseau, participez à des conférences»

 

Vivienne Cox, Britannique de 51 ans (CA de Vallourec et Rio Tinto après une carrière au sommet chez BP) a éprouvé sa recette: «Au début, je pose des questions techniques, pointues, pour prouver mes compétences.» Et de remarquer que ces messieurs, dans les premiers contacts, sont toujours très polis, presque old-fashion: «Ils ont tendance à nous prendre pour des femmes, pas pour des business women.» Au CA de Vallourec, elle retrouve la Néerlandaise Alexandra Schaapveld (51 ans, une carrière au plus haut niveau dans la banque ABN Amro) qui n'aime pas l'idée d'avoir été recrutée parce qu'elle est femme. Et préfère se convaincre que ce sont ses «compétences financières qu'on est venu chercher». Pour elle, un conseil de surveillance n'est guère différent de n'importe quelle autre réunion de direction générale. «Quand vous avez travaillé au plus haut niveau, vous êtes déjà rodée aux codes de ces univers. Ils sont tous masculins, il n'y a jamais vraiment de surprise.» Une autre habituée de ces cercles feutrés a reçu les confidences de quelques pointures masculines: «Quand vous êtes là, nous faisons attention à notre langage.»

Vivienne Cox, qui aime porter des couleurs vives tranchant avec les costumes sombres, se souviendra longtemps de sa visite d'une usine BP en Écosse. En jupe étroite, elle était arrivée au sommet d'une échelle avec quelques difficultés et s'était entendue proposer poliment par son hôte: «Madame, vous prendrez l'ascenseur pour descendre?»

Les temps changent. Mais l'expérience de ces cénacles très masculins demeure bien utile à celles qui, impatientes, rêvent à leur tour de briser le plafond de verre. Pour y parvenir, la tendance est d'appartenir à des réseaux de femmes plutôt élitistes - Women Corporate Directors (WCD), European Professional Women's Network (en France, 700 femmes cadres supérieurs et chefs d'entreprise) ou Diafora. Dans ce dernier, Véronique Préaux-Cobti et Marie-Claude Peyrache pilotent un programme de «mentoring croisé» qui réunit 25 présidents du CAC 40. Ceux-ci présentent une de leurs protégées «à haut potentiel» à un autre membre. Lequel s'engage à dispenser ses conseils à la mentee à raison de deux ou trois rencontres par an.

Créé aux États-Unis et implanté en France par Véronique Morali depuis 2009, WCD propose, lui, des formations pour dédramatiser des thématiques que les femmes appréhendent. Plus à l'aise dans le marketing, le social, les RH ou la communication, elles se familiarisent avec le langage de la finance, des rémunérations ou de l'audit… Cinquante femmes étaient présentes à la première session, une centaine se pressera à la prochaine, début novembre. La fondatrice est optimiste. Selon elle, la dynamique est vraiment enclenchée. Depuis le début de l'année, plus d'une vingtaine de femmes ont été nommées dans des conseils.

Directrice monde du secteur Énergie et Utilities chez Capgemini, Colette Lewiner (CA de Bouy­gues, Nexans, La Poste, Lafarge…) n'hésite pas à pratiquer la politique de la courte échelle. Celles qui veulent sortir du lot frappent parfois à sa porte:

«Comment faire pour entrer dans un conseil d'administration?»

«Soyez visibles, faites du réseau, participez à des conférences.»

Des «tuyaux» qu'il ne semble pas toujours évident d'appliquer à la lettre. Isabelle Parize, vice-présidente de Manga Gaming (jeux vidéo, jeux en ligne), s'y est essayée. En vain. Benjamine du réseau WCD, elle estime, pourtant, être largement au niveau: «Je n'en veux à personne mais c'est comme si je n'étais pas visible. J'ai le sentiment que les grands patrons sont plutôt à la recherche de dirigeantes étrangères qui détiennent une expertise financière.»

 

«Au nom de quoi n'associerait-on pas les femmes aux directions des grandes entreprises?»
«Au nom de quoi n'associerait-on pas les femmes aux directions des grandes entreprises?»

 

Le constat est clairement exprimé par Aude de Thuin, fondatrice du Women's Forum: «À ce niveau-là, les femmes sont compétentes mais elles sont parfois leurs propres ennemies, elles ont peur d'échouer et les hommes ne sont guère prompts à les rassurer.» Une spécialiste du recrutement fait remonter ces appréhensions féminines «au berceau». Comme si les freins étaient presque inscrits dans l'ADN féminin. Ce «syndrome de la bonne élève» les conduit à penser que, comme les premières de la classe à l'école, elles seront reconnues par leurs supérieurs. Et avanceront naturellement. Pas si simple, dit Véronique Préaux-Cobti: «Dans l'entreprise, les règles du jeu changent. Elles doivent acquérir le sens du faire-savoir et ne pas avoir peur de communiquer sur leurs ambitions.»

Un écho aux propos de Bruno Lafont, président de Lafarge, qui encourage les femmes de son entreprise à «afficher leurs ambitions tout en restant elles-mêmes». Pour le patron du géant du ciment, présent dans soixante-dix pays, qui n'hésite pas à lancer «l'industrie a besoin des femmes», tout est question de culture et d'état d'esprit. Selon lui, «faire une place aux femmes aux côtés des hommes, c'est comme faire travailler ensemble des Chinois, des Américains, des Indiens et des Français, un apport pour l'entreprise».

Pour arriver aux 40% de femmes bientôt requis par la loi, il faudrait ainsi dénicher 1350 dirigeantes cumulant deux mandats ou 555 en cumulant cinq. Tel est le calcul de la députée UMP Marie-Jo Zimmermann, qui a défendu la loi avec Jean-François Copé à l'Assemblée nationale. Un défi… Pourtant, au début des années 2000, le discours ambiant était à l'optimisme. Point besoin de texte ou de quotas. Déjà, les femmes sortaient en nombre d'écoles d'ingénieurs ou de commerce, décrochaient des postes dans les directions générales, partaient à l'international, leurs maris dans les bagages mais… elles n'ont pas atteint la dernière marche du podium.

Une raison suffisante pour que des dirigeantes d'envergure, initialement hostiles aux quotas, comme Anne Lauvergeon, Véronique Morali ou Brigitte Taittinger, PDG des parfums Annick Goutal, s'y soient finalement converties. «La justice et l'égalité», c'est au nom de ces valeurs que Dominique de La Garanderie, ancien bâtonnier de Paris (CA de Renault et Holcim France-Benelux), «milite» pour l'arrivée des femmes: «Car, franchement, au nom de quoi n'associerait-on pas les femmes aux directions des grandes entreprises?»

Aujourd'hui, aiguillonnés par la loi et peut-être aussi par les confidences de leurs filles en âge de prendre des responsabilités, les grands patrons sont en train d'évoluer. Ainsi Carlos Ghosn, PDG de Renault, a-t-il raconté récemment: «J'ai un garçon et trois filles, je serais furieux qu'elles ne soient pas reçues à un entretien ou qu'elles ne décrochent pas un poste sous prétexte que ce sont des femmes. Alors, je pense toujours à elles lorsque je recrute.» La chasseuse de têtes en quête de «moutons à cinq pattes» l'exprime dans un autre registre: «Ce que les chefs d'entreprise ont pu accepter pour leurs épouses, ils ne le tolèrent plus pour leurs filles.» Mais, finalement, qu'apportent ces femmes dans les conseils d'administration? Un DRH de premier plan le glisse dans un sourire: «La principale qualité pour un bon administrateur, c'est de savoir dire non. Et, justement, les femmes sont souvent plus courageuses que leurs homologues masculins.»

 

Les commentaires sont fermés.