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Catégories : Des expositions

José Maria Sert : peintre adulé mais trop vite oublié

 

Par Véronique Prat Mis à jour le 01/06/2012 à 19:04 | publié le 01/06/2012 à 11:39 
En 1917, Sert peint un ensemble de fresques dans lequel il associe les quatre parties du monde aux quatre saisons (ici, <i>L'Amérique ou l'Hiver</i>). L'artiste est alors en pleine possession de ses moyens et c'est avec brio qu'il mêle plusieurs sources d'inspiration: l'espace théâtrale à la manière de Tiepolo et les mascarades des fêtes vénitiennes... Tout cela, sur fond de gratte-ciel new-yorkais...
En 1917, Sert peint un ensemble de fresques dans lequel il associe les quatre parties du monde aux quatre saisons (ici, L'Amérique ou l'Hiver). L'artiste est alors en pleine possession de ses moyens et c'est avec brio qu'il mêle plusieurs sources d'inspiration: l'espace théâtrale à la manière de Tiepolo et les mascarades des fêtes vénitiennes... Tout cela, sur fond de gratte-ciel new-yorkais... Crédits photo : Archivo fotográfico Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía,

Le Petit Palais propose de découvrir l'oeuvre de José María Sert, époux de la célèbre Misia et artiste unanimement admiré en son temps avant d'être injustement oublié.

 

Détail des <i>Noces de Camacho</i>, d'après Cervantès.
Détail des Noces de Camacho, d'après Cervantès. Crédits photo : Fondation Banco Santander, Madrid, Collection Santander, Madrid

 

Cette exposition est l'occasion de rendre justice à l'homme qui évoque à lui seul le goût de la Belle Epoque pour les grands décors virtuoses. En janvier 1900, José María Sert, qui a quitté Barcelone l'année précédente pour s'installer à Paris, écrit à l'évêque Torras y Bages: «Votre Excellence n'aurait-elle pas dans son diocèse une église aux murs nus (les plus grands possibles) sur lesquels manqueraient quelques peintures que je vous promets d'être belles.» La réponse est immédiate: «Tu me demandes une chapelle de mon diocèse? Je t'offre la cathédrale de Vic.» Sert a alors 26 ans. Peu de carrières commencent avec autant de panache. Cela ne s'arrêtera plus: toute sa vie, l'artiste sera couvert de commandes prestigieuses, entouré de mécènes tout acquis à son art, encensé par des critiques admiratifs. A sa mort, en 1945, Paul Claudel écrira dans Le Figaro que «José María Sert incarnait le dernier représentant de la grande peinture».

Quelques années après ce cortège de louanges, le ton change, la critique gronde: aucun peintre n'aura été à ce point adulé de son vivant et oublié, voire méprisé, après sa mort. Quand on apprit que le musée du Petit Palais lui consacrait une exposition, le journaliste du Monde écrivit quelques lignes en s'étonnant que Paris honore «un peintre sans envergure». Cette critique, qui ne fut pas la seule, était d'autant plus injuste qu'il était difficile de juger cet artiste peu exposé et mal représenté en France. Mais surtout, comme l'écrivit dans la préface du catalogue Gilles Chazal, le directeur du Petit Palais: «Bousculer les idées reçues, n'est-ce pas une des forces de l'art, un des effets de cette énergie créatrice sans cesse renouvelée? Ne doit-il pas en être ainsi de l'histoire de l'art et des expositions qui l'accompagnent?» Cette rétrospective est tout à la fois une révélation et une réhabilitation.

 

Partie centrale de <i>L'Afrique ou l'Ete </i>dans le décor illustrant les <i>Quatre saisons</i>. Alors que Sert aimait peindre en sépia sur bois, il se montre au contraire ici brillant coloriste, usant de rouge sang et d'or.
Partie centrale de L'Afrique ou l'Ete dans le décor illustrant les Quatre saisons. Alors que Sert aimait peindre en sépia sur bois, il se montre au contraire ici brillant coloriste, usant de rouge sang et d'or. Crédits photo : Archivo fotográfico Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía,

 

Il est ébloui par les compositions virevoltantes de Tiepolo

Dès qu'il reçoit la confirmation de l'immense chantier de la cathédrale de Vic, Sert se rend en Italie pour trouver l'inspiration devant les grands décors des peintres de la Renaissance. A Mantoue, le style retenu de Giulio Romano le séduit jusqu'à ce qu'il arrive à Venise et découvre l'art tumultueux du Tintoret et plus encore les grandes compositions virevoltantes de Tiepolo. Tout l'enchante chez le Vénitien: son évocation, dans une oasis d'insouciance, d'un monde aristocratique, ses couleurs enivrantes, l'audace inédite de ses compositions, son exubérance formelle qui représente en même temps l'apogée de la décoration baroque. Quand Sert exposera au Salon d'automne de 1907 ses premiers panneaux pour la cathédrale de Vic, la critique sera dithyrambique, on ne parlera que de ces peintures qui étonnent et fascinent et sont l'événement de la saison parisienne. Le public voit en lui un nouveau génie de la peinture que son allure très étudiée ne dément pas: une voix forte, une barbe drue, un chapeau à large bord qui évoque l'attitude altière d'un Rubens ou d'un Vélasquez.

Tout à son bonheur de voir son talent reconnu, Sert a-t-il seulement su qu'en cette même année 1907, une révolution artistique se préparait? Picasso venait de terminer ses Demoiselles d'Avignon et, au Salon des indépendants, Matisse avait fait scandale avec son grand Nu bleu. Sert était resté insensible à ces «coups d'Etat artistiques»: son intérêt était ailleurs. Alors que les avant-gardes vont se succéder, du fauvisme au cubisme, du futurisme au surréalisme, le peintre catalan, lui, nous invitera à le suivre dans les hôtels particuliers, de Paris à New York, qu'il a magnifiés de ses décors monumentaux.

A défaut de rendre compte des avant-gardes, c'est une étape de l'histoire du goût qu'évoque l'art de Sert. L'année suivante, lors d'un déjeuner chez Jean-Louis Forain, il rencontre Misia Godebska. C'est une merveilleuse pianiste qui a été l'élève de Fauré, l'épouse successivement de Thadée Natanson, le fondateur de La Revue blanche, et d'Alfred Edwards, le magnat de la presse. Egérie de toute une génération d'artistes, tenant salon à Paris, elle fut l'intime de Mallarmé (qui l'appelait «ma rayonnante») et de Proust (qui l'avait surnommée «ma sibylline»). Renoir, Vuillard, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Vallotton, Odilon Redon: ils avaient tous fait son portrait. Elle épouse Sert en 1920 et ensemble, ils deviennent le couple le plus lancé de Paris, comptant parmi leurs intimes Picasso, Chanel, Colette, Ravel, Poulenc, Satie, Diaghilev pour lequel Sert réalise les décors du ballet La Légende de Joseph mis en musique par Richard Strauss.

 

<i>L'Europe ou l'Automne</i>. On retrouve le goût de Sert pour le grand art baroque avec débauche de couleurs.
L'Europe ou l'Automne. On retrouve le goût de Sert pour le grand art baroque avec débauche de couleurs. Crédits photo : Archivo fotográfico Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía,

 

Révolutionner la peinture ne l'intéresse pas

José María avait de nombreuses relations en Espagne, Misia l'introduira à Paris et à Londres. Son oeuvre va s'étaler sur tous les murs des riches résidences, ses clients feront partie des familles les plus puissantes d'Europe et des Etats-Unis. Il est maintenant constamment sollicité: Arthur Capel, le grand amour de Coco Chanel, lui commande en 1917 un décor pour sa salle à manger sur le thème des Quatre saisons. L'ensemble est à peine terminé que Capel se tue brutalement dans un accident de voiture. Le baron Robert de Rothschild fera adapter les quatre fresques pour le pavillon de chasse de son château de Laversine, à Chantilly (elles sont à l'exposition, prêtées par le Centro de Arte Reina Sofia de Madrid).


Deux autres décors, les Scènes de cirque, qui illustrent un paravent pour le boudoir de Victoire Eugénie, reine d'Espagne, et la maquette pour L'Expédition de la reine de Saba, faite pour la salle de bal de Maurice Wendel (le décor définitif est aujourd'hui visible au musée Carnavalet), révèlent le processus de travail très particulier de Sert. Il commençait par prendre des photos qui l'aidaient à fixer la posture précise qu'il souhaitait donner à ses personnages. Il traquait aussi les paysages, animaux, objets qui lui servaient de répertoire de motifs et nourrissaient son imaginaire. Il avait ainsi réuni au fil du temps une grande variété de clichés, sorte d'iconothèque dans laquelle il puisait à volonté pour composer ses oeuvres. Bientôt, Sert trouvera plus commode pour les séances de pose de remplacer le modèle vivant par des santons de crèche napolitains aux membres articulés auxquels on peut faire prendre des postures variées. Cette fois encore, il prenait un cliché, si bien que la photo remplaçait le dessin préparatoire.

 

Misia, la femme de Sert, peinte ici par Renoir en 1904. Elle fut aussi le modèle de Bonnard, Lautrec et Vuillard.
Misia, la femme de Sert, peinte ici par Renoir en 1904. Elle fut aussi le modèle de Bonnard, Lautrec et Vuillard. Crédits photo : RENOIR, Pierre-Auguste (1841-1919)/© Iberfoto / Photoaisa / Roger-Viollet

 

Sert va bientôt peaufiner sa méthode en utilisant des mannequins articulés en bois, plus malléables que les santons. La prise de vue est faite sous des angles multiples, avec des éclairages et des cadrages différents. Cette technique, qui lui est propre et qui n'a pas toujours été suffisamment signalée, plonge les fresques dans une atmosphère enrichie par des jeux de perspective et des contrastes audacieux entre ombres et lumières. L'artiste reçoit des commandes de plus en plus prestigieuses. Il travaille dans son atelier parisien de la villa Ségur, derrière le Champ-de-Mars, à d'immenses toiles que l'on retrouve en Espagne, en Angleterre, à New York, à Chicago, à Genève, à Buenos Aires et, bien sûr, à Paris. En 1924, Misia et Sert s'envolent à destination de New York pour assister au vernissage de l'exposition que lui organise la galerie Wildenstein.

A son retour, il s'attelle à nouveau à sa grande oeuvre, la cathédrale de Vic, en Catalogne, qui, avec ses dizaines de chapelles, ses trois nefs de près de 70 mètres de long et ses 35 mètres sous coupole, lui a demandé un effort surhumain. Elle avait été la première commande monumentale de Sert, mais elle sera incendiée en 1936. Reconstruite, la cathédrale sera son tombeau peu de temps après son inauguration et la mort de Sert en 1945.L'histoire de l'art s'écrira sans José María Sert, rapidement tombé dans l'oubli. En décalage avec l'art de son temps, il s'était attardé à peindre de grands polyptyques et à brosser de vastes mises en scène alors que l'abstraction dominait la vie artistique. Mais pourquoi l'histoire de la peinture serait-elle monolithique? Echappant aux diktats de la mode, Sert restera l'unique peintre décorateur du XXe siècle, pétri de références à la grande tradition, revendiquant jusqu'au bout l'originalité de son art. 

«José María Sert, le Titan à l'oeuvre», Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, jusqu'au 5 août 2012.
«Misia, reine de Paris», musée d'Orsay, 75007 Paris, du 12 juin au 9 septembre 2012.

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