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Catégories : Voyage

Turquie : un fleuve détourné par Crésus en 550 av. J.-C.

Trieste, ville ouverte

Par Jean-Pascal Billaud, publié le13/03/2013 à 08:00

Cité portuaire en pleine effervescence, Trieste est le carrefour des humeurs italienne, slave et viennoise qui se projettent au coeur de la nouvelle Europe. C'est le moment d'en saisir toute la magie. 

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Trieste, ville ouverte

La piazza dell'Unita.

© Atlantide Phototravel/Corbis

A première vue, Trieste s'offre tout entière sur la piazza dell'Unita, célébrant son rattachement à l'Italie en 1918, après un long protectorat austro-hongrois. Bras grands ouverts au reste du monde, son effigie ailée vole au sommet de la fontaine des Quatre-Continents. La place, immense scène d'opéra, avec mer Adriatique et ciel changeants en toile de fond, fut restructurée pour le troisième millénaire par l'architecte français Bernard Huet. Elle est sillonnée par des passants dopés au "capo in b" (cappuccino in bicchiere), café hyperdistillé servi dans un minuscule verre qu'on avale, debout, au comptoir. Ils s'engouffrent dans les édifices du commerce ou du gouvernement qui bordent quais et corsos, collection unique d'architectures grandiloquentes. Ce méli-mélo stylistique fraîchement toiletté -maniérisme baroque ou gothique post-vénitien, colonnades néoclassiques ou mosaïques Art nouveau, styles Liberty ou rococo, en passant par les portiques en sucre glacé du Savoia Excelsior, "le plus luxueux palace de l'Empire" lors de sa construction en 1912- accompagna une prospérité galopante, puis un déclin mélancolique, quand le Rideau de fer tomba sur ses frontières orientales. 

Un petit plat et un "capo in b" au comptoir, scénario habituel sur la piazza dell'Unita.

Un petit plat et un "capo in b" au comptoir, scénario habituel sur la piazza dell'Unita.

REUTERS

Après avoir remis en beauté les pompeux monuments de la période habsbourgeoise, entre 1750 et 1914, les pros de la culture lorgnent ces jours-ci sur les milliers de mètres carrés d'entrepôts désertés qui prolongent les quais et s'allongent à l'est de la baie, sur les espaces préservés de la zone franche. Ils réhabilitent ces lieux gigantesques, que décorèrent à l'image de leurs palais du commerce les bâtisseurs d'empires maritimes, profitant du statut de port franc octroyé par l'Autriche en 1719. Déjà, le Magazzino 26 -le plus grand des hangars couverts de lierre s'alignant sur les kilomètres du Porto-Vecchio, trois immenses étages soutenus par des colonnades massives de pierre et de fonte coiffées de chapiteaux corinthiens- a accueilli la dernière Biennale de Venise "hors les murs". Le marché au poisson, surnommé par les pêcheurs "Santa Maria del Guatto" (Sainte-Marie du poisson pas cher) pour son allure incongrue de basilique 1900 aux bas-reliefs de coquillages et crustacés, s'est métamorphosé en "Salone degli incanti" (Salon des enchantements) pour événements "de prestige". On y célébrera en peintures l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne, en juillet prochain. Les autres appareillages du Vieux-Port, telle la forteresse d'opérette de la Lloyd Adriatico, attendent encore la baguette magique de la municipalité, qui doit négocier avec les embarras diplomatiques de la zone franche... et la crise économique actuelle ! 

Vernissage de la Biennale de Venise "hors les murs" au Magazzino 26.

Vernissage de la Biennale de Venise "hors les murs" au Magazzino 26.

D.Balbi/Photokroma/DR

Les triestins ont une inaltérable passion pour leur ville.

Sa magnificence reste sa plus grande séduction quand elle attire les affairistes cosmopolites et encourage des exploits aussi romanesques que lucratifs. Armateurs, banquiers et assureurs en sont les héros -le canal de Suez fut percé grâce aux coffres-forts du baron Revoltella, ami intime de Ferdinand de Lesseps. Ce beau monde fut bientôt rejoint par quelques génies littéraires décalés ou en transit: James Joyce, professeur d'anglais à qui son élève Italo Svevo, fabricant de peinture sous-marine, inspire le Leopold Bloom d'Ulysse, avant de devenir l'auteur tardif et déboussolé de La Conscience de Zeno; Rainer Maria Rilke, élégiaque courtisan en résidence chez la princesse Maria della Torre e Tasso dans son château de Duino. Leurs errances épiques tracent encore, entre sentiers venteux, quartiers chauds et cafés littéraires aux réminiscences viennoises, des itinéraires parallèles soigneusement balisés. 

Des atlantes façon Musclor 

En glissant sur le damier du borgo Teresiano, quadrillage strict et immeubles calibrés, quartier ordonné dès la fin du XVIIIe siècle par l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, les flâneurs sont escortés, et émoustillés, par la multitude de corps nus qui en peuplent les façades. Des atlantes, façon Musclor, réapparaissent sous les toits, flirtant avec des nymphes échevelées et, planant au-dessus des volutes de la casa Smolars, un couple de géants dénudés affole les passants. Quant aux clients des terrasses des cafés, sous les frondaisons de la très animée viale XX Settembre, ils reluquent deux caryatides aux arrogants tétons, soutenant l'entrée du cinéma Ambasciatori. Baptisées Barbara et Gigogin, elles furent les pensionnaires vedettes de la villa Orientale, lupanar huppé de la Belle Epoque. 

Le château de Miramare.

Le château de Miramare.

REUTERS

De l'autre coté de la ville, en grimpant par les rues aux ambiances plus latines qui serpentent autour de la cathédrale de San Giusto, quelques demeures, revisitées en musées, accueillent leurs invités dans la fastueuse intimité des grandes familles triestines. Sous les combles de la villa des Sartorio, potentats du grain, 254 dessins de Tiepolo font contrepoint à un délirant décor néogothique. Le palais Revoltella a annexé deux bâtiments voisins pour une double vue: d'un côté, salons d'apparat ruisselants d'or, de marbre et de soieries; de l'autre, une galerie d'art moderne aux volumes blancs et rigoureux due à l'architecte Carlo Scarpa. Dans l'enfilade des pièces de la casa Morpurgo, on surprend, flottant sur les parquets cirés entre les meubles Boulle, les fantômes d'une haute société levantine qui sillonnait la Méditerranée et resplendissait à Trieste. Seul le château de Miramare, à l'extrémité de la baie, sur son promontoire battu par les rafales de la bora, dépasse en trésors et péripéties romantiques ces extravagances. Maximilien d'Autriche, plus jardinier que guerrier, y vécut un conte de fées dramatique: il troqua l'éden princier qu'il avait rêvé avec une épouse adorée pour un empire mexicain d'or et de pacotille, y revenant trois ans plus tard cadavre criblé de balles révolutionnaires, accompagné d'une veuve qui en perdit la tête. Au crépuscule, en promenade rituelle sur le môle Audace, étrangers et Triestins mêlés remémorent sur ces rivages une fortune aussi capricieuse que les cieux de l'Adriatique et rêvent... 

Pratique

Comment y aller?
Italie and co propose un forfait à partir de 470 euros par personne incluant les vols A/R Paris-Venise (à 1h30 de Trieste environ), trois jours de location de voiture et deux nuits au Savoia Excelsior, avec les petits déjeuners. 

Où dormir?
Le Savoia Excelsior Palace.Sous les verrières, les ors et les stucs rénovés, un superbe palace pour une escapade ultra-romantique et abordable, dans des chambres face à l'Adriatique. A partir de 160 euros la nuit en chambre double. Renseignements: 00-39-040-779-41.
L'Urban Hotel. Implanté dans les ruines romaines au pied de la città vecchia, un exercice de design contemporain pour se reposer les yeux des ornements omniprésents alentour, tout en blancheur et bois blond réveillés par les couleurs vives du mobilier de Ron Arad pour Morosco.
A partir de 114 euros la nuit en chambre double . 00-39-040-302-065. 

Où déjeunier, dîner?
Salumar,le "labo du poisson", pour un rebechin (buffet) très frais, garni de calamars, de saumon ou d'une purée de polenta blanche et de morue, arrosé de vins blancs du Frioul. Fréquenté par la jeunesse locale. Tartines à partir de 2 euros, plats, 8 euros
13, via di Cavana, 00-39-040-322-97-43.
Al Bagatto. Dans des boiseries très Mitteleuropa, on dîne au milieu d'une véritable "librairie" de crus locaux à l'une des meilleures tables familiales de la ville. Sublime tartare de loup de mer aux pommes fruits et ricotta, et risotto aux palourdes et citron vert.
Environ 60 euros le repas. 7, via Cadorna, 00-39-040-301-771.
Al Bragozzo. Sur le front de mer, plats marins (exquis bar à la croûte de sel, somptueux spaghettis à la langouste) à déguster dans tous leurs états, crus ou cuits, après une dégustation de la spécialité d'anchois marinés.
Environ 30 euros le repas. 22, riva Nazario Sauro, 00-39-040-314-111. 

Où boire un café?
Caffè San Marco.Lieu légendaire à l'ambiance viennoise, pour savourer cappuccino et pâtisseries en compagnie de douairières et d'étudiants, émules de Joyce, refaisant le monde.
18, via Battisti.
La Portizza.Réputé pour ses cocktails Negroni, alliage de Campari, de gin et de vermouth.
5b, piazza della Borsa. 

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Trieste, ville ouverte

Par Jean-Pascal Billaud, publié le13/03/2013 à 08:00

Cité portuaire en pleine effervescence, Trieste est le carrefour des humeurs italienne, slave et viennoise qui se projettent au coeur de la nouvelle Europe. C'est le moment d'en saisir toute la magie. 


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Trieste, ville ouverte

Par Jean-Pascal Billaud, publié le13/03/2013 à 08:00

Cité portuaire en pleine effervescence, Trieste est le carrefour des humeurs italienne, slave et viennoise qui se projettent au coeur de la nouvelle Europe. C'est le moment d'en saisir toute la magie. 


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Le spéléologue Éric Gilli dans le souterrain qu'il a découvert. Il avait repéré les deux entrées du tunnel en 1984, lors d'un de ses nombreux voyages dans la région.

Le spéléologue Éric Gilli dans le souterrain qu'il a découvert. Il avait repéré les deux entrées du tunnel en 1984, lors d'un de ses nombreux voyages dans la région. Crédits photo : Eric Gilli

INFOGRAPHIE - Un géologue français a mis au jour un tunnel de 177 m de long dont Hérodote attribuait la paternité à Thalès.

«Je viens d'explorer un incroyable souterrain en Turquie, dans la région de la Cappadoce. Il s'agit d'un ouvrage de dérivation d'un fleuve majeur pour y aménager un gué et permettre son franchissement. C'est probablement celui qu'Hérodote a décrit et attribué à Thalès, et par lequel le roi Crésus serait passé pour attaquer son voisin perse Cyrus II en 550 avant J.-C.», explique Éric Gilli, karstologue, spéléologue et professeur à l'université Paris-VIII.

Le souterrain est creusé au pied d'une petite montagne qui borde le Kizilirmak, le plus grand fleuve turc qui portait le nom d'Halys pendant l'Antiquité grecque. Ses dimensions sont impression­nantes: 9 mètres de large et 177 m de long. «J'ignore quelle est la hauteur de l'ouvrage car le sol est recouvert de sable de rivière. Elle est supérieure à 2 m, probablement 4 m. Les travaux de creusement ont été titanesques», souligne le chercheur. Ils ont nécessité, selon ses pre­mières estimations, le déplacement de 12.800 tonnes de matériaux.

Le souterrain forme un demi-cercle presque parfait. Le fleuve s'engouffrait par une ouverture et ressortait par l'autre. L'eau a dû couler dans le tunnel pendant une longue période compte tenu de l'épaisseur des sédiments et de l'érosion des parois. «Dans les endroits qui n'ont pas été érodés par le courant du fleuve, on voit encore les marques des pics et les niches où étaient posées les lampes à huile», indique Éric Gilli. Il ne fait pas de doute pour lui que le tunnel a été fait par l'homme même s'il n'exclut pas que ses concepteurs ont pu observer localement un court-circuit hydraulique naturel et décidé de l'agrandir.

Cette découverte soulève plusieurs questions. La première: pourquoi l'armée de Crésus n'a-t-elle pas construit un pont pour traverser le fleuve? Parce que les tufs volcaniques de Cappadoce sont très friables. Les tufs ne sont pas assez solides pour servir de matériaux de construction et donc inadaptés à la construction d'une arche de grande portée. «En Cappadoce, les gens ont toujours eu l'habitude de creuser des habitations troglodytes», souligne en plus Éric Gilli.

Cette partie de la Turquie est recouverte de roches volcano-sédimentaires déposées sur de grandes superficies lors des éruptions du mont Argée (Erciyes en turc). Il existe plusieurs villes et villages troglodytes dans la région. Là-bas, creuser la roche est une tradition qui remonte à la nuit des temps. Pour Hérodote, qui n'y était jamais allé, le canal dont il parle avait été creusé en surface et il ne pouvait pas s'agir d'une dérivation souterraine de très grande dimension.

L'emplacement tenu secret

Autre élément qui pouvait empêcher la construction d'un pont, l'Halys - le Kizilirmak aujourd'hui - est un fleuve sujet à des crues très violentes. À travers toute l'histoire et même récemment, les populations locales se plaignent de ponts détruits par la montée brutale des eaux. Seconde question: est-ce le mathématicien grec Thalès qui a décidé Crésus à faire creuser le canal de détournement, comme le rapporte Hérodote? «Si on admet qu'il s'agit de la dérivation citée par Hérodote, je pense que les Grecs auxquels il fait réfé­rence dans son livre en attribuent à tort la paternité à Thalès. Il me semble plus logique de considérer que ce tunnel existait déjà, et que le rôle de Thalès a été de conseiller à Crésus de l'utiliser pour attaquer Ptérie, la ville tenue par Cyrus II», avance Éric Gilli. La transmission orale de cet épisode lui en a peu à peu donné la paternité.

Le géologue est désormais à la recherche de financements afin de monter un programme de recherche franco-turc et en savoir un peu plus sur cet ouvrage étonnant. Sondages, recherches d'objets, datations, cartographies des lieux, fouilles des nombreuses habitations troglodytes surplombant le fleuve, le travail ne manque pas En attendant, Éric Gilli garde secret l'emplacement de sa découverte. Quand il en a fait part au maire du village, celui-ci a été très étonné. Personne n'avait jamais osé s'avancer dans la cavité à cause des chauves-souris et des mauvaises odeurs. Le spéléologue de Paris-VIII avait repéré les deux entrées du tunnel en 1984 lors d'un de ces nombreux voyages dans la région. Il avait déjà dressé quelques croquis. C'est la lecture d'Hérodote et l'examen des images satellites de Google Earth qui l'ont décidé à retourner sur ­place. «Je voulais former une petite équipe pour faire un plan précis des lieux et réaliser un reportage photo et vidéo mais l'occasion ne s'est pas présentée. J'ai finalement décidé de partir seul pour une mission plus courte.»

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