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Régine Deforges dans tous ses éclats

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Dans ses Mémoires, celle qui fut la première femme à avoir fondé sa maison d'édition, solde ses comptes sans s'épargner pour autant.

Dans ses Mémoires, celle qui fut la première femme à avoir fondé sa maison d'édition, solde ses comptes sans s'épargner pour autant. Crédits photo : Maurice ROUGEMONT/Opale/Maurice ROUGEMONT/Opale

PORTRAIT - La romancière à succès et éditrice sulfureuse se dévoile sans fard dans ses Mémoires.

Une Bicyclette bleue l'a propulsée dans le peloton de tête des romancières populaires, au point parfois d'effacer l'éditrice singulière qu'est Régine Deforges. Double malentendu si l'on considère en effet la production presque confidentielle des œuvres érotiques qu'elle contribua à publier comparée aux sept millions d'exemplaires vendus des trois premiers livres de sa saga.

Femme affranchie et brodeuse au point de croix, terrienne en province et germanopratine à Paris, écrivant ses Contes pervers avant de se pencher sur le destin de la reine pieuse Radigonde, affolant les gendarmes à l'adolescence et bête noire de la Mondaine quelques années après, Régine Deforges a déjà livré des bribes de sa vie mouvementée dans des romans et récits. Elle solde aujourd'hui les comptes dans ses Mémoires.

La femme est téméraire, on le sait. Elle évoque en préambule «la réalité sèche» dont elle veut parer ses Mémoires. Elle s'y astreint avec une honnêteté sans faille au fil d'un récit qui s'attarde sur un des pans les plus culottés de l'histoire de l'édition française. Régine Deforges, l'enfant du 15 août, dit le titre de l'ouvrage, car elle est bien née le jour de l'Assomption de la Vierge dont elle tient son deuxième prénom. La gamine n'est pourtant pas de celles à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession.

Faire fi des conventions

Rebelle, forte tête et peu malléable, elle affirme dès l'adolescence une inclinaison à s'émanciper en faisant fi des conventions. Sa blessure la plus profonde date de cette époque. À l'adolescence, un garçon vole son journal intime dans lequel elle fait part de son amour pour la jolie Manon. Convoquée en famille par les gendarmes, Régine Deforges doit s'expliquer sur ce témoignage de «dépravation». La jeune fille se voit mettre au ban de la bonne ville de Montmorillon et renvoyer de son établissement scolaire. Elle s'inspirera de cette cruelle expérience pour écrire en 1978 Le Cahier volé.

Elle se réfugie alors volontiers dans les livres, dévorant tout ce qui lui tombe sous la main, sans œillères, des romans sentimentaux aux grands poètes, recouvrant du papier bleu de ses livres scolaires ses Vernon Sullivan, plongeant dans «une langueur suspecte» avec Louÿs, Apollinaire et Laclos. À ­Paris pour suivre le Cours Simon, l'apprentie comédienne découvre le monde de l'édition. Elle y entre par la petite porte en s'occupant d'abord du rayon livres du drugstore des Champs-Élysées.

Elle y croise Yves Berger, Jean-Claude Fasquelle, Bernard Privat. Elle se découvre avec l'éditeur Jean-Jacques Pauvert le même goût pour Sade, Bataille et Vian. Celui qui lui donnera sa première fille l'engage pour faire la tournée des librairies et promouvoir sa maison, tournée qui la renvoie dans cette province qu'elle a fuie.

La boulimique des livres constate avec horreur ces piles d'ouvrages dont personne ne parle et finit par ouvrir une librairie à Limoges pour en être chassée quelques semaines plus tard par les notables, horrifiés de voir ce qu'elle y vend au milieu des œuvres classiques. La jeune femme a déjà forgé son image de belle brune, insolente et sereine, «du moins en apparence», confie-t-elle. Elle confesse aujourd'hui un état beaucoup moins assuré qu'il n'y paraissait.

Une franchise étonnante

Sa quête se concentra alors tout entière sur un objet qui faisait peur: la littérature érotique. ­Régine ­Deforges, qui fut la première femme à avoir fondé sa maison d'édition, se vit aussi retoquer sa première ­publication par la ­censure, Le Con d'Irène, réédition ­d'Aragon qu'elle avait simplement titré Irène en un geste d'autocensure qui s'avéra inutile. Le livre fut saisi quarante-huit heures après sa mise en vente. Elle s'accrocha, lança bien avant l'heure d'Internet et de sa pseudo-confidentialité une bibliothèque érotique par correspondance, publia le premier livre du jeune Hervé Guibert, choquée mais fascinée par ce qu'il écrivait.

«Les livres que je publiais étaient interdits les uns après les autres», écrit-elle, décrivant l'enfer des saisies, les convocations au tribunal accompagnée de sa garde rapprochée Jean-Jacques Pauvert, Éric Losfeld, Pascal Jardin, jusqu'à la perte provisoire de ses droits civiques. Un épuisant jeu du chat et de la souris. Elle mit pourtant la même énergie à écrire un roman populaire inspiré d' Autant en emporte le vent , commande de l'éditeur Jean-Pierre Ramsay qu'elle intitula La Bicyclette bleue, publiant neuf autres volumes à leur suite.

Il y a dans ses Mémoires une franchise étonnante et quelques costumes taillés sur mesure à ce petit monde qui daigna faire place à la scandaleuse. De Lacan à Mitterrand en passant par Françoise Giroud, tous n'en sortent pas grandi. ­Régine Deforges solde ses comptes sans s'épargner pour autant. Une seule chose la terrorise aujourd'hui: cette vieillesse sournoise qui la déconcerte et la fragilise, elle qui n'a jamais rien voulu laisser ­paraître.

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