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Catégories : ARAGON Louis, CEUX QUE J'AIME, Ormesson Jean d'

Louis ARAGON, extrait du "Cantique à Elsa"

 

Comme autour de la lampe un concert de moustiques

Vers le plafond spirale et la flamme convoie

Du fin fond du malheur où reprend le cantique

Dans un fandango fantastique

Un choeur dansant s'élève et répond à ta voix

 

Ce sont tous les amants qui crurent l'existence

Pareille au seul amour qu'ils avaient ressenti

Jusqu'au temps qu'un poignard l'exil ou la potence

Comme un dernier vers à la stance

Vienne à leur coeur dément apporter démenti

 

Si toute passion puise dans sa défaite

Sa grandeur, sa légende et l'immortalité

Le jour de son martyre est celui de sa fête

Et la courbe en sera parfaite

A la façon d'un sein qui n'a point allaité

 

Toujours les mêmes mots à la fin des romances

Comme les mêmes mots les avaient commencées

Le même cerne aux yeux dit une peine immense

Comme il avait dit la démence

Et l'éternelle histoire est celle de Rancé

 

Saoulé par le grand air il quitte ses domaines

Ayant fait bonne chasse et plus heureux qu'un roi

Son cheval et l'amour comme un fou le ramènent

Après une longue semaine

A la rue des fossés Saint Germain l'Auxerrois

 

Il voit déjà les longs cheveux et les yeux tendres

De Madame la Duchesse de Montbazon

Il la voit il l'entend ou du moins croit l'entendre

Qui se plaint de toujours attendre

Et lui tend ses bras nus plus beaux que de raison

 

L'escalier dérobé la porte et c'est l'alcôve

Les rideaux mal tirés par des doigts négligents

Il reconnaît ces yeux que souffrir a fait mauves

Cette bouche et ces boucles fauves

Cette tête coupée au bord d'un plat d'argent

 

Aveugles chirurgiens qui déchirent les roses

Les embaumeurs entre eux parlaient d'anatomie

Autour du lit profond où le beau corps repose

Qui trouve son apothéose

Comme le pain rompu la blancheur de sa mie

Au cloître que Rancé maintenant disparaisse

Il n'a de prix pour nous que dans ce seul moment

Et dans ce seul regard qu'il jette à sa maîtresse

Qui contient toutes les détresses

Le feu du ciel volé brûle éternellement

  http://patbdm.over-blog.com/article-6640524.html

Ce moment de Rancé sur le seuil de la chambre

Qui ne l'a fût-ce un soir vaguement éprouvé

Et senti le frisson glacé comme un décembre

Envahir son coeur et ses membres

A-t-il aimé vraiment a-t-il vraiment rêvé

 

Un soir j'ai cru te perdre et chez nous dans les glaces

Je lisais les reflets des bonheurs disparus

Ici tu t'asseyais c'était ici ta place

De vivre étais-tu donc si lasse

On entendait siffler un passant dans la rue

 

Un soir j'ai cru te perdre et de ce soir je garde

Le pathétique espoir d'un miracle incessant

Mais la peur est entrée en moi comme une écharde

Il me semble que je retarde

A tenir ton poignet la fuite de ton sang

 

Un soir j'ai cru te perdre Elsa mon immortelle

Ce soir mortel pour moi n'a jamais pris de fin

Nuit d'un Vendredi-Saint que tes grands yeux constellent

La mort comme la vie a-t-elle

La saveur de l'ivresse ô mon verre de vin

 

Cauchemar renaissant souvenir tyrannique

Il éveille en mon coeur des accords souterrains

Il déchaîne à l'écho tout un jeu d'harmoniques

D'autres soirs et d'autres paniques

Les couplets interdits dont il est le refrain

 

Le beau corps déchiré gisait dans sa demeure

On entendait pleurer tout bas dans les fossés

On entendait parler tout haut les embaumeurs

Mon pays faut-il que tu meures

Et tout un peuple avait le regard de Rancé

 

Tu vivras Nous voici de retour de la chasse

C'est assez de sanglots emplir notre logis

Ils ont voulu pourtant que nos mains te touchassent

O Sainte déjà dans ta châsse

Ecartez-vous de moi Démons Analogies

 

Le deuil que dans mon sein comme un renard je cache

Dites si vous voulez qu'il n'est pas de saison

Le sens de ma chanson qu'importe qu'on le sache

Puisque règne aujourd'hui la hache

Que venez-vous parler au nom de la raison

 

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