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Catégories : CEUX QUE J'AIME, Des artistes

François-André Vincent doit-il sortir de l’oubli ?

, par Lunettes Rouges

 

François-André Vincent, La Mélancolie, vers 1800-1801, plume, 34.7x23.5cm, Louvre

De François-André Vincent, je ne me souvenais que d'un seul tableau, une Mélancolie sombre qui ne déparait  pas dans l'exposition homonyme (pas éponyme), tableau chagrin et douloureux d'une orpheline éplorée, que Joséphine acheta un an après son divorce d'avec l'empereur, le jugeant sans doute en harmonie avec ses propres sentiments. L'exposition consacrée au peintre au Musée des Beaux-arts de Tours (jusqu'au 19 janvier; ensuite au Musée Fabre à Montpellier, puis à Cognacq-Jay) est l'occasion de découvrir un dessin, qui n'est pas exactement un dessin préparatoire de cette toile, mais une composition à part entière. D'abord, la jeune femme est nue : artifice de sculpteur, d'ordinaire, que de représenter d'abord le personnage nu, et de l'habiller ensuite (Rodin par exemple), mais aussi de peintre comme en témoignent bien des dessins montrés ici. Mais dans toute l'histoire de l'art, on a rarement vu femme aussi peu sensuelle, aussi dure, sèche, tendue, décharnée : non pas tant que ses appâts soient fort maigres, non que sa tristesse irradie toute la scène, mais surtout il y a en elle une forme d'écrasement, de désespoir qui annihile toute beauté, toute féminité. Plus que les évidents symboles funèbres de la tombe, du hibou et de la branche morte, plus que la froide minéralité des blocs de pierre, on suit son doigt et son regard à terre, vers un double manuscrit à peine déroulé, signe de création impuissante peut-être.

François-André Vincent, La Leçon de dessin, 1774, 61.4x74cm, coll.part.

Que dire de Vincent, peintre tombé dans l'oubli, rival malheureux de David ? L'exposition montre son évolution, son cheminement qui commence vers 1760 et se déploie d'abord dans des tableaux aimables dans la veine de Fragonard avec qui il voyage en Italie, mais qui n'ont pas la légèreté espiègle de son compagnon. Le plus sémillant peut-être serait cette aimable leçon de dessin, exercice de séduction où on sent bien que la leçon va s'interrompre et se poursuivre par des ébats plus sensuels dans lesquels les rôles seront renversés.

François-André Vincent, La Leçon d'Agriculture, 1797-1798, 213x313cm, musée des beaux-arts de Bordeaux

Vincent peint, fort classiquement, de grandes compositions, peinture d'histoire, allégories et peinture morale, comme cette fort rousseauiste scène où les commanditaires, grands bourgeois toulousains, confie leur jeune fils délicat (dont la pose et les fesses évoqueraient le gladiateur Borghese) à un laboureur vigoureux au doigt impérieux (encore une référence); mais ce n'est qu'une leçon d'agriculture...

François-André Vincent, Allégorie de la libération des esclaves d'Alger par Jérôme Bonaparte, 1806, 37.5x45.5cm, coll. Walewski

Tout cela est un peu ennuyeux, Vincent n'est ni Greuze, ni David, ni Ingres, mais on sent parfois que, même s'il fait honnêtement carrière, il n'est pas complètement dupe : pour la commande d'un hommage à Jérôme Bonaparte qui racheta 231 prisonniers génois et ligures aux pirates barbaresques (mais qui ne mit peut-être même pas les pieds à Alger, se contentant de payer la rançon), Vincent représente la scène d'un théâtre. L'action elle-même, bateau aux couleurs tricolores et rescapés sur le rivage (l'ancre couchée faisant joliment écho aux bras tendus), se déroule non pas au premier plan, mais sur ce qui semble être un rideau peint en fond de scène; le pilier, à droite, évoque les coulisses. Sur scène, si la petite fille en robe Directoire est porteuse du message d'hommage (en italien : La Riconoscenza a Girolamo Bonaparte), le ridicule petit chien jappant dénonce l'inanité de la scène. Quant au prisonnier basané agenouillé qui porte encore aux chevilles la marque de ses fers, son sarouel et sa calotte montrent (ou dénoncent ? au moins il n'a pas de barbe islamique) son acculturation; humble et reconnaissant, il fixe le spectateur. Jérôme Bonaparte, dont il fallait bien redorer le blason, apprécia-t-il cet hommage ambigu ?

François-André Vincent, Guillaume Tell et Gessler, 1795, 65x77.5cm, musée de Guéret

Fut-ce une tentative de s'adapter aux goûts du moment, ou une évolution supplémentaire de sa carrière en zigzag , il y a aussi ici quelques tableaux romantiques, le portrait d'un poète échevelé et cette scène de la vie de Guillaume Tell devant un lac en furie, très 'Sturm und Drang'. Entre Fragonard, David et Géricault, Vincent eut du mal à exister, semble-t-il.

Signalons l'existence d'un livre (cher...) de Jean-Pierre Cuzin, à la fois étude monographique et catalogue raisonné.

Photos courtoisie du Musée à l'exception de la première. Voyage à l'invitation du Musée.

http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2013/11/18/francois-xavier-vincent-doit-il-sortir-de-loubli/

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