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Catégories : CDI du Lycée Hôtelier Le Renouveau, MON TRAVAIL

J’irai au bout de mes fèves

 

28 mai 2014 à 19:26

Sardines et fèves. 
Sardines et fèves. (Photo Alexandra Bruel•. Piu Design)

Tous les ans, quand revient le temps des fèves fraîches, on a l’humeur vagabonde. Faut dire qu’on a toujours été un globe-trotter des légumineuses, on s’est toujours levé du bon pied quand il s’agit d’écosser et de fricasser : haricots blancs dans le kouzi irakien ; fèves sèches dans le ful mudammas ; soupe aux pois cassés avec la saucisse de Morteau ; pois cassés encore et lentilles orange dans le dhal indien ; haricots tarbais dans le cassoulet ; lentilles vertes du Puy avec le petit salé ; haricots noirs dans la feijoada ; pois chiches dans une simple omelette avec un bouquet d’oignons de printemps. Bienheureux celui qui casse la graine sous la gousse, elle vous fait saliver comme le bouquet garni qui embaume l’eau de cuisson des lingots du Nord. C’est peu dire qu’on en pince pour la famille des fabacées, comme on cause en langue savante, qui vous fait tout aussi bien une vaillante cuisine de peu que les riches heures des gueuletons au long cours.

Western. Mais faut bien avouer aussi que la fève, elle nous raconte des histoires qui tiennent parfois à un fil de mémoire, à quelques grains de souvenirs. Tiens, un jour qu’on part houblonner du côté du canal de l’Ourcq, on se retrouve à l’aplomb du métro aérien qui gronde entre Colonel-Fabien et Anvers. Stalingrad, c’est pas le genre d’essart où l’on ferait pousser la fève de Séville ou d’Aguadulce. Et pourtant, sur un bout de berge sec et croûté comme une rigotte, on débusque une poignée de plants de fèves en fleur qu’une main courageuse a semées là sur une modeste langue de terre aplanie à la manière d’une terrasse. C’est-y qu’il faut être brave pour jouer les moines défricheurs parmi les étrons de clébards, les canettes vides de 8.6 et les emballages voraces de grecs-frites. Le maraîchage urbain, c’est un western permanent, y a toujours un chasseur de primes pour vous faucher les premiers radis ; une horde de bisons qui viendra piétiner vos plants de tomates ; un Comanche qui voudra scalper vos laitues. Alors, on se dit que c’est pas gagné de voir ces fèves venir en gousses, et d’en égrener une en loucedé histoire de croquer dans les premières graines du quai de Valmy. Faut être «humble au jardin», qu’il répétait le vieux dans le film que l’on se repasse à la fraîche au bord du canal. Avec lui, on en a bavé des traits de sillon à semer nos premières fèves. Il fallait que la pointe de la pioche file droit à un pouce de profondeur dans la terre ocre et ingrate, à qui l’on confiait d’audacieux semis dès l’automne, pariant sur une météo clémente qui aurait permis une récolte précoce. Mais, souvent, l’hiver était encore plus roublard que le vieux, lui infligeant en plein carême une méchante raclée glacée après avoir ménagé le thermomètre jusqu’au mardi gras. On en était quitte pour récidiver dans les rangées de poquets, guetter les premières pousses qu’il fallait ensuite rechausser (butter) avec soin avant de pincer les tiges pour les protéger des pucerons et favoriser la croissance des gousses. C’est ainsi qu’un jour léger du début de l’été, on se retrouvait en train de croquer dans les premières fèves avec juste un peu de gros sel et le vieux qui faisait couler un blanc frais sentant la pierre à fusil.

 
 

Alors, l’autre soir qu’on écosse quelques belles gousses pour l’apéro sur le zinc d’Idir, il prend le relais de nos souvenirs et nous emmène dans les rues d’Alger, du côté du Belcourt de Camus là où, gamin, lui Idir attendait que son vieux remontât du port où il était manœuvre avec un baluchon de fèves, un bouquet de coriandre et quelques piments. «J’étais pas peu fier de porter son sac, raconte le taulier. Des fois, il n’y avait vraiment pas grand-chose, mais on n’a jamais crevé de faim. Quand il n’y avait vraiment rien, ma mère, elle cueillait des herbes et des plantes dont elle faisait des galettes avec de la semoule de couscous.»

Le rade est muet après le récit d’Idir, on n’entend plus que le bruit des ratiches croquant les fèves entre deux gorgées de sancerre. Mais vous savez ce que c’est, y a toujours un huron qui ne supporte pas le silence d’après-confidence. Là, c’est le Grand qui se met à rugir après avoir tété son verre : «Les fèves, c’est chiant à éplucher. Moi, je jardine au rayon surgelés.» «Tu respectes rien», on grogne. «Je sais, qu’il se marre, mais j’ai soif.»

Cubes. On est allé chercher une prometteuse recette de «salade tiède de fèves aux sardines marinées» dans le «carnet» très inspiré de Louise Denisot, journaliste et auteure culinaire (1). Pour les sardines marinées (quatre personnes), il vous faut : 12 filets de sardines écaillés ; 8 cl d’huile d’olive ; 1 orange, 2 citrons ; 10 feuilles de menthe ; 3 tiges de cébettes ; 1 demi-bouquet de persil ; sel et poivre. Pour la salade, il faut : 400 g de fèves fraîches écossées ; 2 branches de céleri ; 1 oignon rouge ; 4 cuillères à soupe d’huile d’olive ; 2 cuillères à soupe de vinaigre de vin ; sel et poivre. Rincez les sardines et séchez-les bien. Déposez-les dans un plat sur une seule couche. Dans un bol, mélangez le jus des citrons et de l’orange, le sel, le poivre et l’huile d’olive. Ajoutez la menthe et le persil haché, les cébettes tranchées finement. Nappez les sardines de cette marinade. Faites mariner au frais pendant trois heures au moins. Pelez et détaillez l’oignon en tranches très fines et faites macérer dans un bol avec le vinaigre pour les attendrir pendant vingt minutes. Faites bouillir un grand volume d’eau bien salée. Faites-y cuire les fèves cinq minutes. Rafraîchissez-les dans un saladier d’eau glacée et retirez leur deuxième peau. Coupez les branches de céleri en tout petits cubes. Au moment de servir, versez l’huile d’olive sur les oignons marinés et ajoutez-les avec le céleri dans les fèves. Disposez les sardines sur la salade et dégustez.

(1) «Ma cuisine», de Louise Denisot, La Martinière, 216 pp., 20,90 €.

 

 

Jacky DURAND

http://next.liberation.fr/food/2014/05/28/j-irai-au-bout-de-mes-feves_1029239

 

 

 

 

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