Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, Des poèmes, Voyage

Poèmes de Louis le Carbonnel

Poèmes (Paris, Mercure de France, 1904), Carmina Sacra (Paris, Mercure de France, 1912), Du Rhône à l'Arno (Paris, Mercure de France, 1920), De l'une à l'autre Aurore (Paris, Mercure de France, 1924).

   
 
Invocations d'automne
 
Automne merveilleux, Automne qui me dores
L'horizon de la vie encore cette fois,
Toi qui, si doux, épands les feux de tes aurores
Et ceux de tes couchants aux limites des bois,

Mélancolique Automne, avec qui l'on voyage
En des mondes de songe et de sérénité,
Bel Automne pour qui, sous le dernier feuillage,
Un oiseau, mais tout bas, poursuit son chant d'été,

Toujours tu m'exaltas, saison harmonieuse;
Ta flamme brûle encore en mes hymnes anciens :
Tu m'as tout pénétré d'une ardeur sérieuse...
Dis que tu le savais et que tu t'en souviens !

Pourtant, si je t'invoque aujourd'hui, cher Automne,
Ce n'est pas pour revivre aux luttes du passé,
Pour remettre à mon front une vaine couronne,
Et rendre un peu de lustre à mon nom effacé.

Que, dans l'apaisement de cet octobre, meure
Ce qui n'est pas en moi le vierge attrait du Beau ;
Que, la Gloire ayant fui, le seuil de ma demeure
Semble à jamais le seuil délaissé d'un tombeau.

Loin l'orgueil, espérant des revanches tardives!
Uniquement épris d'un rêve aérien,
Je ne regarde plus vers les ingrates rives
Du monde aveugle et sourd, dont je n'attends plus rien.

Je ne veux contempler que de pures images :
Mon calme enivrement, c'est l'ampleur de tes cieux,
C'est ton azur à peine offensé de nuages,
Saison noble au divin rire silencieux.

Ta tendresse me parle et ma ferveur t'écoute :
Automne inspirateur, fais encor sous tes lois
Tomber, comme un cristal, mes heures, goutte à goutte;
Mets invisiblement des cordes sous mes doigts;

Et que, la mélodie affluant dans mes veines,
Ardente comme aux jours de ma jeune vigueur,
Sans désir de frapper les oreilles humaines,
Je chante seulement pour enchanter mon cœur.
 
     
 
Louis Le Cardonnel. (1862-1936), Poèmes (1904)
 
Près du cloitre
 
Près du cloître où la vigne est blonde de lumière,
Oublieux du cruel passé qui fut le mien,
J'abandonne, en priant, mon Ame tout entière
Aux attraits de ce beau printemps italien.

Dans mon ravissement je crois marcher à peine :
Je sens comme bondir la terre sous mes pieds.
Ce matin, dans la claire église franciscaine,
J'ai compris le bonheur des cœurs sacrifiés.

La jeunesse du monde, en sa candeur divine,
Emplit autour de moi l'air brûlant et vermeil :
Une autre adolescence éclôt dans ma poitrine,
Et je voudrais livrer ma poitrine au soleil.

J'ai respiré l'esprit de l'insensé d'Assise,
Tenant, même aux oiseaux, des discours ingénus.
Dans l'ardeur qui m'exalte à la fois et me brise,
Je rêve de partir, sanglant, et les pieds nus.

Apôtre, que Jésus secrètement prépare,
Pour qu'il porte la paix à ses frères humains,
Au-devant de celui qui souffre ou qui s'égare,
Je répandrais mon cœur à travers les chemins.

Je serais le semeur d'immortelle espérance,
Dont l'hymne vibrant monte avec l'aube du jour :
Et, saintement joyeux, même dans la souffrance,
J'irais, mon Dieu, j'irais vers l'extatique amour.
 
     
 
Louis Le Cardonnel. (1862-1936), Carmina Sacra (1912).
 
 
Méditation romaine
 
Oh ! s'égarer tout seul par la Voie Appienne,
Plein de mélancolie ou de recueillement,
Et, des mortes splendeurs de la Rome païenne,
A la chrétienne aller, comme insensiblement.

Surtout lorsque le soir va les teinter de rose,
Contempler ces champs nus, au vide interminé,
Que, par instants, domine un profil grandiose
D'aqueduc, à la fois solide et ruiné.

Seul toujours, aspirer sous la sublime flamme
Des blancs étés, qui font poudroyer les chemins,
Afin do se grandir héroïquement l'âme,
La tristesse et la paix des horizons romains.

Ou, penché vers le Tibre, aux eaux lourdes et fauves,
Évoquer ces longs jours d'histoire qu'il a vus
Fuir, après les Catons et les Scipions chauves,
Sans en garder pour nous, même un reflet confus.

Sol à jamais sacré, qui n'est fait que de tombes,
Labyrinthes massifs du profond Palatin,
Arcs triomphaux, dressés après les hécatombes
Des peuples que la Ville immole à son destin.

Obélisques sur qui le Temps brisa ses griffes
Et que la Croix surmonte, elle invincible à tout
Basiliques, fonds d'or, monuments des Pontifes,
Qui méditent assis ou bénissent debout.

De ces choses trouver la secrète harmonie,
La recueillir, malgré la rumeur des passants ;
S'agenouiller dans quelque antique Diaconie,
Où traînent des odeurs de cires et d'encens.

Par les mourants juillets, du haut du Janicule,
Alors que le soleil décroît sur les gazons,
Suivre d'un long regard cette lueur qui brûle
Aux dômes éloignés, aux vitres des maisons.

Escorté, pas à pas, par des Ombres illustres,
Fuyant partout les bruits profanes et grossiers,
Longuement s'accouder sur l'appui des baluslres,
Ou marcher, seul encore, à travers les sentiers.

Et, dans son coeur roulant ce que l'auguste Rome
Y verse de noblesse et de détachement,
Méditant la grandeur avec le rien de l'homme,
Qui sont ici venus s'inscrire également,

Tandis que le couchant fait flamber sa fournaise,
Qui s'éteindra bientôt au fond du ciel pâli,
Voir se dorer là-bas, tes pins, Villa Borghèse,
Ou s'empourprer les tiens, ô Villa Pamphili.
 
     
 
Louis Le Cardonnel. (1862-1936), Carmina Sacra (1912).
 

Les commentaires sont fermés.